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« Meqbouline, les hôtes de Toumliline »: Izza Genini fait revivre le monastère de Toumliline dans son nouveau documentaire
Le 10 avril, le cinéma La Renaissance à Rabat accueille la première du dernier film d’Izza Genini, Meqbouline, les hôtes de Toumliline. La réalisatrice y exhume une page méconnue de l’histoire marocaine, celle d’un monastère bénédictin à Toumliline, au cœur de l’Atlas, devenu, au sortir du Protectorat, un haut lieu d’échanges intellectuels et spirituels.
Le film s’ouvre en 1952, dans un Maroc encore sous emprise coloniale, alors que vingt moines bénédictins venus de l’Abbaye d’En-Calcat en France s’installent à Toumliline, non loin d’Azrou. Là, au cœur des montagnes, ils fondent un monastère qui deviendra, pendant plus d’une décennie, un laboratoire d’utopie discrète, entre dialogue des cultures, action sociale et quête spirituelle.
Intitulé Meqbouline, qui signifie « acceptés » en arabe, le film d’Izza Genini revient sur cette expérience singulière d’hospitalité mutuelle. Les moines ne se sont pas imposés, ils ont été reçus. Et cette réciprocité prend ici une dimension politique.
À l’époque, les bénédictins organisent les Rencontres internationales de Toumliline, avec le soutien du roi Mohammed V et de son gouvernement. Philosophes, écrivains, croyants ou agnostiques, jeunes et intellectuels marocains et étrangers s’y réunissent pour débattre, dans un Maroc en pleine ébullition, sur fond de fin de Protectorat et d’émergence d’un nouvel État souverain.
Un film d'archives et d'intuitions
Pour la réalisatrice, cette histoire est une révélation tardive. « En 2019, lors d’une table ronde à Essaouira, je découvre Toumliline, dont j’ignorais l’existence », raconte-t-elle. L’idée d’un film émerge avec Lamia Radi, présidente de la Fondation Mémoires pour l’Avenir (FMA), à l’initiative du projet. De là commence un long travail de collecte, d’archives et de témoignages, que Genini mène avec sa rigueur habituelle. En 2022, elle s’installe à Marrakech dans le Riad de la Fondation Denise Masson pour écrire le film, et s’imprégner de l’histoire.
La FMA, à l’origine du projet de réhabilitation du site, avait déjà œuvré à la collecte d’objets, de livres et de documents d’archives, en lien avec les enfants de la région. Le film s’inscrit donc dans une dynamique mémorielle plus large, initiée en parallèle de l’exposition "Réinventer Toumliline", accueillie aux Archives du Maroc
Pour la présidente de la Fondation Mémoires pour l’Avenir, « il semblait essentiel de faire connaître l’histoire de cette rencontre exceptionnelle dans notre pays et de ces altérités mutuellement acceptées, par le grand public marocain. Après avoir réuni des archives, édité 8 livres en arabe, tifinagh, français et anglais, entrepris la réhabilitation des lieux, nous avons choisi la voie du documentaire, pouvant rendre compréhensible au plus grand nombre cette rencontre humaine révélatrice de la profonde ouverture de l’âme marocaine ».
Meqbouline est un retour aux sources pour la réalisatrice. Une tentative de recomposer, à partir de fragments : photos, films, voix, souvenirsn ce que fut « l’esprit de Toumliline ». « Ce qui m’a frappée, c’est à quel point cette présence chrétienne a été perçue comme naturelle », écrit Genini. « Une différence vécue sans tension, dans la réciprocité, la modestie, le partage ».
Figure incontournable du paysage cinématographique marocain, Izza Genini crée avec Meqbouline une œuvre, engagée et sensible. Après avoir produit dans les années 1980 des films essentiels comme Transes d’Ahmed El Maânouni (restauré par Martin Scorsese), elle s’est tournée vers la réalisation avec la série Maroc, corps et âme, et plus récemment Mon Souk du Jeudi. À 82 ans, elle poursuit, sans relâche, sa quête de mémoire et de transmission.
Produit avec le soutien de l’USAID et du programme DAKIRA, Meqbouline est aussi un geste de mémoire au présent : un film pour penser l’hospitalité dans un monde troublé, et raviver un héritage d’ouverture et de dialogue.
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