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Histoire

Déclaration de la Celle-Saint-Cloud: la marche vers… l’indépendance

06.11.2024 à 13 H 41 • Mis à jour le 06.11.2024 à 13 H 46 • Temps de lecture : 7 minutes
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Le 6 novembre est l’occasion pour le Maroc d’une double commémoration. La Marche Verte qui a permis en 1975 de parachever son indépendance en récupérant ses provinces du Sud, mais aussi celle de la Déclaration de La Celle-Saint-Cloud en 1955, premier jalon de cette libération. Dans la petite ville de la banlieue parisienne, Rabat et Paris entérinent l’avènement d’une nouvelle ère marquée du sceau de la formule « indépendance dans l'interdépendance ».

Les Marocains ne le savent pas encore, mais en novembre 1955 leur sultan bien aimé et non seulement libre de ses déplacements, mais il tient avec lui la promesse solennelle de l’indépendance de leur pays. Si les festivités ne commencent réellement qu’au retour de Mohammed V sur ses terres, après un exil forcé de 28 mois, le 18 novembre 1955, le royaume est à cette date, théoriquement indépendant. Bien sûr, il faudra attendre la signature officielle de l’Acte le 2 mars de l’année suivante, mais l’ensemble des dirigeants marocains est à pied d’œuvre pour entamer un exercice nouveau, celui du pouvoir souverain.


Dans le même temps, le sultan Mohammed Ben Youssef, libéré de son exil malgache, rejoint la France pour y sceller l’avenir de son pays dans ce qui restera comme l’un des chapitres les plus symboliques de son règne. A La Celle-Saint-Cloud, le 6 novembre 1955, le souverain marocain,  le ministre des Affaires étrangères français, Antoine Pinay, signent, en présence du résident général au Maroc, André Dubois, les conditions du retour du sultan au Maroc et le cadre des négociations devant conduire à l'indépendance du royaume. La France renonce ainsi au protectorat qu'elle avait instauré lors du traité de Fès en 1912.


Dans son discours devant le Parlement marocain le 29 octobre dernier, le président Macron a montré avoir bien conscience de l’importance de cet épisode déterminant dans les relations à venir entre Rabat et Paris : « la déclaration de La Celle-Saint-Cloud, le 6 novembre 1955, scella un nouveau temps. Oui, c'est par là que le Maroc et la France épargnèrent à leurs peuples les dix années de la guerre d'Indochine et les huit ans de celle d'Algérie. Ces quelques mois qu'employèrent les négociateurs pour ouvrir la voie à l'indépendance sont à marquer d'une pierre blanche dans notre histoire, car ils ont permis au Maroc et à la France de surmonter les cicatrices laissées par l'épisode colonial ». Pour la France, qui connait en effet des fortunes diverses dans son processus de décolonisation, le retrait pacifique du Maroc permet aux deux pays d’éviter, non seulement un nouveau conflit armé, mais aussi de perdre de l’énergie dans le toujours délicat exercice mémoriel. En ce sens, l’épisode de La Celle-Saint-Cloud est déterminant dans c’est que devenu aujourd’hui le couple franco-marocain. Pour autant, l’histoire n’était pas forcément écrite à l’avance et la souplesse de ces négociations n’étaient pas au gout de tout le monde.


Avant la Déclaration de La Celle-Saint-Cloud, les dirigeants français et les nationalistes marocains s’étaient déjà livrés à une plus féroce bataille diplomatique qui s’est jouée à Aix-les-Bains, à l’été 1955. Dans la station thermale de l’Est de la France, les figures de l’Istiqlal dont Mehdi Ben Barka, Abderrahim Bouabid ou encore Abdelhadi Boutaleb avaient réussis à arracher comme préalable à tout accord, le retour du sultan légitime et la récupération de son trône, occupé depuis son exil par Mohammed Ben Arafa, placé par l’aile conservatrice du Protectorat et les notables marocains affiliés.


C’est donc suite à ce premier succès marocain que le sultan Ben Youssef est autorisé à quitter Madagascar début novembre 1955. Il est accompagné notamment de son fils ainé Moulay Hassan, qui témoigne de ce chapitre dans le livre entretien « La Mémoire d’un Roi » du journaliste Éric Laurent. Il raconte le départ pour le moins précipité de la « Grande île » en direction de la France : « Nous sommes partis de l’aéroport de Tananarive. Je ne sais pas ce qu’il lui a pris, mais le haut-commissaire à Madagascar ne voulait pas venir saluer mon Père à son départ. Il a fallu toute l’autorité d’Edgar Faure et d’Antoine Pinay pour qu’il soit présent. Sur la piste, les honneurs nous ont été rendus par douze soldats malgaches, en short et bandes molletières, portant des fusils Lebel avec baïonnette au canon ».

Sans rancune...

A ce moment, le futur roi du Maroc (Hassan II) ne sait pas encore que Paris a déjà concédé le retour politique de son père, et par la même occasion, que la famille royale allait regagner sa place à la tête du pays. Le sultan Ben Youssef, quant à lui, sait déjà ce qui l’attend d’après le témoignage du prince héritier « Dans l’avion, mon Père me dit ‘ Ah, il est bientôt dix-huit heures, allez demander au commandant de bord de brancher la BBC qui va diffuser les nouvelles en langue arabe’. Je m’installe dans le poste de pilotage et j’entends, stupéfait, annoncer que le sultan Ben Arafa vient d’abdiquer et qu’il ne reste plus d’autre solution que le retour du sultan Ben Youssef sur son trône. Je ne comprenais plus rien. Abasourdi, je fonce vers mon Père : 'Je crois que vous aviez raison, voilà les nouvelles’. Il m’a écouté sans émotion apparente et il a souri ».


Dès lors, la venue de la famille royale en France n’est donc pas un épisode de plus dans le nomadisme du sultan déchu, mais bien un retour aux affaires. L’avion atterri le 4 novembre à l’aéroport de Nice où cette fois, les honneurs rendus sont plus dignes « devant l’appareil on voyait dix fois plus de djellabas blanches que de costumes bleu marine. En effet, se trouvaient là la garde républicaine, mais aussi toutes les notabilités marocaines, mes deux oncles, mon beau-frère, le gouvernement marocain ou, plutôt, ce qui était à l’époque le gouvernement chérifien ».


Après une brève escale niçoise, le sultan Ben Youssef et sa famille sont conduits en Île-de-France, où ils sont logés confortablement au pavillon Henri IV à Saint-Germain-en-Laye. Le 6 novembre, le sultan et son fils sont conduits à La Celle-Saint-Cloud, où les attends notamment Antoine Pinay, ministre français des Affaires Etrangères et figure de la décolonisation apaisée du Maroc. Un article du journal Le Monde, paru le 8 novembre, revient sur ce moment solennel « M. Antoine Pinay accueillit le souverain sur le perron du château de La Celle-Saint-Cloud. La conversation entre les deux hommes dura un peu plus d'une heure. Pendant ce temps une compagnie du 5e régiment de génie prenait place dans le parc, où les pavillons français et chérifien étaient hissés. A la fin de l'entrevue le ministre des affaires étrangères et le souverain passèrent les troupes en revue, puis s'immobilisèrent au moment où la musique exécutait l'hymne chérifien et la Marseillaise ».


L’hymne et le drapeau marocain sur le sol français est en quelque sorte, la première reconnaissance française de la désormais souveraineté marocaine après 44 ans de Protectorat. Un symbole qui a ému le futur Hassan II : « en tant que nationaliste marocain ce jour a été, je peux vous le dire, le plus beau de ma vie. Entendre l’hymne de mon pays a été un moment poignant ». Mais avant cela, il a fallu rédiger la Déclaration conjointe officialisant l’évènement de La Celle-Saint-Cloud, où là encore, le prince héritier explique avoir joué un rôle de premier plan : « à un moment, mon Père étant en discussion avec Antoine Pinay, je me suis retrouvé seul face à quatre hauts responsables français pour établir le communiqué commun. Ce texte a été rédigé sur une table de billard dont je me rappelle encore qu’elle était recouverte de sa housse. Devant la presse et le public nombreux venu assister à l’évènement, Antoine Pinay fait une lecture de la Déclaration et confirme à ce titre qu’il n’y a plus d’obstacles à l’indépendance du Maroc. Le sultan quant à lui se contente d’une courte mais puissante déclaration « Nous considérons cette journée comme une date décisive dans l'histoire de notre pays ».


L’article du Monde relate également la ferveur qui a suivi le sultan, le lendemain,  à son retour à Saint-Germain-en-Laye « Dès le matin quelque quinze cents Marocains, ouvriers, étudiants, commerçants, venus de diverses régions de France et même de Belgique, avaient envahi les jardins du pavillon Henri-IV. Le sultan dut interrompre pendant une heure ses audiences et ses consultations pour serrer les mains de ses compatriotes ». La ferveur sera encore plus grande au Maroc, le 16 novembre suivant. Avant même d’y parvenir, le sultan Ben Youssef prévient ses proches qu’il n’entend pas garder de l’hostilité envers la France, qui l’a pourtant écarté sans égard à peine quelques années plus tôt. Selon son fils : « dans l’avion qui nous ramenait à Rabat, mon Père nous a appelés, mon frère et moi, et nous a dit : ‘Bon, il y’a maintenant deux mots que je ne veux plus entendre dans votre vocabulaire : rancune et revanche’ ». C’est sans doute cette bienveillance réciproque qui a inspiré le discours récent d’Emmanuel Macron, qui promet un texte formalisant un « nouveau cadre stratégique » qui pourrait être signé lors d’une visite d’Etat de Mohammed VI à Paris, en 2025, à l’occasion du 70ème anniversaire de la déclaration commune faite à La Celle-Saint-Cloud. Rendez-vous est pris.

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