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Grand angle

Avec les premiers secours à Talat N’Yaaqoub (1/2)

10.09.2023 à 15 H 26 • Mis à jour le 15.09.2023 à 13 H 29 • Temps de lecture : 8 minutes
Par et
REPORTAGE.
La commune rurale de Talat N’Yaaqoub, située dans l’œil du séisme qui a frappé la province d’Al Haouz fait partie des plus meurtries. Pour y accéder les premiers contingents de secouristes, appuyés par des éléments de la Gendarmerie royale et des FAR ont dû ouvrir la route sinueuse jonchée d’éboulis. Le Desk les a accompagnés


(De nos envoyés spéciaux à Talat N'Yaaqoub, 101,2 km au sud de Marrakech)


Des sirènes d’ambulances, des cris d’enfants et le bruit assourdissant des rotors d’hélicoptères. C’est le fond sonore qui aura animé cette petite commune de Talat N'Yaaqoub, en cet après-midi de samedi. Nous sommes à quelques kilomètres des collectivités rurales, à l’épicentre du séisme d’Al Haouz ayant fait jusqu’à présent 2 012 morts.


Sur place, les habitants patientent assis à même le sol. Certains se protégeant du soleil dardant dans une ambiance, comme ces trois femmes assises devant leur maison détruite : « Nous n’avons perdu personne, juste la maison où on habitait. Et on a soif par contre ».


D’autres pleurent. C’est le cas de cette petite fille en larmes, réconfortant son père après le décès de sa mère.


A première vue paisible, Talat N'Yaaqoub est aujourd’hui rasée. Peu de bâtiments tiennent encore debout. Le siège de sa commune n’est que ruine. L’école du coin aussi, même chose pour le dispensaire de la petite bourgade, arborant encore les affiches de la campagne de vaccination anti-Covid 19.


Un bâtiment administratif de Talat N'Yaaqoub éventré par le séisme. Crédit: Le Desk


Sur place, aucun réseau de téléphonie mobile n’est fonctionnel. Ni d’eau, ni d’électricité depuis vendredi soir, comme nous le confient les habitants. Coupé du monde, et isolé, Talat N'Yaaqoub n’a reçu les premiers secours que vers la fin de matinée du samedi, à travers un hélicoptère de l’armée. Des vivres essentiellement, mais aussi les premières aides médicales. Les militaires, avec leurs camions et leurs ambulances, ne viendront que vers 16 heures, comme nous le confirme un adjudant des Forces armées royales (FAR) déjà présent sur les lieux avec sa troupe.


Un parcours du combattant

Pourquoi ce retard ? Pour le comprendre, il aura fallu surmonter un parcours de combattant pour arriver à cette ville, que nous avons entamé vers 13 heures, pour finir par stationner à la place centrale de Talat N'Yaaqoub que vers 17 heures.


De Marrakech à Ouirgane, la route est on ne peut plus tranquille. Quelques échoppes endommagées la jonchent, de part et d’autre de la chaussée. Au loin, on aperçoit les petits douars touchés par les premières ondes de la secousse. Leurs habitants attendent les secours devant leurs maisonnettes fissurées.


Des constructions en ruine sur la route de Talat N'Yaaqoub. Crédit: Le Desk


À Ouirgane, tout change. Nous sommes à une vingtaine de kilomètres de l’épicentre. Ici,  les habitants peinent toujours à se relever du sinistre. Les recherches et les opérations de secours se poursuivent.  « Ils ont fait sortir Oumaima ou pas encore ? », lance une infirmière à un secouriste en plein opération de sauvetage. On apprendra plus tard que la jeune victime n’en sortira pas sauve. Épaulés par la Gendarmerie royale, dont un des sous-officiers est chargée de photographier les visages des défunts, les secouristes sortent les corps un par un. Selon les chiffres qui nous ont été fournies ce samedi vers 15h, une trentaine de personnes ont perdu la vie. Près de 25 sont encore sous les décombres.


Au-delà de Ouirgane

Et puis nous poursuivons notre route. Laissant derrière nous Ouirgane, c’est sur une route sinueuse, étroite et dangereuse que se faufile notre équipe. Devant elle, cinq ambulances qui doivent rejoindre Talat N'Yaaqoub. Des bus de cadets de la gendarmerie, dont on comprend qu’ils seront par la suite déposés au bord de route pour faire la circulation. Et puis une bonne quarantaine de civils, des familles essentiellement. Prenant la route pour Talat N'Yaaqoub, ils s’attendent pour la plupart à retrouver le corps inanimé de leur proche. Sans aucune information quant à l’avancée des secours, c’est à l’aveuglette que ces familles, souvent venues de loin, prennent la route.


Trois facteurs expliquent la difficulté de la route empruntée : sa nature tout d’abord, ne disposant que d’une seule voie, et située le plus souvent à flanc de falaise. Et puis les travaux menés par le ministère de l’Équipement et de l’Eau, dans le cadre du projet de renforcement et d’élargissement de la RN7.


Enfin, le troisième facteur demeure le contexte : le souffle du séisme ayant provoqué des éboulements sans précédent, coupant les routes, allant jusqu’à en condamner d’autres comme nous le verrons. C’est ce qui explique par ailleurs l’impossibilité pour les autorités d’accéder directement aux villages enclavés, ayant eu besoin de mobiliser des engins de déblaiement appartenant au groupement intercommunal, faute d’avoir pu disposer dans l’immédiat du matériel du ministère de l’Équipement chapeauté par Nizar Baraka.


Un véhicule sur la route de Talat N'Yaaqoub jonchée d'éboulis. Crédit: Le Desk


Sur la route de Talat N'Yaaqoub, Le Desk a compté pas moins d’une dizaine d’engins mobilisés, appartenant au groupement intercommunal. Deux, frappés du logo de Mojazine, du nom de l’entreprise réalisant les travaux, ont également été utilisés à des fins de déblaiement. Il faudra attendre 20 h, le samedi, pour que le premier engin du ministère de Baraka croise notre route, remorqué encore par un porte-char et escorté par des véhicules du même département.


A une dizaine de kilomètres de Ouirgane, nous décidons d’emprunter une route différente, ne menant pas à Talat N'Yaaqoub, dans l’objectif de bifurquer vers d’autres zones encore inaccessibles. Nous tombons sur tout un détachement de la Gendarmerie royale, accompagné de secouristes. Ils sont à l’arrêt, attendant vraisemblablement des ordres. Nous leur demandons à quoi mène la route que nous empruntons.


  • « A deux ou trois douars, eux aussi touchés par le séisme », nous répond un sous-officier.
  • « Vous n’allez pas vous y rendre ? »
  • « Non, ils ne sont pas prioritaires ».
  • « Pourquoi ? »
  • « Ils sont tous morts », nous lance-t-il, les yeux embués de larmes.



Nous rebroussons chemin et poursuivons notre route vers Talat N'Yaaqoub. Une bonne heure plus tard, nous arrivons aux premières habitations de la collectivité. Du moins ce qu’il en reste. Pour certains bâtiments, abritant des épiceries, les portes en métal déformées ont d’ores et déjà été ouvertes par les autorités mais aussi par les riverains. Objectif : récupérer les produits de première nécessité. L’eau étant coupé, les bouteilles d’eau minérale deviennent une denrée rare, au même titre que les paquets de madeleines que des pères de familles viennent récupérer.


Une épicerie à Talat N'Yaaqoub. Crédit: Le Desk


« Aidez-nous s’il vous plait ! »

Traversant à vive allure l’entrée de Talat N'Yaaqoub, les ambulances qui nous accompagnent sont souvent interpellées par les habitants. « Aidez-nous s’il vous plait, il y a quelqu’un en bas des décombres ! », lance-t-on notamment à leur adresse. Les ambulanciers prennent la peine de s’arrêter pour expliquer qu’ils n’y peuvent rien et qu’ils doivent se rendre au point de rencontre de la place centrale, pour recevoir les ordres de leur déploiement.


Un dispensaire de Talat N'Yaaqoub touché par le séisme. Crédit: Le Desk


Nous entrons dans cette ville qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Comme déjà expliqué, aucun bâtiment n’est intact. Commune, école, dispensaire, habitation, tout est à terre. Il ne reste que les quelques bâtisses de survivants qui attendent la denrée la plus rare : l’eau. Des hommes de la commune tentent aussi d’aider les secours à déblayer les ruines. On recherche toujours des survivants, mais aussi la confirmation pour certains décès.


Ce qui reste de la Poste à Talat N'Yaaqoub. Crédit: Le Desk


Dans un terrain vague, les ambulances stationnent enfin. Deux ou trois camions des FAR, disposant de vivres et vidés depuis, sont sur place aussi, au même titre que des SUV Dacia Duster de la Gendarmerie royale. Tout le monde attend. Des ordres venus d’en haut pour intervenir ? Pas vraiment.


Un camion des FAR à Talat N'Yaaqoub. Crédit: Le Desk


Abderrahim Ait Daoud, président de la commune, nous en dit un peu plus. Nous apprenons ainsi que Talat N'Yaaqoub est la dernière localité, depuis Marrakech, à laquelle les autorités ont pu accéder, vers 16 heures selon les riverains. Ighil et les douars environnants demeurent encore inaccessibles pour les secours. Durement touchée, la zone ne peut être ralliée qu’à l’aide des hélicoptères de la Gendarmerie royale. « Nous sommes actuellement en train de donner les 'X' et 'Y' (coordonnées de localisation, ndlr)  aux militaires pour qu’ils puissent leur distribuer des vivres et de l’eau », nous explique Ait Daoud.


Des ruines de commerces dévastés par le séisme. Crédit: Le Desk


Selon des sources concordantes consultées sur place, ces zones comptent encore des survivants, dont surtout des blessés graves. Pour le décompte des morts, difficile de donner un chiffre exact, les militaires commençant à peine à récupérer la liste des habitants pour pouvoir faire un recensement.


Sur les lieux, les FAR ont mobilisé un officier de haut rang pour superviser les opérations : le colonel Mehdi Ouhadi, commandant de l’Unité de Secours et de Sauvetage des FAR, connu par ailleurs pour être le directeur de l’Exercice de Gestion des Catastrophes de l’African Lion donne ses ordres et tente d’en savoir un peu plus sur le nombre d’habitants.


(A suivre)

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Par et @soufianesbiti
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