GouvernanceGestion hydrique: Zineb El Adaoui pointe du doigt les retards accusés

Alors que la situation hydrique du pays devient de plus en plus alarmante, la gestion des ressources en eau devient une problématique de premier plan. Dans son rapport annuel au titre de l’année 2023-2024, la Cour des comptes, présidée par Zineb El Adaoui, revient sur la mise en œuvre des grands chantiers lancés pour faire face aux risques du stress hydrique.
Ainsi, la juridictio pointe du doigt les retards accusés dans la réalisation de plusieurs projets stratégiques devant palier l’impact des épisodes successifs de sécheresse que vit le royaume, confronté à une pénurie des ressources en eau.
Des retards au niveau de la construction de barrages
Les travaux de réalisation de six barrages lancés au cours de la période 2017-2022 ont accusé un retard par rapport aux prévisions de la Stratégie nationale de l'eau 2009-2030, ce qui a entraîné un retard dans leur mise en service pour l'approvisionnement en eau potable des populations, ainsi que pour d'autres usages (agricoles, industriels, etc.), indique le rapport annuel de la Cour des comptes.
Il s'agit des barrages de Sidi Abbou dans la province de Taounate (8 ans), de Khneg Grou à Figuig (7 ans), de Taghzirt dans à Béni Mellal et de Boulaouane à Chichaoua (5 ans), de Béni Azimane à Driouch (4 ans), et d'Ait Ziat à Al Haouz (1 an).
Selon la même source, le ministère de l'Équipement et de l'Eau a attribué ce retard à l'insuffisance des crédits alloués au département de l'Eau dans les lois de finances. Cela fait que les budgets disponibles ne couvrent pas les investissements nécessaires pour la réalisation de ces projets, comme s'explique le département dirigé par Nizar Baraka.
Des projets de dessalement qui se font attendre
En plus des barrages, d’autres projets hydriques stratégiques peinent à naître : ceux de certaines stations de dessalement de l’eau de mer. Dans ce cadre, la Cour des comptes relève que le projet de dessalement de l'eau de mer à Casablanca, qui était prévu pour être lancé en 2010 avec un budget de 10 milliards de dirhams (MMDH), n’a pas encore été réalisé. Cela, malgré son caractère important, vu que cette station devrait produire 125 millions de mètres cubes d'eau par an à partir de 2018.
« Aucun appel à manifestation d'intérêt n'a été lancé pour le projet de construction de la station de dessalement de l'eau de mer dans la région de Casablanca-Settat, jusqu'en mars 2022 », ajoute la même source. Pour rappel, les travaux de réalisation de cette infrastructures ont débuté en juin 2024, avec l'objectif d’accélérer le rythme de réalisation de ce projet afin de fournir un volume d'eau équivalent à 300 millions de mètres cubes par an d'ici 2025-2026, dans le cadre de l'accord sur les interventions urgentes et structurantes pour le bassin de l'Oum Er-Rabia.
Un autre projet de dessalement prévu, mais qui n’a pas encore vu le jour est celui de Saïdia. Devant être lancé en 2015, avec une capacité de production de 5 millions de mètres cubes d'eau par an à l’horizon de 2020, la station de dessalement de l’Oriental n’a pas encore été concrétisée. En 2022, une étude de faisabilité avait été lancée pour un projet de dessalement de l'eau de mer à Nador, dans le cadre des interventions urgentes liées à la récente vague de sécheresse qui a affecté le bassin de Moulouya, souligne le rapport.
Des retards dans l'achèvement de l'autoroute de l’eau
La Cour des comptes pointe aussi du doigt les retards enregistrés dans l’achèvement des autoroutes de l’eau. Si le premier volet de ce projet, reliant les bassins du Sebou et du Bouregreg a été achevé en août 2023, pour un coût estimé à 6,9 MMDH, la réalisation du second volet l’autoroute de l’eau n’a pas encore été achevée, souligne la même source.
Dans ce sens, la juridiction financière rappelle que ce projet consiste en deux interconnexions hydriques, la deuxième reliant les bassins côtiers méditerranéens occidentaux (Oued Laou, Oued Wahrane, Oued El Kennar et Oued Bouhia) et les bassins côtiers méditerranéens orientaux et le bassin de la Moulouiya. Cette partie n’a pas encore été réalisée.
En janvier dernier, le ministère de l’Équipement et de l’Eau avait à peine lancé les premiers marchés pour la réalisation de l’interconnexion entre le barrage d'Oued El Makhazine et celui de Dar Khrofa au nord du pays.
Difficultés au niveau de 32 projets d'approvisionnement en eau
La mission de contrôle de la Cour des comptes a en outre enregistré des retards dans 32 projets visant la production d'eau potable, pour un coût total dépassant 1,5 MMDH. Parmi ces projets, 14 dans la région de l'Oriental d'une valeur totale de 938,2 millions de dirhams (MDH), et 2 projets dans la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima d'une valeur de 512 MDH. Les autres projets sont répartis entre les régions de Drâa-Tafilalet (3 projets pour 32,2 MDH), Dakhla-Oued Eddahab (3 projets pour 17 MDH), Rabat-Salé-Kénitra (2 projets pour 4,2 MDH), Béni Mellal-Khénifra (6 projets pour 2,9 MDH), et Fès-Meknès (2 projets pour 0,6 MDH).
Le retard dans ces projets concerne principalement la phase de construction des infrastructures ou d'équipement pour 18 projets, et la phase d'exploitation pour 14 autres, indique la même source. Pour la plupart de ces projets, les retards de réalisation sont dus à des difficultés liées à l'importation de matériel et d'équipements en raison du contexte exceptionnel de la pandémie de Covid-19, suivie par une vague de hausse des prix et une pénurie de matières premières, ce qui a poussé de nombreuses entreprises à demander des extensions de délais, à réviser les prix ou à annuler des contrats (34 %).
Toutefois, pour plusieurs d’autres projets, les causes de retard « auraient pu être anticipées durant la phase des études préliminaires », souligne la Cour, citant notamment l'absence de disponibilités en quantité et qualité d'eau nécessaires, l'opposition des populations locales aux travaux pour des raisons d'atteinte à la propriété privée, le manque de coordination entre les intervenants concernés et l'absence d'équipements nécessaires à l'exploitation des infrastructures.
Par ailleurs, la Cour souligne que quatre grands projets réalisés par l'Office National de l'Électricité et de l'Eau Potable (ONEE), pour un investissement total de 645,6 MDH, n'ont pas été mis en exploitation, en raison de l'endommagement de certaines infrastructures causé par des travaux de voirie ou d'ouverture de pistes adjacentes aux projets concernés. Il s'agit notamment du projet d’approvisionnement en eau potable de 7 communes dans la région de Al Hoceima à partir du barrage de Bouhouda à Taounate (375 MDH) et d’un autre projet d’approvisionnement en eau potable de plusieurs douars dans les communes d’Al Hoceima et de Taounate à partir du barrage Asfalou (137 MDH). À ceux-ci, s’ajoute le projet du canal régional de transfert d'eau pour le Rif (95,4 MDH) et celui de rénovation de 6 km de canalisations pour le projet de la station de pompage de Hammadi (38,3 MDH).
Distribution d’eau potable : 46 projets en difficulté
Comme pour la production, 46 projets portant sur la distribution d’eau potable, représentant 2,4 MMDH, ont connu des retards en raison de difficultés d'importation de matériel, de manque de coordination préalable et de dommages sur les infrastructures réalisées.
Parmi ceux-ci, 7 projets d'une valeur de 1,3 MMDH sont situés dans la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, 20 projets d'une valeur de 469,3 MDH dans la région de l'Oriental, tandis que les autres projets se répartissent entre les régions de Casablanca-Settat (3 projets pour 335,6 MDH), Fès-Meknès (5 projets pour 232,9 MDH), Béni Mellal-Khénifra (4 projets pour 35 MDH), Rabat-Salé-Kénitra (3 projets pour 10,2 MDH), et Drâa-Tafilalet (4 projets pour 9,9 MDH). Les retards concernent aussi bien la phase d’exploitation
Les retards concernent huit projets aussi bien la phase des travaux que celles d'exploitation ou de la réalisation de certaines infrastructures ou leur mise en service. En outre, dans la région de l'Oriental, treize projets, pour un coût total de 411 MDH, ont rencontré des problèmes liés au manque de coordination préalable, ainsi qu'aux dommages sur les infrastructures réalisées à cause de travaux voisins.
Pareillement, à Fès-Meknès, deux projets, pour un coût global de plus de 232 MDH, ont rencontré des difficultés d'exploitation en raison de la détérioration des canalisations réalisées, suite à des travaux d'aménagement et d'élargissement de routes et d'infrastructures voisines, souligne le rapport.
De l’eau perdue
Un autre problème soulevé par la Cour des comptes est la diminution de l'efficacité des réseaux de production de l’eau au niveau de certains systèmes durant la période 2017-2021 en raison de la détérioration de leur état technique, comme c'est le cas pour les systèmes de Tarka Wassay (-17 points), Asrir (-15 points), et Ait Boufoulen (-14 points) dans la région de Guelmim-Oued Noun, ainsi que pour les communes de Driouch (-10 points) et Ain Zohra (-13,5 points) dans la région de l'Oriental.
La même institution souligne par ailleurs l’état insatisfaisant des réseaux de distribution d'eau potable, qui enregistrent généralement « une performance technique moyenne, avec un rendement national d'environ 76 % ». Cela, étaye la cour, signifie que « des quantités considérables d'eau potable sont perdues au niveau de la distribution, estimées à environ 320 millions de mètres cubes par an ».
Par ailleurs, en raison des fuites d'eau et des branchements illégaux, la quantité d'eau perdue a considérablement augmenté entre 2017 et 2021 dans certaines régions, note également le rapport. Cette augmentation a atteint 30 % dans la région de Guelmim-Oued Noun, 21 % dans la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima et 6 % dans la région de Casablanca-Settat. « Cela reflète l'aggravation des défis relatifs à l'amélioration du rendement des réseaux, à la détection précoce des fuites, ainsi qu'à la prévention des branchements illégaux. D'autant plus que le projet du plan national de l'eau 2020-2050 vise à atteindre un rendement national de 80 % pour les réseaux de distribution d'ici 2030 », ajoute-t-on.
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