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n°97.Les dessous de la sévère mise en garde du Maroc à l’Union Européenne

06.02.2017 à 13 H 31 • Mis à jour le 06.02.2017 à 13 H 57 • Temps de lecture : 10 minutes
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Le Maroc agite le spectre d’une reprise des flux migratoires vers l’Europe et menace même de mettre un terme à la coopération économique avec l’UE en se tournant vers d’autres partenaires, si Bruxelles n’offre plus « le cadre nécessaire » et les « meilleures conditions » dans l’application de l’Accord agricole. Une réaction suscitée par les risques d’effet « tâche d’huile » sur l’Accord de pêche en renégociation, mais aussi sur la future coopération énergétique

Pointe d’exaspération, menaces à peine voilées, Rabat, par la voix de Aziz Akhannouch, a sévèrement mis en garde très tôt ce matin, l’Union européenne dans un communiqué au ton sec, de toute velléité à vouloir opposer des conditions à la réactivation des accords liant le royaume à l’Europe, notamment celui ayant trait au volet agricole.


« L'Union Européenne doit assurer le cadre nécessaire pour l’application dans les meilleures conditions des dispositions de l'Accord agricole la liant au Maroc », indique le ministère de l’Agriculture et de la Pêche Maritime, dans un texte diffusé par l’agence de presse officielle MAP.


 « Le Maroc et l’Union Européenne sont liés par un accord agricole dont l’application est effective sur le territoire du Royaume du Maroc, et ce, malgré un épisode judiciaire qui a, en toute logique, confirmé le protocole agricole entre le Maroc et l’Union Européenne », affirme le ministère dans un communiqué.


« Ainsi, celui-ci doit désormais s’appliquer conformément à l’esprit qui a présidé à sa négociation et sa conclusion », souligne le communiqué, ajoutant que l’Union Européenne doit assurer « le cadre nécessaire pour l’application des dispositions de cet accord dans les meilleures conditions ».


Des contraintes consécutives à l’arrêt de la CJUE

En somme, Rabat refuse toute contrainte consécutive à l’arrêt rendu le 21 décembre 2016 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui rappelle que le Maroc et le Sahara occidental sont deux territoires distincts selon le droit international et que tout accord entre Rabat et Bruxelles susceptible d’y être appliqué doit au préalable obtenir le consentement de son « peuple ».


Si l’arrêt de la CJUE permet de maintenir sous sa forme actuelle l’accord agricole Maroc-UE conclu en 2012, il a soulevé la question de son application « de facto » au Sahara occidental, qui est toujours inscrit sur la liste des « territoires non-autonomes » de l’ONU.


La Commission Européenne ainsi que le Conseil Européen ont la responsabilité « de neutraliser les tentatives de perturbation par des positions et un discours clairs et cohérents avec des décisions que ces instances ont, elles-mêmes, portées et adoptées », note le ministère.


Depuis l’arrêt rendu par la CJUE, le Polisario fait feu de tout bois pour transformer l’essai sur le terrain. Lors d’un échange de vues organisé début janvier au parlement européen avec les membres de la commission Affaires étrangères, le directeur MENA au sein du Service européen pour l’action extérieure, Nicholas Westcott, a expliqué que l’arrêt de la CJUE est « contraignant » pour l’UE et ses états membres et qu’une analyse était toujours en cours par les services juridiques européens pour en déterminer toutes les implications.


Les eurodéputés présents à cet événement se sont surtout montrés inquiets concernant l’avenir des relations entre le Maroc et l’UE dans certains domaines-clés (migration, terrorisme, commerce), Rabat ayant décidé en 2015 de suspendre tout contact avec Bruxelles après le verdict rendu en première instance par le tribunal de l’UE, qui annulait partiellement l’accord agricole.


Leurs inquiétudes n’ont pas été démenties : Si le Maroc et l’Union Européenne partagent une riche expérience de coopération, a relevé le communiqué de Aziz Akhannouch, il ajoute sur le ton de la mise en garde que « l’accord agricole et de la pêche en compte parmi les exemples les plus réussis et il est primordial de le préserver au risque de déclencher de lourdes conséquences au plan socioéconomique, dont l’UE assumera l’entière responsabilité ».


Le ministère indique que « toute entrave à l’application de cet accord est une atteinte directe à des milliers d’emplois d’un côté comme de l’autre dans des secteurs extrêmement sensibles ainsi qu’un véritable risque de reprise des flux migratoires que le Maroc, au gré d’un effort soutenu, a réussi à gérer et à contenir », confirmant le message qu’avait transmis l’eurodéputé français Aymeric Chauprade, élu sous l’étiquette du Front national et proche des milieux sécuritaires marocains, qui avait même accusé l’UE de vouloir « saboter un partenariat qui marche ».

 

La marge de manœuvre de l’UE est limitée vis-à-vis du Maroc, où l’arrêt de la CJUE est considéré nul et non-avenu. « Le futur du Sahara ne sera pas décidé par un juge, dans un tribunal », avait déclaré le ministre délégué aux Affaires étrangères Nasser Bourita à l’issue du verdict. En pratique, il n’y a d’ailleurs aucune distinction entre les fruits et légumes cultivés au Sahara ou dans le reste du royaume, tous étiquetés « Maroc » avant d’être expédiés sur les étals européens, mais le Polisario a depuis des années intensifié son lobbying pour qu’une distinction territoriale soit prise en compte par l’UE. L’arrêt de la CJUE lui a donné du carburant dans cette offensive.


« Le débat sur l’étiquetage des produits ne nous intéresse pas », avait affirmé début janvier au Desk, Gilles Devers, l’avocat du Polisario. Celui-ci exige désormais d’être directement impliqué dans toute négociation sur les activités économiques du territoire et c’est cela qui met aujourd’hui en rogne Rabat.


L’Accord de pêche en ligne de mire

Si le communiqué du ministère de l’Agricole s’en tient dans l’exposé de ses griefs à l’Accord agricole sans en préciser les risques au demeurant minimes sur les fruits et légumes, c’est qu’en revanche l’actuel accord de pêche, qui couvre explicitement les eaux du territoire saharien est lui potentiellement menacé. Le protocole entré en vigueur en 2014 fixe en effet un quota annuel de 80 000 tonnes de sardines et maquereaux, réservé aux navires européens de la pêche industrielle dans une zone située au large du Sahara (« stock C »).


En 2011, celui-ci n’avait pas été renouvelé par le parlement européen, obligeant la Commission européenne et les autorités marocaines à négocier les termes du nouveau protocole actuellement en vigueur, qui doit être renouvelé en 2018.


Le service juridique du parlement européen a donné son feu vert en 2013 en reprenant l’argument de la Commission européenne selon lequel l’application de l’accord au Sahara est conforme au droit international tant que les activités et la contrepartie financière bénéficient à la population locale. C’est pourquoi l’UE a exigé du Maroc un reporting précis sur l’utilisation des fonds dans le territoire.


Face à l’opposition de Rabat, une solution intermédiaire a été trouvée : un rapport de suivi est présenté et discuté chaque année au sein de la commission mixte UE-Maroc, instituée par l’accord. Ce rapport ne couvre pas seulement le Sahara mais l’ensemble du territoire marocain.


Le Polisario conteste l’interprétation juridique de la Commission européenne, qui se concentre uniquement sur les retombées socio-économiques de l’accord, en faisant abstraction de la « volonté du peuple du Sahara occidental ». Le mouvement indépendantiste a déposé en 2014 un recours en annulation contre l’accord de pêche auprès du Tribunal de l’UE. Son principal argument consiste à dire qu’en tant que « représentant » de la population sahraouie, il n’a pas été consulté lors des négociations entre Bruxelles et Rabat, ni donné son accord.


L’arrêt de la CJUE du 21 décembre dernier va partiellement dans son sens : la Cour de justice estime que la question des retombées de l’accord agricole (positives ou négatives) pour la population n’est pas pertinente à partir du moment où son consentement n’a pas été obtenu.


Si le Polisario et Bruxelles ne trouvent pas de terrain d’entente, la procédure sur l’Accord de pêche suivra son cours devant le tribunal de l’UE. Après l’échange des mémoires écrits de chaque partie, les magistrats doivent désormais fixer la date de l’audience.


En réaction, le Maroc martèle aujourd’hui avoir conduit « une politique volontariste et fortement engagé dans le secteur agricole pour œuvrer à la stabilité des populations et leur sécurité alimentaire à travers une expérience reconnue au niveau du continent », fait valoir le communiqué, soulignant que le Royaume « reste déterminé à poursuivre cette politique de soutien à l’essor d'une agriculture africaine performante à travers l'assistance technique, l’accès aux engrais et l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire », mettant ainsi en avant la projection de l’économie marocaine sur le continent.


En écho à la déclaration de Miguel Arias Cañete

L’inquiétude du Maroc, perceptible dans son communiqué du 6 février, intervient dans une séquence mouvementée entre Rabat et Bruxelles. Elle fait écho à la réponse écrite datée du 31 janvier de Miguel Arias Cañete, commissaire européen chargé de l’action pour le climat et de l’énergie aux questions de trois députés européens Verts/Alliance Libre Européenne, Florent Marcellesi, Josep-Maria Terricabras et Jill Evans, Miguel Arias Cañete concernant la coopération future dans le domaine de l'énergie renouvelable entre le Maroc et certains pays de l’UE.


Cañete a déclaré que « la déclaration (sur l’échange d’électricité renouvelable ndlr) sera mise en œuvre en tenant dûment compte du statut distinct et séparé du territoire du Sahara occidental selon le droit international », faisant ainsi directement référence à l’arrêt de la CJUE. Ce qui n’a pas manqué de provoquer l’ire de Rabat qui via l’agence MAP, a vivement fustigé l’euro-commissaire.

 

« La réponse de Cañete signale un changement dans la position de la Commission européenne vis-à-vis du Sahara Occidental. Alors qu'avant, la Commission déclarait systématiquement que le Sahara Occidental était administré de facto par le Maroc - une théorie que la Cour a jugé invalide - elle reconnaît maintenant le « statut séparé et distinct » du territoire », commente avec satisfaction Western Sahara Ressource Watch (WSRW), un site de monitoring des activités économiques au Sahara proche du Polisario.


« Il y a une ironie particulière à ce que la première reconnaissance déclarée soit de Miguel Arias Cañete, lui qui, dans sa position antérieure en tant que ministre de l'Espagne pour la pêche a fait campagne sans relâche en faveur de l'accord de pêche UE-Maroc, appliqué dans les eaux du Sahara Occidental », relève WSRW qui rappelle justement que la CJUE devrait cette année entamer une procédure pour évaluer la légalité de l'inclusion du Sahara Occidental dans la zone d'application de l'Accord de pêche.


Des menaces qui évoquent une rupture avec l’UE

 « Les actes visant à dresser des obstacles devant l'entrée des produits marocains sur les marchés européens doivent être sanctionnés et traités avec la plus grande fermeté de la part de notre partenaire européen », affirme le communiqué du département de Aziz Akhannouch, notant que de « telles nuisances mettent en péril un édifice de coopération construit sur de nombreuses années ne laissant de choix au Maroc que de s’en détourner au profit d’une accélération de partenariats initiés dans des pays et régions diverses notamment la Russie, la Chine, l’Inde, le Japon, les pays du Golfe ainsi qu’auprès de nos voisins africains  ».


Et de souligner que « l’absence d'un engagement franc de la part de l'UE imposera au Maroc un choix décisif où il sera question de préserver un partenariat économique patiemment entretenu ou de s'en défaire sans retour pour se focaliser sur la construction de nouvelles relations et circuits commerciaux ».


« Le Maroc s'inscrit dans une démarche constructive avec son partenaire historique. Il est, toutefois, nécessaire que l’Union européenne veille à la préservation de ces relations avec un pays qui a démontré sa fiabilité en tant que partenaire et ce, dans un cadre global où les échanges commerciaux dans les secteurs agricole et de la pêche sont une partie d'un tout », conclut le ministère.

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