Protestations Affrontements et émeutes, la France aux allures de guerre civile depuis la mort de Nahel
« Des allures de guerre civile ». C’est avec ces termes que les témoins des affrontements entre civils et forces de l’ordre à Nanterre ont qualifié l’ambiance d'une rare violence qui règne dans plusieurs villes de France.
Les violences urbaines ont repris, vendredi soir, dans plusieurs villes françaises pour la quatrième nuit consécutive, après la mort, mardi, d’un mineur par un tir policier à Nanterre.
Plusieurs centres commerciaux de la région parisienne ont été vandalisés avec la dégradation et le pillage de plusieurs boutiques. Ont notamment été visés les centres Rosny 2, en Seine-Saint-Denis, et Créteil Soleil, dans le Val-de-Marne. Des commerces ont aussi été attaqués dans le centre-ville de Strasbourg.
Alors que le gouvernement a annoncé des moyens supplémentaires face à une éventuelle recrudescence des violences, avec notamment la mobilisation de 45 000 policiers et gendarmes pour cette nuit, des affrontements violents opposent depuis le début de la soirée des jeunes aux forces de l’ordre.
Des images relayées par différentes chaînes françaises montrent des affrontements d’une extrême violence entre des manifestants et les forces de l’ordre notamment à Marseille où plusieurs véhicules sont brûlés, des bennes de poubelle renversées ou incendiées et des commerces pillés, alors que policiers et gendarmes ripostent par tout particulièrement des tirs lacrymogènes.
Dans la ville phocéenne où une armurerie a été pillée, au moins 63 personnes ont été interpellées en marge de ces vives tensions, selon les médias.
A Lyon, 21 personnes ont été arrêtées en marge d'une manifestation interdite en hommage à la victime du tir mortel policier et de violents affrontements ont éclaté, avec notamment des voitures qui ont été brûlées, alors qu’à Grenoble, des devantures ont été brisées et des magasins pillés par des dizaines de jeunes rassemblés dans le centre, au milieu des tirs de mortiers d'artifice, de grenades lacrymogène et d'incendies de poubelles et vélos.
Un peu plus tôt, des voitures avaient été incendiées dans un quartier périphérique, selon des images du quotidien régional Le Dauphiné.
Et comme lors des précédentes soirées, la ville de Toulouse connaît ce vendredi soir de fortes émeutes urbaines, marquées par des échauffourées sur la place du Capitole, selon une source policière citée par Le Figaro. Des feux ont également été déclenchés dans les quartiers du Mirail et de Bagatelle, indique le média.
A Paris, la situation reste tendue avec une forte mobilisation des forces de l’ordre, 5.000 policiers et gendarmes, qui ont dispersé des attroupements de jeunes notamment place l'Opéra au 1er arrondissement.
Plus tôt dans la journée, le gouvernement a annoncé des moyens supplémentaires face à une éventuelle recrudescence des violences, avec le déploiement de 45 000 éléments des forces de l’ordre, de blindés de la gendarmerie, de véhicules Centaure et des VBRG (véhicules blindés à roue de la gendarmerie), et le recours aux drones pour la captation, l'enregistrement et la transmission d'images dans certaines communes de Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Seine.
Par ailleurs, l’exécutif a décidé l'annulation d'événements de grande ampleur, mobilisant des effectifs et pouvant présenter des risques d'ordre public en fonction des situations locales, tandis que plusieurs villes ont instauré des couvre-feux nocturnes.
Dans le cadre de ces violences urbaines qui secouent la France depuis mardi laissant craindre un scénario similaire aux émeutes des banlieues de 2005 suite à la mort de deux jeunes à Clichy-Sous-Bois, dans la petite couronne de Paris, plusieurs pays, dont les Etats-Unis et le Royaume-Uni, ont appelé leurs ressortissants en France ou souhaitant se rendre dans l'Hexagone à la vigilance et à éviter les rassemblements de masse.
Un tir à bout portant
Le 27 juin, Nahel M. a été abattu par une balle de policier, suite à un refus d’obtempérer alors qu’il était au volant d’une voiture. Refusant de s’arrêter, comme on peut le voir sur une vidéo filmée au moment des faits, le policier chargé du contrôle a tiré à bout portant, tuant ainsi le jeune de 17 ans. La voiture s'est ensuite écrasée quelques mètres plus loin.
🔴 Un mort après le tir d’un policier lors d’un « refus d’obtempérer » à #Nanterre pic.twitter.com/S4MLKDcmGQ
&mdash Clément Lanot (@ClementLanot) June 27, 2023
Dans la foulée, une vague de protestations contre les violences policières s’est emparé des réseaux sociaux. Des personnalités publiques diverses se sont exprimées, entre politiciens, sportifs et acteurs culturels, la France entière ne parlait que de la mort de Nahel. Il n’en fallait pas plus pour que les débats se transforment en violence, alors que l’Hexagone vit déjà un contexte politique très tendu où les protestations sont devenues monnaie courante.
La nuit de la mort du jeune Nahel, des première confrontations entre des civils sortis protester (parfois violemment) et les forces de l’ordre ont éclaté en Île de France. La nuit suivante, les confrontations se sont propagées à d’autres villes, comme Marseille, Toulouse et Lyon. La nuit du 29 juin, elles se sont transformées en émeutes. Au lendemain, le décor dans les banlieues parisiennes (et même dans quelques quartiers au centre de Paris) est fait de carcasses de bus, de tramways, des magasins brûlés, des voitures de police et des ambulances carbonisées. La France est en alerte, et sa classe politique réagit, dont son président, Emmanuel Macron.
Nuits noires
« La situation était et a toujours été tendue à Nanterre entre les jeunes et la police. La mort a été la goutte qui a fait déborder le vase, ça ne tenait qu’à un fil » nous confie Youssef, un Marocain qui habite à Nanterre depuis un peu plus de cinq ans. Il a suivi, de loin, l’escalade de violences au fil des nuits.
Le témoin estime que le discours tenu par l’ambulancier, envers les policiers quelques secondes après la mort de Nahel, ont fait partie des éléments qui ont vite engendré la violence. « Là tout le monde est en train de dormir, vous allez voir comment ça va devenir ce soir », disait l’ambulancier avec colère, en anticipant une réaction violente des civils. Il avait été interpellé et reconnu coupable pour outrage, mais dispensé de peine. L’homme a depuis appelé au calme au micro de plusieurs chaînes françaises.
🚨🇫🇷 FLASH | L'ambulancier qui avait interpellé avec colère les policiers après qu'ils ont tiré sur #Nahel a été placé en garde à vue pour outrage et menace.
&mdash Cerfia (@CerfiaFR) June 28, 2023
Une première nuit de violence a eu lieu à Nanterre. Ensuite, c’était effet boule de neige. D’autres villes se sont embrasées. 40 000 policiers et gendarmes ont été mobilisés dont des unités d’intervention spéciales comme la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI) à bord de ses véhicules blindés. Au total, les médias français rapportent que 875 suspects ont été interpellés la nuit dernière, quatre fois plus que dans la nuit d’avant, et ce n’est « pas prêt de s’arrêter », ajoute notre témoin.
« Rien de rassurant jusqu’à présent. Il n’y a aucun signe d’apaisement, pis encore, les jeunes voient ça comme de la concurrence. Ils suivent les affrontements dans d’autres quartiers sur Snapchat et Instagram, et veulent ‘faire mieux’. La situation est encore plus tendue que le jour de la mort du petit, rien ne va dans le sens de l'apaisement », explique-t-il en relevant que ces violences n’ont presque plus rien à voir avec la mort de Nahel, c’est du cumul de haine entre jeunes des cités et policiers qui explose aujourd’hui. « Je ne vois pas de rapport entre la mort du petit et le magasin de Louis Vuitton pillé dans le centre de Paris, ou encore les écoles et pharmacies brûlées », relate Youssef.
La situation a dégénéré encore plus d’après un second témoin, qui habite Asnières-sur-Seine, autre lieu de confrontations. « Les jeunes du quartier font du ravitaillement. Entre cocktails molotov, fumigènes et missiles fumigènes, ils s’arment véritablement et les autorités le savent. Je crains le pire ce week-end », nous déclare Fouzi, un Marocain résidant dans la région parisienne depuis plus de 20 ans et qui affirme « n’avoir jamais vu des trucs comme ça, ni ressenti autant de haine entre les deux camps ». « Même pour les confrontations après la mort des petits Zyed et Bouna en 2005, ce n’était pas aussi tendu », ajoute-t-il avec beaucoup d'inquiétude.
Compilation de tout ce qu’il s’est passé c’est encore pire qu’hier une dinguerie #emeutes pic.twitter.com/omB7TElD67
&mdash Memo 🇹🇷 (@MemoKtr75) June 30, 2023
Panique à l’Elysée
D’après les chiffres officiels de l’Elysées, le bilan des confrontations est alarmant. Le gouvernement français compte 492 bâtiments atteints, 2 000 véhicules brûlés et 3 880 incendies de voie publique allumés la nuit dernière.
Elisabeth Borne, la première ministre a tout d’abord remercié les forces de l’ordre mobilisées depuis que les violence sont éclatés. Ce matin, alors qu’elle va prendre part à une réunion avec Emmanuel Macron, elle confirme que le gouvernement est ouvert à « toutes les hypothèses » pour maintenir l’ordre et faire regagner le calme.
Macron quant à lui a écourté son séjour à Bruxelles en quittant le sommet européen sans conférence de presse finale, selon les informations relayées par l’AFP. Le président français affirme que toutes les solutions sont envisageable « sans tabou » et qu’il attend des propositions de son ministre de l’intérieur et la première ministre pour continuer de s’adapter. Il a appelé « tous les parents à la responsabilité » en conclusion de la réunion de crise du gouvernement. « La République n’a pas vocation à se substituer à eux », a notamment déclaré le chef de l’Etat français, après avoir condamné « avec la plus grande fermeté toutes celles et ceux qui utilisent cette situation et ce moment pour essayer de créer le désordre et d’attaquer nos institutions ».
Le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, a détaillé dans une circulaire la réponse pénale « rapide, ferme et systématique » qu’il souhaite voir appliquée à l’encontre des auteurs de violences urbaines, y compris à l’égard des mineurs et de leurs parents.
Dans un long message relayé sur Twitter par Kylian Mbappé, les joueurs de l’équipe de France de football appellent au calme face à ce qu’ils appellent « un véritable processus d’autodestruction ».
— Kylian Mbappé (@KMbappe) June 30, 2023
En attendant, les hypothèses d’un potentiel couvre-feu imposé et l'état d'urgence se renforcent. Puisque les bus et tramways de l’Île de France ont été interrompus à 21 heures, jusqu’à nouvel ordre « pour la sécurité des agents et des voyageurs » indique un communiqué de la société en charge de la mobilité de la région (IDFM). La ville de Lyon a pris la même décision pour les transport publics, annonce Le Monde.
L’ONU pour sa part, a exprimé son inquiétude quant aux « profonds problèmes de racisme parmi les forces de l’ordre en France ». Les prochaines nuits risquent d’être encore plus longues.
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