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FashionLa mode musulmane, nouvel eldorado pour les grandes griffes du prêt-à-porter

11.03.2016 à 21 H 21 • Mis à jour le 12.03.2016 à 11 H 35 • Temps de lecture : 7 minutes
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De Dolce & Gabbana à Uniqlo, les grandes marques d’habillement visent de plus en plus ouvertement le segment du vêtement « pudique ». Modèles et lignes de vêtement spécifiques font florès dans les rayons et sur le web.

Le 5 janvier dernier, commentant la collection de hijabs et d'abayas lancée par Dolce et Gabbana, l'édition américaine de Vogue titrait : « Quand les autres marques leur emboiteront-elles le pas ? ». A vrai dire, il n'y a pas eu longtemps à attendre : depuis 26 février dernier, c'est Uniqlo qui propose à la vente aux Etats-Unis, une collection destinée aux femmes musulmanes.


Est-ce bien, cependant, la suite logique du tournant marketing pris par les deux designers italiens ? Tandis que Dolce et Gabbana occupent le créneau luxueux de la haute-couture, Uniqlo s'est fait un nom dans la grande distribution bon marché. Il est vrai que l'enseigne pratique une politique suivie de collaborations avec de grands noms de la mode, comme Lemaire ou Inès de la Fressange.

Le Ramadan, objet de toutes les convoitises

Tandis que la marque italienne vise explicitement les femmes du Moyen Orient, comme d'ailleurs Mango, Tommy Hilfiger, Oscar de la Renta, Etro, DKNY, H&M et leurs collections spécifiques disponibles seulement dans les pays arabes pour la période du Ramadan 2015, Uniqlo, entreprise japonaise, principalement implantée en Asie, a destiné hijabs et abayas au marché américain. Quoique la « menace islamiste » de l'Intérieur soit devenue l'un des récents arguments politiques de certains républicains, les Etats-Unis ne représentent pas, à première vue, le marché le plus indiqué quand il s'agit d'écouler des tenues spécifiquement musulmanes.


Il y a trois millions de musulmans aux Etats-Unis, ce qui représente 1 % de la population. Selon le Pew Research Center, ceux-ci sont majoritairement jeunes, pratiquants, émigres de la première génération. Ce sont aussi, très majoritairement (65 %), des hommes... Peu de chances qu'ils se ruent sur les robes longues et les foulards à fleurs.


Des mannequins défilant lors du Festival de mode islamique en Malaisie. Selon Reuters, en 2013, les musulmans ont dépensé 266 milliards de dollars en habillement. Ce chiffre pourrait atteindre 484 milliards de dollars d’ici à 2019. OLIVIA HARRIS / REUTERS


Une recherche plus approfondie révèle aussi que ces musulmans d'Amérique se repartissent assez équitablement entre, selon les catégories ethniques officielles américaines, « blancs », « noirs » et « asiatiques. » Là réside peût-être une partie de l'explication : en effet, la collection musulmane d'Uniqlo existe depuis déja une saison, mais elle ne s'est d'abord vendue - très bien - qu'en Asie. Les femmes asiatiques musulmanes représentent tout de même à peu près un tiers de million de clientes potentielles, mais il y a peu de chances qu'elles fréquentent toutes le même magasin. C'est peût-etre la raison pour laquelle cette ligne n'est disponible qu'en ligne, à l'exception d'un magasin new-yorkais, celui de la Cinquième Avenue. Si les musulmans sont un peu plus nombreux à New York (2 % de la population de la ville), il semble cependant évident que la marque espère que les nombreux touristes venus des pays arabes et du Moyen-Orient qui arpentent ce haut-lieu du shopping international visiteront son magasin - touristes qui seront les seuls à pouvoir arborer des tenues achetées chez Uniqlo chez eux, car la marque ne livre pas à l'étranger.


Reste quelques détails à régler pour Uniqlo. D'abord, difficile de vendre un baju kurung malais à une musulmane marocaine plus adepte de marques locales comme Diamantine  pas plus de chances, à première vue, avec les kebayas indonésiennes. Pour rappel, Mango annonçait en 2015 l’arrivée dans le monde arabe, notamment au Maroc, d’une ligne baptisée « L’invitée idéale », faite d’« alternatives créatives et sophistiquées à l’abaya traditionnelle et aux tchadors », peut-on lire dans Libération.


Un modèle de la ligne Abaya de Dolce & Gabbana. Une évolution de marché anticipée dès 2012 par le cabinet d’analyses londonien Euromonitor International. Cités par le New York Times, ces spécialistes prédisaient déjà une montée en puissance d’un business autour du Ramadan pour ce genre d’habillement. COURTESY DOLCE & GABBANA


La collection, dessinée par une jeune styliste et blogueuse anglo-japonaise, Hana Tajima, a clairement été d'abord pensée pour un public asiatique. Si les couleurs - gris, taupe, beige, vert chartreuse, bleu jean, jaune safran, rose brique - et certaines formes - un blouson zippé, cintré, moulant - ne plairont pas partout, on trouve des pantalons larges, des tuniques, des robes longues et couvrantes, des hijabs... qui feront sans doute l'unanimité, d'autant plus que ces tenues allient modestie et technologie : le airism inner hijab, à porter sous le voile, est par exemple taillé dans un tissu qui, outre le fait qu'il évacue la transpiration et sèche en un clin d'oeil, est anti-odeur, antimicrobien et auto-désodorisant. A en juger par les nombreux vêtements déjà épuisés comme par le nombre d'articles dont il est indiqué sur le site que le stock est très bas, l'équilibre recherche entre les cultures est atteint, de même qu'entre la tradition et la technique !

Aucune référence explicite à l’Islam

Il y avait cependant, pour le géant du prêt-à-porter japonais, un autre équilibre a trouver : entre la volonté de ne pas heurter et celle d'être visible, il n'était pas facile de trouver, en ces temps troubles ou le terrorisme justifie tous les ostracismes et ou une partie de la classe politique n'hésite pas à montrer du doigt non seulement les musulmans mais aussi leurs « complices », quelle place accorder à la collection au sein de l'ensemble des vêtements proposés. Le site d'Uniqlo ne fait, prudemment, aucune référence explicite à l'islam, et si des hijabs sont à vendre, c'est à la fin du menu déroulant.


Si les blogs et la presse ont pu parler à juste titre d'une collection musulmane, pour Uniqlo le terme ne qualifie que la styliste, dont on précise aussitôt qu'elle est britannique. Au contraire, la collection, présentée par des mannequins majoritairement asiatiques, s'affirme comme du modest wear, expression qui n'a rien de nouveau pour les américains, les tenues dites pudiques, étant déjà plébiscitées tant par les chrétiens traditionnalistes que par les communautés juives orthodoxes. « Cette tendance est d’abord apparue chez les chrétiens évangéliques aux Etats-Unis, puis chez les juifs hassidiques, avec des marques comme Mimu Maxi lancée à Brooklyn par Mimi Hecht et Mushky Notik, deux belles-sœurs juives orthodoxes, rappelle Frédéric Godart, sociologue et chercheur dans Libération . « Ce n’est qu’ensuite que le mouvement a été repris par des start-ups à destination des musulmans, puis par de grosses marques. », précise-t-il. 

Mipsterz et hijabistas, ciblées par les stylistes

Cela n'a pas empêché les musulmanes de s'y retrouver, ni les mipsterz (contraction des mots musulmane et hipster) et les hijabistas (mot-valise formé à partir de hijab et fashionista), de se réjouir, elles qui revendiquent aujourd'hui le droit d'aimer la mode et de porter le hijab avec style, dans la lignée du designer Mélanie Eturk, responsable du célèbre site américain Haute Hijab, qui associe un blog et une boutique en ligne. Cette dernière propose des tutoriels pour apprendre à porter le voile, et vends des vêtements (dont un t-shirt imprimé « I love Hijab »), mais surtout toute sorte de foulards destinés à cet usage, assortie de conseils pour trouver quel est son style de hijab, savoir quelles couleurs seront les plus seyantes, et quels imprimés, plus ou moins multicolores, on aura plaisir à porter. A voir les photos postées par la blogueuse et ses followers sur Instagram, il est clair que l'expression « mode musulmane », n'a rien d'un oxymore !


La firme japonaise Uniqlo s’est engouffrée dans le créneau de l’habillement des femmes musulmanes. En juillet 2015, la marque choisit la styliste et blogueuse anglo-japonaise et musulmane Hana Tajima pour lancer une collection spéciale vendue en boutique à Singapour et en ligne. PARKER FITZGERALD/ COURTESY UNIQLO


La collection est un succès évident, et nul doute que ce résultat n'encourage d'autres enseignes à se lancer : une étude menée par Thomson Reuters estime que les dépenses vestimentaires des musulmans portent aujourd'hui sur 266 milliards de dollars, et seront de quasiment 500 milliards de dollars en 2019. De quoi se risquer à un jeu d'équilibrisme pour les plus grosses marques occidentales. Et si l'intrusion de ces dernières dans le champ du vêtement religieux fait grincer quelques dents, on peut rêver que le développement de ce nouveau marché contribue à rendre non seulement la mode, mais le monde musulmans moins étrangers aux yeux des Américains comme des Européens, habitués au mainstream de la grande distribution. Même si, pour l'instant, le seul commentaire que le bref article que l'édition électronique américaine de Vogue a consacré il y a quelques temps à la collection Hana Tajima est un laconique : « Disgusting ».

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