L'Après-BenkiraneLe PJD choisit de maintenir son cap malgré la perte de son leader
Le PJD s’est plié au choix du roi. Il réserve cependant sa réponse officielle à la tenue du Congrès national samedi 18 mars afin qu’il entérine sa décision dans un cadre institutionnel démocratique, affirment en chœur les figures du parti.
Pas de bronca islamiste contre le Palais donc. Le temps des attaques contre l’Etat profond n’est plus d’actualité. C’est peut-être même une délivrance pour Abdelilah Benkirane redevenu depuis depuis hier soir, un secrétaire général « normal », même s’il continue d’expédier quelques affaires courantes du gouvernement qu’une noria de motards vient lui porter là où il se trouve.
Les plus optimistes se raccrochent encore à l'idée que malgré tout, le PJD n’est pas totalement hors course et que sa stratégie est de garder le cap. Ne pas lâcher prise, ne pas se faire dérober la victoire, tel est la ligne de conduite adoptée après que le couperet royal soit tombé.
Plusieurs heures après la brève déclaration de Benkirane à la presse, le parti a publié tard au soir du 16 mars son communiqué en cinq points. Après avoir exprimé sa « fierté » par rapport aux propos tenus dans la décision royale à l’endroit de son leader et au souci du souverain de « consolider le choix démocratique », le secrétariat général a rendu hommage au travail accompli par Abdelilah Benkirane, à sa « compétence dans la conduction du parti », à son « audace en matière de grandes réformes » et à son « rôle exceptionnel dans les élections », qui ont « octroyé au parti sa crédibilité et (…) sa progression continue dans le paysage politique ».
Benkirane exonéré de toute responsabilité
Point essentiel du communiqué, il exonère Benkirane de toute responsabilité dans le temps long des tractations pour la formation du gouvernement, lui qui « a mené sa mission dans le respect absolu de la logique constitutionnelle, en toute responsabilité qui lui a été confiée par le roi, du mandat populaire, faisant preuve d’une grande souplesse et d’un sens élevé du devoir ». Au contraire, le parti rejette la responsabilité de l’échec sur « les autres partis », sans les nommer, en raison des « conditions consécutives posées », n’ayant pas pu aboutir « à la constitution d’un gouvernement fort, efficace et homogène comme le requérait le discours de Dakar ».
Aussi, le PJD estime dans ce même communiqué que « les prochaines consultations doivent respecter les dispositions constitutionnelles, le choix démocratique et la volonté populaire exprimées lors des législatives ». Le nouveau gouvernement devra enfin « bénéficier de la confiance et du soutien de Sa Majesté ».
Dernier point, le secrétariat général confirme sa détermination à « élargir les consultations au sein du parti » en convoquant le conseil national à se réunir en session extraordinaire le 18 mars « pour prendre les décisions nécessaires ». La direction du parti conclut son communiqué en réitérant son engagement à demeurer « fidèle aux intérêts supérieurs de la nation, et à demeurer vigilant quant à la consécration du choix démocratique ».
C’est une stratégie à double détente qui permet au PJD de se donner un temps de latence de quelques jours, car s’il semble décidé à s‘aligner sur la volonté du Palais, il n’en livre pas encore toutes les clés de compréhension.
Quelle que soit la doublure choisie, du rugueux Ramid à l’ambitieux Rabbah - sourire toujours en coin -, sans oublier El Otmani le débonnaire, le candidat à la reprise du flambeau PJD aura-il le rôle sacrificiel d’être plus docile face à l’adversaire Akhannouch, qui aujourd’hui vaquait quant à lui à ses occupations de ministre de l’agriculture à Ksar El Kbir ? Rien n’est moins sûr. En sublimant son leader déchu tel un martyr tombé au front, il indique que le cap sera inchangé.
Un communiqué qui confirme les antagonismes
A quoi ressemblerait le gouvernement avec un second couteau du PJD à sa tête ? Il y a quelques mois encore, le scénario relevait de l'impensable. En raison de son indéniable victoire lors du scrutin d’octobre, de sa résistance déployée par son chef pour s’assurer d’un second mandat à l’avantage de son parti, de l’unité du clan islamiste, personne n'imaginait vraiment se retrouver dans pareille situation où le parti se lancerait dans une nouvelle aventure sans sa figure de proue.
Les plus réalistes des partisans du PJD se tranquillisent désormais en expliquant que la tactique est de se maintenir avec un minimum d’exigences, celles prononcées de manière parabolique par le communiqué. Sauf que les adversaires du PJD, RNI en tête, tiennent le même discours concernant la nécessité d’une formation exécutive « forte », mais avec une lecture bien différente du discours royal de Dakar. Une lecture qui sied à la Cour surtout.
Le débarquement de Benkirane, n’augure donc pas d’un consensus mécanique à venir et le communiqué du PJD balise déjà la conduite de son successeur. On l’a souvent dit, la capacité de résilience du PJD tient d’abord dans sa discipline de fer. Le choix de rupture aurait été logiquement de basculer dans l’opposition.
Mais de cette tentation un temps exprimée mezzo voce par certains faucons du parti, il n’en a rien été. C’est décidément toujours de manière inclusive que les islamistes avancent leurs pions. Jamais dans notre histoire un parti, qui joue pourtant le jeu des institutions, n'a paru si retord au pouvoir jupitérien du Palais. Jamais elle n'a connu un terrain si favorable à un rééquilibrage des forces avec le Makhzen. Mais la rhétorique anti-système, le complotisme ambiant, les succès du discours populiste, n’ont servi en réalité au PJD que de marchepied, mais jamais de moyen décisif.
Et on ne parle même pas là du paysage politique anéanti qui voit se liguer contre la première force politique du pays, des partis portés par la proximité du pouvoir réel ou par leurs turpitudes.
Au Desk, à la veille du scrutin, nous nous sommes plongés dans les programmes de chaque parti pour en décoder les ressorts et la logique, les traduire en conséquences tangibles pour les Marocains. Ce travail fondamental n’a alimenté les discussions qu’un temps, la longue litanie des consultations interminables, les alliances improbables proposées de part et d’autre, ont réduit le débat à sa superficialité, celle d’une bataille homérique, mais au fond sans enjeux véritables, si ce n’est d’en finir ou pas avec l’ère Benkirane.
Le PJD enverra au charbon un de ses lieutenants pour remplacer celui que le Palais ne voulait pas depuis 2011, mais il se dégage de cette fiction devenue réalité un constat essentiel dont il ne faut pas être oublieux : rien ne changera à la fois la nature du régime, le modèle économique et social, le champ des libertés, bref tout ce qui façonnera l’avenir du pays pour les cinq années à venir et au-delà.
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