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Le bloc notes de la rédaction

L'une des tombes récemment découvertes, bordées de pierres, appelées ciste funéraire. Crédit : Hamza Benattia
Archéologie

Péninsule de Tanger : un carrefour spirituel et rituel datant de la préhistoire

14.05.2025 à 19 H 53 • Mis à jour le 14.05.2025 à 19 H 53 • Temps de lecture : 7 minutes
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Des archéologues travaillant dans la péninsule de Tanger ont découvert d'anciens cimetières, de l'art rupestre et des menhirs. Depuis la fin de l'âge de pierre, la région est une porte d'entrée entre l'Europe et l'Afrique, ainsi que l'Atlantique intérieur et la Méditerranée

Située à la jonction du détroit de Gibraltar, la péninsule de Tanger apparaît désormais comme un centre majeur des échanges spirituels et culturels dès la fin du Néolithique. Les chercheurs dirigés par Hamza Benattia, Jorge Onrubia-Pintado et Youssef Bokbot ont mis en évidence une concentration exceptionnelle de sites rituels et funéraires, parmi lesquels figurent des tombes mégalithiques, des cercles de pierres dressées, des abris ornés de peintures rupestres et des structures monumentales encore inexplorées jusqu’à présent.


La ciste de Daroua Zaydan, un jalon historique inédit

La découverte la plus emblématique de ces recherches est celle de la ciste mégalithique de Daroua Zaydan, datée par radiocarbone entre 2119 et 1890 avant J.-C. Cette sépulture en chambre de pierre constitue la première datation scientifique de ce type de monument en Afrique du Nord-Ouest, établissant un repère chronologique fondamental pour les traditions funéraires de la région à l’âge du Bronze ancien. Les fouilles ont révélé l’absence de restes humains à l’intérieur de la ciste, mais des ossements retrouvés à proximité laissent supposer un pillage ancien. Parmi les vestiges mis au jour figurent des éclats de silex et des outils en cuivre, notamment des pointes de type Palmela et des hallebardes similaires à celles retrouvées dans les sites funéraires ibériques de la même époque.


Mzoura : l’énigme d’un cromlech monumental

Le site de Mzoura, à une quarantaine de kilomètres au sud de Tanger, représente une autre énigme archéologique majeure. Ce cromlech monumental, composé de 176 pierres dressées, certaines atteignant plus de cinq mètres de hauteur, encercle un tumulus de 55 mètres de diamètre et de six mètres de haut. L’analyse des blocs de pierre a révélé que si les mégalithes ont été façonnés avec des outils lithiques, les blocs internes du tumulus portent les marques d’outils métalliques, suggérant une réutilisation du site à l’époque maurétanienne. Toutefois, la disposition des pierres et la présence de trilithons rappellent des pratiques bien plus anciennes, similaires à celles observées en Atlantique nord-européen au IIIe millénaire avant notre ère.


Les pratiques funéraires de la région révèlent une grande diversité et une évolution progressive. Les sépultures en grottes, telles que celles découvertes dans les grottes d’Achakar et de Hafa II, ont livré des corps inhumés en position fœtale, parfois recouverts d’ocre rouge, selon un rituel largement répandu durant la préhistoire. Les tumulus et bazinas, ces monuments en pierres accumulées ou en forme de pyramides tronquées, ponctuent le paysage de la péninsule, souvent associés à des sépultures de personnages de haut rang. À partir du VIIIe siècle avant J.-C., les hypogées, des tombes souterraines inspirées des pratiques phéniciennes, font leur apparition, mais elles conservent des objets rituels typiques des cultures locales.


Les chercheurs ont également documenté de nouvelles découvertes en art rupestre, notamment à l’abri de Magara Sanar, où les parois sont ornées de scènes de chasse, de figures anthropomorphes et de symboles géométriques tracés avec des pigments rouges et jaunes. Ces peintures présentent des similitudes frappantes avec celles découvertes dans le sud de l’Espagne et les régions sahariennes, illustrant l’existence d’une culture symbolique partagée entre les deux rives du détroit.


Les échanges transméditerranéens révélés par ces découvertes ne se limitaient pas aux biens matériels. Les analyses isotopiques menées sur les ossements humains indiquent une alimentation mêlant produits terrestres et ressources marines, preuve d’une économie variée et ouverte. Les tombes ont livré des objets d’importation, tels que des perles en cornaline provenant des régions sahariennes et des coquillages atlantiques, attestant de réseaux commerciaux étendus.


Les analyses isotopiques des ossements révèlent un mode de vie sédentaire, fondé sur une alimentation mêlant ressources agricoles et marines. Les tombes livrent des objets importés, tels que des perles sahariennes et des coquillages atlantiques. Un poignard de type Ballintober, issu des Îles Britanniques, retrouvé dans le lit du fleuve Loukkous, atteste même de contacts directs avec les cultures atlantiques les plus lointaines.


El Mriès et Kach Kouch : entre destruction et révélations

L’étude s’est aussi penchée sur des sites menacés. À El Mriès, la destruction partielle du cimetière de l’âge du Bronze a révélé, malgré tout, un matériel archéologique remarquable, incluant un poinçon en cuivre pur et des céramiques finement décorées. À Kach Kouch, les fouilles ont permis de reconstituer l’existence d’une économie agropastorale structurée et de démontrer l’importance de ce site dans les échanges commerciaux avec les façades méditerranéenne et atlantique.


L’étude s’est également penchée sur des sites récemment menacés ou en grande partie détruits. À El Mriès, un cimetière de l’âge du Bronze a été gravement endommagé par des travaux de terrassement qui ont rasé une partie de la colline, détruisant près de 40 % des sépultures. Les archéologues y ont tout de même récupéré un poinçon en cuivre pur et quelque deux cents fragments de céramique décorée, dont les motifs rappellent ceux découverts dans les grottes d’Achakar et dans les niveaux protohistoriques des grottes de Ghar Cahal et de Kaf That el Ghar. Ces découvertes viennent renforcer l’idée que des objets métalliques, sans doute plus nombreux, ont disparu à la suite de pillages anciens, comme l’atteste la mention dans des archives de la disparition d’une hallebarde et de plusieurs pointes de type Palmela à cette même époque.


Le site de Kach Kouch, quant à lui, a permis de mieux comprendre l’organisation socio-économique de la région. Occupé de la fin du IIIe au début du Ier millénaire avant J.-C., ce site présente des installations agricoles sophistiquées, avec des silos creusés dans la roche, des maisons circulaires en pisé et des vestiges de plantes domestiquées. Ces éléments attestent d’une sédentarisation avancée et d’une économie mixte, fondée à la fois sur l’agriculture et l’élevage. Kach Kouch se distingue aussi par sa position stratégique, facilitant les échanges commerciaux avec les deux façades maritimes, l’Atlantique et la Méditerranée, et avec l’intérieur du continent africain.


Premiers résultats isotopiques et génétiques

Les premières analyses isotopiques menées sur les ossements humains retrouvés à proximité de la ciste de Daroua Zaydan livrent des résultats particulièrement instructifs. Elles indiquent que l’individu inhumé avait une alimentation essentiellement basée sur les ressources terrestres, incluant des protéines animales et des plantes cultivées de type C3, telles que le blé et l’orge. Une consommation modérée de ressources marines a également été détectée, probablement sous forme de poissons ou de coquillages provenant des côtes atlantiques voisines. Ces résultats confirment l’existence d’un mode de vie sédentaire bien établi, lié à des pratiques agricoles et pastorales, tout en maintenant une ouverture vers l’exploitation des ressources maritimes.


En parallèle, les premières analyses ADN, bien que non encore définitives, suggèrent des marqueurs génétiques mixtes, témoignant d’une ascendance locale et d’influences en provenance du sud de la péninsule Ibérique. Ce croisement génétique apporte un éclairage nouveau sur les mouvements de populations et les échanges humains à travers le détroit de Gibraltar, confirmant l’hypothèse d’une forte connectivité entre les deux rives bien avant les grands mouvements commerciaux et culturels de l’époque phénicienne.


Ainsi, loin de constituer une périphérie isolée, la péninsule de Tanger s’impose comme un véritable centre névralgique des échanges spirituels, économiques et culturels durant la préhistoire. Cette étude pionnière remet en cause les récits historiques traditionnels et invite à explorer plus avant un territoire qui fut, bien avant l’émergence des royaumes antiques, un espace d’interactions où se croisaient les grandes civilisations.

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Le Desk Culture