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Le bloc notes de la rédaction

Expo

Quand Tanger accueillait les plus contestataires des écrivains américains

15.07.2016 à 14 H 08 • Mis à jour le 24.07.2016 à 22 H 49 • Temps de lecture : 4 minutes
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La Beat Generation est née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à New York, de la rencontre de trois écrivains américains, William Burroughs, Allen Ginsberg et Jack Kerouac. Ferment de la contre-culture, ce mouvement choque l'Amérique corsetée. Il s'étend bientôt en Californie, au Mexique, en passant par Paris et Tanger. Le Centre Pompidou à Paris lui consacre une expo majeure. Visite guidée.

Voix et musiques diverses se mêlant, petites télévisions allumées, écrans suspendus sur lesquels défilent en noir et blanc de mystérieux films mi-hermétiques, mi-burlesques, vitrines sous lesquelles on peut voir disséqués divers petits ouvrages qu'on aimerait feuilleter, affiches fluorescentes et coupures de journaux au mur, instantanés Kodak légendés par Allen Ginsberg : le centre Pompidou consacre cet été une exposition à la Beat Generation.


Celle-ci est à la mesure de son sujet : dérangeante, et paradoxale à bien des égards. Ne serait-ce que parce que si William S. Burroughs est l'auteur d'œuvres picturales, si Allen Ginsberg a pris des centaines de photos, les auteurs du Festin Nu et de Howl sont avant tout des écrivains, et que l'exposition se doit de rendre compte d'œuvres qu'elle ne peut vraiment montrer, comme celle de Jack Kerouac dont le rouleau tapuscrit de Sur la Route, une longue bande de papier calque, traverse toute l'exposition, tel une route textuelle qui mime celle sur laquelle circule le lecteur. Et c'est en effet le parti-pris de l'exposition de mettre le visiteur en situation.


Brion Gysin, Calligraphie , 1960 – encre de Chine sur papier marouflé sur toile, 192 × 282 cm. La calligraphie est une constante de l’œuvre picturale de l’Anglais Brion Gysin. Pendant la seconde guerre mondiale, il avait appris plusieurs styles avec un maître calligraphe japonais. Mais c’est surtout son long séjour à Tanger, à partir des années 1950, et sa connaissance de l’écriture arabe, qui ont une importance décisive. GALERIE DE FRANCE/JONATHAN GREET


Plus qu'à un parcours informatif, le centre Pompidou convie le visiteur à une immersion, un voyage, ponctué de visions et d'expériences sonores. Pour les yeux, des films - tel Pull My Daisy, réalisé par Robert Franck, dont on peut aussi admirer une dizaine de photos tirées de l'iconique série Les Américains  des poèmes écrits sur les murs - en particulier le très beau New York de Philip Lamantia  des visages en noir et blanc immortalisés sur des clichés déteints, Kerouac, Burroughs, Ginsberg, mais aussi, au détour d'un cliché, des célébrités du jazz ou encore James Baldwin. Pour les oreilles, des poèmes téléphoniques qui sont récités dans l'écouteur quand on compose un numéro sur l'un des quatre vieux appareils vintage alignés à l'entrée de l'exposition, des morceaux de jazz, bande-son de films. On peut admirer quelques reliques, les premiers postes de TSF miniaturisés, un tourne-disque et des pochettes de 33-tours, un rouleau à composer de la poésie mécanique qui semble droit sorti du cerveau d'un Oulipien facétieux, une tenue complète de Jack Kerouac, des baskets à la casquette en passant par la ceinture, mais elles surgissent au détour d'un parcours libre, car on circule presque sans s'en rendre compte entre les espaces qui s'ouvrent de part et d'autre de la colonne vertébrale symbolique que constitue le manuscrit de Kerouac.


Tanger la sulfureuse, une étape sereine

Si l'exposition donne une impression de continuité, de plongée un peu magique dans un autre temps qui se déploie au fur et à mesure que le visiteur avance, chaque salle cependant correspond à un lieu spécifique : New York, San Francisco, Paris, Tanger.


Beat on the beach. En 1957, sur la plage de Tanger, les poètes Peter Orlovsky (à gauche) et Jack Kerouac posent, leurs boxers transformés en costumes de bain, tandis que l’écrivain William S. Burroughs fait la sieste tout habillé. CORBIS


C'est en effet à Tanger, entre 1954 et 1957, que William Burroughs rédige le manuscrit de ce qui deviendra l'un des livres-phare du XXème siècle, le Festin Nu. Tanger, zone franche jusqu'en 1956, est dans ce roman l'Interzone trouble où évoluent des personnages marginaux  sur les murs du centre Pompidou, cependant, ce sont plutôt les traces d'une étape sereine qui sont données à voir, à écouter. Au mur, à côté de photomontages de Burroughs qui a développé cette technique pendant son séjour, divers clichés pris par ce dernier ou par Ginsberg montrent les visages souriants de nombre de ces artistes américains en quête de spiritualité et de liberté qui ont trouvé un moment refuge sur le rivage marocain. Les enregistrements de Paul Bowles, américain qui s'est installé à Tanger en 1947 et a servi de guide et d'hôte a ses compatriotes plus jeunes, sont diffusés : il s'agit de quatre CD enfin intégralement édités cette année par Dust-to-Digital, réunissant diverses musiques arabes et berbères enregistrées dans tout le Maroc entre juillet et décembre 1959. Plusieurs huiles de Bryon Gysin, artiste qui tenait à Tanger un restaurant nommé Les Mille et Une Nuits dans les années cinquante, déclinent des teintes roses et brunes, des lignes horizontales (Vent de Sable (Sahara), Trucks Track (Sahara), et Sans Titre (Sahara).) Ces paysages épurés, abstraits, contemplatifs, semblent autant d'instantanés glanés au cours d'une traversée qui rappelle que les écrivains de la Beat Generation furent avant tout des voyageurs et des expérimentateurs, habités par la volonté de tester nombre de limites  rien d'étonnant si tant d'entre eux se sont un moment retrouvés au confluent de la Méditerranée et de l'Atlantique, à la jonction de la terre et de l'eau, dans une ville cosmopolite entourée d'espaces sauvages.


Beat Generation au Centre Pompidou à Paris du 22 juin au 3 octobre 2016.

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