Le bloc notes de la rédaction
Ce que révèle une avalanche sous-marine «dévastatrice» survenue il y a 60 000 ans au large du Maroc
Un aperçu « sans précédent » sur un phénomène qui reste entouré de mystère. Les données offertes par le canyon d’Agadir à un groupe de chercheurs de l’université de Liverpool ont révélé l’échelle, la force et l’impact d’une avalanche sous-marine âgée de près de 60 000 ans. L’étude publiée dans le journal Science Advances établit non seulement pour la première fois une cartographie détaillée d’une avalanche sous-marine, mais apporte une nouvelle compréhension sur le processus géologique derrière sa formation.
Alors que les données sur ces formations demeurent rares, celles-ci n’étant découverte que dans les années 1950, la nouvelle étude vient offrir une nouvelle compréhension du phénomène. Contrairement à un glissement de terrain ou à une avalanche de neige, les avalanches sous-marines sont invisibles et extrêmement difficiles à mesurer. Cependant, elles constituent le mécanisme principal pour déplacer des matériaux tels que les sédiments, les nutriments et les polluants à travers la surface de la Terre et représentent un important risque géologique pour les infrastructures du fond marin telles que les câbles internet.
La découverte faite au large du Maroc ne fournit pas uniquement de nouveaux éléments sur le phénomène, mais surprend de par son caractère « titanesque ». Dans un communiqué, Chris Stevenson, sédimentologiste à la faculté des sciences environnementales de l'Université de Liverpool, qui a codirigé l'étude, a commenté : « C'est la première fois que quelqu'un parvient à cartographier une avalanche sous-marine individuelle de cette taille et à calculer son facteur de croissance (mais) ce qui est si intéressant c'est la manière dont l'événement est passé d'un départ relativement petit à une avalanche sous-marine immense et dévastatrice ».
Une puissance dévastatrice
En analysant plus de 300 échantillons de calottes prélevés ces 40 dernières années sur le site et puis en croisant ces analyses aux données bathymétriques et sismiques, les chercheurs ont pu dresser le profil de cette gigantesque formation sous-marine. L’étude montre en effet comment l’avalanche a augmenté de plus de 100 fois sa taille, provoquant une énorme destruction sur son passage alors qu'elle parcourait environ 2 000 km à travers le fond marin de l'océan Atlantique au large de la côte nord-ouest de l'Afrique.
L’analyse de ces chercheurs révèle en effet que l'événement, qui a commencé comme un petit glissement de terrain sous-marin d'environ 1,5 km3, a grossi en ramassant des rochers, des graviers, du sable et de la boue en traversant l'un des plus grands canyons sous-marins du monde. L'avalanche était si puissante qu'elle a érodé les 400 km de longueur totale du canyon et plusieurs centaines de mètres sur les côtés, soit environ 4 500 km2 au total, et a été suffisamment forte pour transporter des galets à plus de 130 mètres sur le côté du canyon.
S’accroissant à un rythme « extrême » pour atteindre des hauteurs de 200 mètres et se déplaçant à une vitesse d'environ 15 m/s tout en arrachant le fond marin et détruisant tout sur son passage, cette avalanche sous-marine donne de nouvelles dimensions au phénomène, bien au-delà de ce qui était connu jusque-là. « Pour mettre les choses en perspective : c'est une avalanche de la taille d'un gratte-ciel, se déplaçant à plus de 40 m/h de Liverpool à Londres, creusant une tranchée de 30 m de profondeur et 15 km de large, détruisant tout sur son chemin. Puis elle se propage sur une superficie plus grande que celle du Royaume-Uni, l'ensevelissant sous environ un mètre de sable et de boue », décrit Stevenson.
Une étape majeure pour la science
Les révélations de cette étude, en plus de permettre d’établir la première cartographie d’une avalanche sous-marine, ouvrent de nouveaux horizons de recherche sur les spécificités du phénomène de l’effondrement sous-marin. Au fond des océans l’événement géologique, s’avère-t-il, se produit à des échelles bien loin de ce qui est observé sur terre. « Le facteur de croissance d'au moins 100, est beaucoup plus élevé que celui des avalanches de neige ou des coulées de débris qui ne croissent que de 4 à 8 fois », détaille Christoph Bottner, chercheur à l'Université d'Aarhus au Danemark, qui a codirigé l'équipe.
Et d'ajouter : « Nous avons également observé cette croissance extrême dans de plus petites avalanches sous-marines mesurées ailleurs, nous pensons donc que cela pourrait être un comportement spécifique associé aux avalanches sous-marines et c'est quelque chose que nous prévoyons d'étudier davantage ».
Ayant enfin pu quantifier et appréhender les caractéristiques de ce phénomène jusque-là mystérieux, la découverte ne fait que stimuler l’appétit de ces chercheurs. « Nos nouvelles connaissances remettent fondamentalement en question notre perception de ces événements. Avant cette étude, nous pensions que les grandes avalanches provenaient uniquement de grands effondrements de pente. Mais maintenant, nous savons qu'elles peuvent commencer petit et devenir des événements géants extrêmement puissants et étendus », explique pour sa part Sebastian Krastel, responsable de la géophysique marine à l'Université de Kiel et chef de mission à bord des croisières qui ont cartographié le canyon.
Outre l’intérêt scientifique, les études sur les avalanches sous-marines revêtent un caractère important dans la mesure où elles permettront de mieux comprendre les risques qu’y sont liés. « Ces découvertes sont d'une importance énorme pour évaluer leur potentiel de risque géologique pour les infrastructures du fond marin comme les câbles internet qui transportent presque tout le trafic internet mondial, ce qui est critique pour tous les aspects de nos sociétés modernes », ajoute le chercheur.
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