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Parcours d'exilA Rabat, des mineurs réfugiés non-accompagnés sont aidés, mais eux rêvent toujours d’Occident

11.08.2016 à 13 H 58 • Mis à jour le 20.08.2016 à 13 H 57 • Temps de lecture : 9 minutes
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Des milliers de migrants passent par le royaume avant de tenter de traverser la Méditerranée vers l’Europe. Parmi eux, des mineurs non-accompagnés qui, pour certains, arrêtent leur périple au Maroc où ils bénéficient d’un accompagnement spécifique. Reportage

« Je ne me sens pas heureux », lâche Youssef*, 17 ans et demi, originaire de Côte d’Ivoire, arrivé seul au Maroc en juin 2014. « Depuis que je suis parti de mon pays à l’âge de 12 ans, j’ai appris à économiser ma douleur… » Des mots durs et qui ne seront pas les seuls à résonner dans l’une des salles de la Fondation Orient-Occident (FOO), le partenaire du UNHCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés) chargé des mineurs réfugiés non-accompagnés.


Au Centre d'accueil pour refugiés et migrants de la Fondation Orient-Occident qui dispose de plusieurs antennes à travers le Maroc.DAVID RODRIGUES / LE DESK


Selon les dernières statistiques de l’agence, 53 mineurs non-accompagnés étaient enregistrés au 31 juillet 2016. « Mais il y en a beaucoup plus, signale Ghita Snoussi Amouri, assistante des services communautaires du HCR. On a des difficultés à les faire venir jusqu’au HCR. Ils sont méfiants. Certains n’ont qu’une idée en tête, partir en Europe tandis que d’autres pensent que si on les enregistre, on ne les laissera pas rentrer dans leur pays quand la guerre sera finie, ce qui est faux bien sûr, à condition que la situation redevienne stable chez eux ». Et poursuit : « Dans certaines villes comme Marrakech, Meknès ou Fès, nous n’avons pas de partenaires ou il y a très peu d’ONG qui peuvent les orienter vers nous. » La grande majorité de ces mineurs enregistrés au HCR sont des Subsahariens, originaires pour beaucoup de la République démocratique du Congo (RDC). « Ils passent par la frontière algéro-marocaine avant d’arriver à Oudja », détaille-t-elle.


Noureddine Dadoun, responsable chargé du suivi des mineurs non-accompagnés à la Fondation Orient-Occident (FOO). DAVID RODRIGUES / LE DESK



Ces jeunes réfugiés non-accompagnés ont entre 13 et 18 ans. Amel* fait partie de cette dernière catégorie. « Je pense que j’ai 18 ans, dit-elle d’une voix frêle tout en penchant ses toutes petites épaules en avant. Ma mère ne le savait pas exactement. » Un âge qui ne convainc pas Ghita Snoussi Amouri et Noureddine Dadoun, responsable chargé du suivi des mineurs réfugiés non-accompagnés à la Fondation Orient-Occident (FOO). « Selon nous, elle doit avoir entre 15 et 16 ans vus sa personnalité et son gabarit », soutiennent-ils. Le HCR ne réalise presque jamais de test osseux pour déterminer l’âge des enfants car ces derniers arrivent sans papiers et sans aucun document officiel. « En quatre ans, je crois que cela a été effectué une seule fois sur un jeune homme qui assurait être mineur mais qui ne l’était pas du tout », se souvient Noureddine Dadoun.


Une fuite vers l’inconnu

Amel est arrivée au Maroc en 2015. Cette jeune ado a fui en 2012 Kinshasa en RDC. « Il fallait partir, alors je suis partie », murmure-t-elle brièvement. S’en suit un long périple la menant par différents pays dont, de ses souvenirs, le Niger, le Bénin et l’Algérie, avant de franchir la frontière marocaine. « Quand je suis arrivée à Oudja, j’étais toujours avec la dame qui m’accompagnait depuis Kinshasa, se rappelle-t-elle. Je ne la connaissais pas. Elle me disait qu’en Europe, elle avait de la famille... Elle me disait que je serais comme sa fille… Mais quand nous sommes arrivées au Maroc, j’ai décidé de ne pas continuer avec elle… Elle m’a alors menacé : si tu ne me suis pas, je ne te rendrais pas tes papiers... » Ce qu’elle a fait. Après deux jours, Amel s’enregistre au HCR. « Avant d’arriver au Maroc, je n’en avais jamais entendu parler », glisse-t-elle. De suite, elle est prise en charge comme tous les mineurs étrangers non-accompagnés dans ce cas-là. « On les installe d’abord dans des logements d’urgence, décrit Dadoun. On en a deux à Rabat et un à Oudja » Et Amouri d’ajouter : « C’est temporaire. En même temps, on fait une procédure accélérée pour leur obtenir le statut de réfugié. Cela prend entre une semaine et 10 jours maximum. » La demande validée, l’enfant peut ainsi bénéficier d’un programme d’accompagnement spécifique.


Enfin un vrai toit

« Les enfants peuvent être logés dans des centres de protection de l’enfance pris en charge par l’Etat, indique Amouri. Nous y avons deux mineurs actuellement. » Et Dadoun de justifier ce faible chiffre : « Certains des enfants ne veulent pas y aller car ils ont des difficultés à s’intégrer avec les autres enfants qui sont marocains. Et l’autre raison, ce sont les directeurs de ces centres. Ils nous confient qu’ils préfèrent intégrer des adolescents de moins de 16 ans car ils peuvent travailler avec eux sur la durée. » Les autres enfants trouvent alors refuges dans des appartements qui appartiennent à la FOO, à quelques minutes du centre à Rabat.


Au Centre d'accueil pour refugiés et migrants de la Fondation Orient-Occident à Rabat. De dos, Mamadou, un des jeunes mineurs non-accompagné originaire du Mali. DAVID RODRIGUES / LE DESK


« Nous avons cinq appartements. Les enfants sont deux par chambre, détaille-t-il. Et comme nous sommes cinq assistants sociaux à la fondation, chacun gère un appartement. Il m’arrive par exemple, de recevoir un coup de fil à minuit pour me dire de venir rapidement les voir car l’un d’entre eux est malade. » Le loyer est payé par le HCR, même si les enfants perçoivent une assistance financière de plusieurs centaines de dirhams. Certains reçoivent un peu plus. Dans ce cas-là, ils paient eux-mêmes le loyer, mais ce ne sont que quelques centaines de dirhams de plus. Avec cette aide versée par l’agence des Nations Unies, les mineurs doivent se prendre en charge. « Ils règlent la facture d’eau, d’électricité ainsi que la nourriture ou encore l’achat de leurs vêtements », précise Dadoun. Mais parfois, le versement de l’assistance financière tarde à venir comme ce mois-ci. « On va l’avoir quand, questionne Mamadou*, 19 ans, Malien arrivé au Maroc en 2013. Car on est déjà le 8 août et on doit régler les factures et manger ! » Et Youssef, son colocataire, d’hocher de la tête…Amouri attrape son téléphone. A l’autre bout du fil, une de ses collègues qui explique que la situation bloque du côté de la banque. « Le directeur est en vacances et ne peut pas signer certains documents », tente de justifier la responsable aux jeunes qui vont devoir se débrouiller encore quelques jours jusqu’au versement.


Une scolarité rêvée inaccessible

« Le gros problème, c’est l’école !, lâche Mamadou. On ne compte pas rester toute notre vie des réfugiés. » Amel, Mamadou et Youssef auraient aimer reprendre leurs études. « C’est compliqué sans pièce d’identité, ni attestation scolaire surtout pour les plus de 15 ans », affirme Dadoun.


Ghita Snoussi Amouri, assistante des services communautaires du HCR et Noureddine Dadoun, responsable chargé du suivi des mineurs non-accompagnés à la Fondation Orient-Occident (FOO). DAVID RODRIGUES / LE DESK


Ils sont orientés vers des formations comme en mécanique auto, en électricité du bâtiment, en couture, en pâtisserie, en coiffure ou en menuiserie. Des propositions qui n’emballent pas du tout Youssef. « Moi, je voulais suivre des cours de littérature, insiste-t-il. Je n’ai jamais pu mais je n’ai pas envie de faire autre chose ! » Alors, certains comme Amel, suivent quelques leçons à la fondation. « Nous proposons par exemple des cours de français ou d’arabe », détaille le responsable de la FOO qui tente parfois d’exaucer certains de leurs rêves. « Plusieurs garçons voulaient devenir footballeurs au Maroc, se souvient-il. On a contacté le FUS à Rabat mais pour intégrer l’équipe, la fédération a demandé un justificatif stipulant que chaque enfant ne faisait pas déjà parti d’un club dans son pays d’origine. Mais, ce sont des réfugiés, sans aucun papier sur eux, par conséquent comment voulez-vous demander ce document ? C’est impossible ! Alors, on a décidé de créer nous-même, notre propre équipe ici, à la fondation et on a trouvé un entraîneur. »


Du Maroc vers une autre destination

« L’intégration pour ces enfants n’est pas toujours possible, explique Amouri, alors un comité composé de la FOO, du HCR, d’avocats et de l’Unicef étudient, au cas par cas, la possibilité de réinstaller un mineur réfugié non-accompagné dans un autre pays qui serait prêt à l’accueillir ». Selon les chiffres du HCR, 9 enfants ont été réinstallés en 2015 : 4 aux Etats-Unis, 2 en France, 1 en Norvège, 1 en Finlande et 1 au Canada. Depuis janvier 2016, seuls 2 ont pu s’envoler pour une autre destination : Washington. « Les dossiers de Youssef et Mamadou ont été acceptés, révèle Dadoun. Ils n’attendent plus que leur billet d’avion. »


Rencontre au Centre d'accueil pour refugiés et migrants de la fondation Orient Occident avec des accompagnateurs d'enfants et des mineurs subsahariens non accompagnés. Noureddine Dadoun, responsable chargé du suivi des mineurs non-accompagnés à la Fondation Orient-Occident (FOO). DAVID RODRIGUES / LE DESK


Une bonne nouvelle pour ces deux jeunes hommes qui ne se sentent « pas à l’aise au Maroc », comme l’affirme Mamadou. « Ma vie ici, c’est comme un cauchemar… L’accueil n’est pas tellement ça… », souffle-t-il. Beaucoup d’entre eux subissent des discriminations. « Toutes les fois qu’on m’a insulté ici… », lâche Mamadou. Et Dadoun de prendre un exemple : « Un jour, le propriétaire d’un appartement m’annonçait au téléphone que le loyer serait de 1 600 DH, raconte-il. Mais lorsque je suis venu avec deux jeunes, car le logement était pour eux. Il m’a dit : « ce sont des azzi !... Le loyer sera de 2 500 DH » . Et d’ajouter  : « Je dis très souvent aux enfants de ne surtout pas penser que tous sont comme ça ».


A 18 ans, la protection se poursuit

Le jour de leur majorité, le programme d’accompagnement ne s’arrête pas. « Il y a une transition d’un an à peu près, explique Amouri. Par exemple, Noureddine les aide à trouver un autre logement, les accompagne dans leurs démarches pour qu’ils deviennent de plus en plus indépendants. Ils reçoivent également une aide psychologique car ce n’est pas facile pour eux. Dans tous les cas, on leur cherche un appartement qu’ils partageront avec un colocataire. » Une nouvelle étape dans leur vie. Et Mamadou de lancer : « De toute façon, on ne comptait pas lâcher l’appartement où on est bien, du jour au lendemain. On a la chance d’avoir enfin un toit sur la tête tandis que d’autres (mineurs ou jeunes adultes) n’ont rien, et ça, il ne faut pas l’oublier. Moi, je ne l’oublie pas… »


Les prénoms des mineurs cités dans cet article ont été modifiés.

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