Le bloc notes de la rédaction

Jardin rouge, une kasbah pop lovée au cœur d’une oliveraie
Une vingtaine de kilomètres après Marrakech, sur la route de Fès. Une antique oliveraie, sur 13 hectares. C'est là que se love une étonnante kasbah dont le style ethno-brutaliste rappelle furieusement certaines réalisations des années soixante du maître du genre, l'architecte Jean-François Zévaco (1916-2003).
Pensée par le maître de céans, la configuration des lieux, délicieusement labyrinthique, est le résultat de la jonction fonctionnelle des différentes bâtisses en pisé originelles, jadis à vocation agricole.

En termes de structure d'accueil et d'espace de création, Le Jardin rouge est probablement, aujourd'hui, la plus importante résidence d'artistes du Maroc.
Depuis sa création, en 2007, ce lieu, édénique et hors du temps, a accueilli une dizaine d'artistes – tous étrangers et de renommée mondiale – , pour des séjours plus ou moins longs – une semaine au moins – , aboutissant, la majorité du temps, sur des expositions conséquentes d'œuvres conçues et produites in situ.

Le Jardin rouge est la matérialisation du rêve d'un homme, Jean-Louis – c'est par son seul prénom que cet ex-homme d'affaires préfère être désigné : « Le nom de famille n'a pas d'importance... », balaye-t-il. Pourquoi une telle discrétion ? L'individu, affable, portant beau, cultive un certain mystère, tout en étant disert sur mille et un sujets autres que ceux relatifs à sa personne. On sait qu'il a fait fortune en Russie, on comprend qu'il connaît bien les pays du Moyen-Orient. Sa passion pour l'art est indubitablement sincère.
Les goûts picturaux de Jean-Louis l'ont, dès le départ, porté vers le street art. Seulement, cela n'est pas si simple. Dès qu'un graffeur obtient une sérieuse notoriété, qu'il intéresse par conséquent le marché, il est fatalement amené à adapter sa pratique aux supports, aux dimensions et aux sujets à même d'être commercialisés. Ce qui ne diminue pas forcément de son authenticité, contrairement à ce qu'on pourrait trop rapidement penser.

Le plus souvent, la fougue et la spontanéité premières de ces ex-artistes de la rue se transforment, au fil du temps, en une meilleure maîtrise, une plus grande précision et du trait et de la matière, les menant, curieusement, vers une espèce de néo-Pop art assez recherché, à la fois très dans l'air du temps, mais dénué de l'aspect abscon, rebutant tant de gens dans la production de ce qu'il est convenu d'appeler l'art contemporain.
Manifestement, Jean-Louis aime accompagner ce type de mutation artistique. Cet authentique mécène n'est pas qu'un collectionneur lambda. Il aime la familiarité de pensée que lui permet sa position vis-à-vis des artistes. Irions-nous jusqu'à suggérer qu'il aime orienter leur création vers telle ou telle direction ? N'allons pas jusque-là.

Le dernier artiste en date que Le Jardin rouge ait accueilli est certainement celui qui a fait le plus pour le rayonnement international de la Montresso Art Foundation – intitulé officiel de l'institution.
Lors de sa résidence, cet artiste allemand quadragénaire, à la réputation internationale largement établie, a croqué une série de portraits de paysans et autres manuels marocains aux visages particulièrement ravinés, qu'il a su rendre avec une tendresse et une véracité exceptionnelles – d'autant que lesdits portraits ont été brossés, en noir et blanc, en format géant, sur les façades aveugles de maints buildings à travers le monde, selon une technique authentiquement handmade, proprement éblouissante.

Intitulé Tracing Morocco, ce dernier travail de Beikirch a donné lieu au premier beau-livre édité par la fondation. Un bel album en vérité, dans les commentaires, signés JHL – comprenez Jean-Louis – sont en trois langues : arabe, français, anglais. L'ouvrage inaugure une collection,
nous assure-t-on.
A quelques centaines de mètres du siège de la fondation, est en train de s'élever, à très grande vitesse, un autre bâtiment. Un espace muséal d'environ 2 500 m2, destiné à accueillir la collection permanente réunissant quelque 500 œuvres majeures et plusieurs événements par an. Ce que nous avons pu voir des travaux, fort avancés, est impressionnant.
Reste une question que nous ne pouvions pas ne pas poser : pourquoi aucun artiste marocain n'a, jusqu'à présent, été programmé ? La réponse vaut ce qu'elle vaut : « J'ai besoin de connaître les artistes que je promeus. Ceux, parmi les Marocains dont le travail m'intéressait, étaient déjà sous contrat avec des galeries. Laissez-nous le temps de nous familiariser avec le milieu de l'art contemporain marocain... »
Prenez votre temps, Monsieur Jean-Louis, nous ne sommes pas pressés.
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