DiplomatieLe Maroc suspend tout contact avec l’ambassade d’Allemagne, conséquence de tensions entre Rabat et Berlin
Par une correspondance datée de ce 1er mars, Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères informe le chef du gouvernement Saâdeddine El Otmani et l’ensemble des membres de l’Exécutif de la « suspension de tout contact avec l’ambassade d’Allemagne à Rabat ».
« En raison des malentendus profonds avec la République fédérale d’Allemagne au sujet des questions fondamentales du Royaume du Maroc, les départements ministériels et l’ensemble des organismes qui relèvent de leur tutelles, sont priés de bien vouloir suspendre tout contact, interaction ou action de coopération, en aucun cas et sous aucune forme, aussi bien avec l’ambassade d’Allemagne au Maroc qu’avec les organismes de coopération et les fondations politiques allemandes qui lui sont liées ».
Toute dérogation à cette suspension devra faire l’objet d’un accord préalable de la diplomatie marocaine, ajoute la lettre de Bourita qui indique que son département a déjà pris la décision de ne plus communiquer avec la représentation diplomatique de Berlin à Rabat.
La lettre circulaire de Bourita ne fait pas état explicitement des raisons de cette décision. Une source autorisée aux Affaires étrangères a indiqué toutefois au Desk que « cette lettre n'était pas destinée à être diffusée (...), il n'y a aucune précision... ».
La lettre qui a fuité a donné lieu à de nombreuses conjectures. La campagne sur les réseaux sociaux contre les institutions du pays mené par Mohamed Hajib, salafiste et ancien détenu résident en Allemagne est citée. Selon Jeune Afrique, les autorités marocaines ont émis le 13 août dernier auprès d’Interpol un mandat d’arrêt international à son encontre. L’intéressé s’était félicité le 8 février sur Twitter du fait qu’Interpol a finalement récusé la requête du Maroc en retirant son nom des personnes visées par une notice rouge.
La question du Sahara, pomme de discorde ?
Autre point de discorde évoqué, en marge de la campagne menée par Andreas Schieder (SPÖ), le nouveau président autrichien de l’« Intergroupe pour le Sahara occidental » qui a appelé ce 26 février l’Union européenne et le CICR à réagir face aux « exactions » du Maroc, le drapeau du Polisario a été hissé quelques heures samedi dernier devant le parlement régional allemand de Brême. Une image qui a fortement déplu à Rabat...
Les relations entre Rabat et Berlin connaissent, à l’instar de celles avec les Pays-Bas ou certains pays scandinaves, des tensions régulières.
D'abord, il est dit dans les cercles diplomatiques que Berlin serait totalement rétive à considérer un changement de sa position sur le Sahara après la reconnaissance par l’administration Trump de la souveraineté du Maroc sur le territoire. Une position « qui ferait blocage à une dynamique européenne en faveur du royaume », croit-on savoir dans les milieux diplomatiques, en comparaison avec la France qui serait favorable à un « mouvement concerté des puissances de l’UE, dont l’Allemagne, mais aussi l’Espagne ».
Dans un communiqué du ministère fédéral allemand des Affaires étrangères, diffusé le 11 décembre, l'Allemagne se félicitait d’ailleurs vivement de l'annonce de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël, et de la médiation américaine. Ceci-dit, il a été souligné que « la position du gouvernement allemand sur le conflit du Sahara occidental n'a pas changé. Nous sommes déterminés à parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable sous la médiation des Nations Unies », concluait le communiqué allemand.
Dans la foulée, Berlin demandait le 17 décembre une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations Unies pour évaluer la situation, ce qui pour Rabat était un signe de crispation de la part du poids lourd européen.
Les fondations allemandes accusées d'ingérence par Rabat
Par ailleurs, la négociation du futur « Partenariat pour les réformes multisectorielles » entre le Maroc et l’Allemagne, qui a fait l’objet d’un memorandum signé le 29 novembre 2019 à Berlin, avait été interrompue un mois plus tard.
Objet du conflit, la volonté des influentes fondations politiques allemandes Konrad Adenauer, Friedrich Ebert, Friedrich Naumann, Heinrich Böll et Hanns Seidel, parties prenantes de ce programme doté de 571 millions d’euros pour la période 2020-2022, d'obtenir un statut spécifique au Maroc, qui les considère comme de simples associations.
Or, Abdelouafi Laftit, ministre de l’Intérieur et Nasser Bourita, avaient signifié leur refus à Götz Schmidt-Bremme, ambassadeur d’Allemagne à Rabat qui défendait activement cette revendication. Raison invoquée par Rabat, « la politique d’ingérence » de ces fondations dans les affaires intérieures du Maroc, notamment sur la question des subventions accordées à certaines ONG. De nouveaux éléments sur cette entrisme supposé ont-ils poussé le Maroc à la rupture, comme l'évoquent des sources gouvernementales ?
Andrea Nüsse, l’ex-directrice de l'antenne de la fondation Friedrich Naumann au Maroc, avait quitté le Maroc en 2015, « suite à des pressions des autorités marocaines », avait prétendu son entourage. Les autorités marocaines lui avaient donné un délai de 24 heures pour quitter le territoire, sa présence au Maroc n'était plus souhaitable. Les autorités auraient pris cette décision suite au soutien apporté par la fondation allemande à des activités considérées comme « nuisibles aux intérêts de l'Etat ».
En janvier 2015, Le360 s'est attaqué à la responsable, qualifiant ses sorties médiatiques de « campagne hargneuse » à l'encontre du Maroc. Déjà à l’époque, plusieurs réunions avaient eu lieu entre les responsables des fondations allemandes (Friedrich Ebert, Konrad Adenauer, Friedrich Naumann et Heinrich Böll) et l'ambassadeur d'Allemagne à Rabat, suite à des plaintes du ministère des Affaires étrangères. Les autorités reprochaient à ces ONG de financer « des activités subversives » et les accusaient, indirectement et par voie de presse, « d'ingérence dans les affaires maroco-marocaines ».
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