Le bloc notes de la rédaction
Le moussem d’Imilchil, un patrimoine ancestral qui agonise
Jeudi 25 août dans la commune de Bourazmou, province de Midelt. Alors que la scène qui devait accueillir les troupes venues se produire dans le cadre de la musique des Cimes est fin prête, la Fondation Imilchil du développement et de l’environnement (FIDE) qui organise l’événement est prise au dépourvu. « La gendarmerie nous a signifié la décision de l’annulation du concert sans avancer d’explication. On sait seulement que cette décision a été prise par le gouverneur de la province de Midelt », constate Mohamed Daamti, président de la FIDE. Résultat, une grosse perte sèche pour l’organisation qui doit débourser des sommes conséquentes pour dédommager les artistes.
Une interdiction amplement justifiée selon un membre de l’association Assif Melloul pour le développement rural à Imilchil : « la région continue à subir des intempéries qui rendent les routes impraticables et risquent de mettre en danger les visiteurs. Sans oublier que le président de la FIDE a pris la décision d’organiser le festival sans coordination avec les autorités locales ». En plus, des couacs liés à l’organisation, c’est le moussem des fiançailles qui est en passe de disparaître.
Retour sur une légende
Depuis les années 80, le moussem des fiançailles d’Imilchil attire des touristes du monde entier. Entre le grand souk du bétail, les chants et les danses folkloriques, les épousailles traditionnelles étaient le clou du spectacle du moussem, dernier écho des traditions guerrières des tributs amazighes des Ait Hadiddou. Cet événement était également l’occasion de découvrir les splendeurs du sud-est du Maroc, notamment les lacs Tislit (la fiancée) et Isli (le fiancé) situés sur les contreforts du Haut-Atlas oriental et de s’imprégner de la légende de leur idylle interdite.
« La délégation régionale de l’office du tourisme communiquait beaucoup autour de l’événement en fixant les dates et le programme du festival. Depuis 2003, les choses ont commencé à se gâter et dernièrement, on ne peut même plus prendre les réservations des clients à cause du manque de visibilité » nous confirme Mohamed, gérant de l’hôtel Izlane, un des plus anciens établissements de la région.
Pour comprendre la déconfiture annoncée de ce moussem, il faut remonter à 2003 quand le festival de la musique des cimes est venu se greffer au traditionnel moussem d’Imilchil. Un soutien porteur d’inconvénients : la multiplication des interlocuteurs combinée à la pression des tribus de la région qui revendiquent la paternité de l’événement, va compliquer la situation. « Les associations locales, qui ont souvent des intérêts divergents, ont fait montre d’une rivalité quant à l’organisation de ces fiançailles. La crise est arrivée à son paroxysme cette année puisque le festival organisé par la FIDE a été annulé alors qu’un autre moussem des fiançailles sera organisé les 22, 23 et 24 septembre », relate Mohamed.
La fin d’une époque ?
En plus des aspects organisationnels, d’autres facteurs viennent aussi mettre en péril la pérennité de cet événement d’une richesse culturelle inestimable. Selon Mohamed, il s’agit du changement des mentalités et la relative amélioration de l’infrastructure routière.
« Traditionnellement, le grand souk de bétail et des produits alimentaires qui accompagne le moussem était l’occasion pour les habitants de la montagne de constituer leur stock de denrées de première nécessité avant que les routes de montagne ne soient impraticables des mois durant par la neige. Les nouvelles routes récemment construites, malgré leur qualité moyenne, ont participé au désenclavement des ces villages », analyse Mohamed.
L’autre facteur réside dans l’évolution des mentalités dans la région. « Le changement des modes de consommation et l’accès aux médias audiovisuels ont eu un impact particulier sur les jeunes qui s’identifient plus aux héros des séries télévisées turques que dans les traditions. Il est quasi impossible de trouver des femmes qui s’habillent encore à l’ancienne dans ces régions », avance un membre de l’association Assif Melloul, qui rajoute : « les gens sont plus occupés par le développement des infrastructures et l’emploi que par la célébration d’une tradition synonyme pour eux de temps révolus ». Ce qui n’est pas de l’avis de Mohamed, qui considère que la conservation du cachet local est l’unique voie au développement de la région : « Le moussem doit être repensé de fond en comble. Il appartient au ministère de la Culture et celui du Tourisme d’en faire un événement incontournable sur l’agenda de la région et en faire un outil de développement de cette région qui compte parmi les plus pauvres du royaume », martèle Mohamed.
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