Le bloc notes de la rédaction
Protectorat: pour Emmanuel Macron, la France est entrée par « effraction » au Maroc
Le très attendu discours du président français Emmanuel Macron au Parlement de Rabat était particulièrement scruté. La consécration de la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en est sans doute le passage emblématique et celui qui a nourri les applaudissements les plus enthousiastes. Mais avant d’en arriver là, le chef de l’Etat français a consacré un large préambule à l’histoire séculaire entre les deux nations, qu’il qualifie de « véritable communauté de destins ».
Une rétrospective qui débute par le rappel des relations diplomatiques au temps des souverains Moulay Ismaïl (1672-1727) et Louis XIV (1643-1715). Le Président a choisi de convoquer la mémoire d’Abdellah Ben Aïcha « ce corsaire […] qui fut envoyé à Versailles pour demander la main de la fille du roi Soleil ».
Si l’anecdote de l’improbable intérêt du sultan marocain pour la Princesse de Conti est réelle, cette demande en mariage n’était pas à l’ordre du jour de la mission diplomatique de Ben Aïcha. Celui qui fut en effet un ancien Corsaire de Salé, est, en 1698, chargé par Moulay Ismaïl, de se rendre à Versailles pour négocier le rachat où l’échange des captifs détenus par les deux pays, dans les galères marseillaises pour les Marocains, et dans les prisons de Meknès pour les Français.
Si la mission du diplomate marocain est finalement un échec, Ben Aïcha a néanmoins pu rendre compte à son sultan de l’état de la France de Louis XIV et des splendeurs de Versailles. Parmi elles, la princesse de Conti, dont il ne tarit pas d’éloges. Il n’est d’ailleurs pas le seul. Jean de la Fontaine y va également de ces quelques vers : « L’herbe l’aurait portée Une fleur n’aurait pas Reçu l’empreinte de ses pas ». Mais outre l’aspect romantique du récit, le sultan a également des visées politiques. En s’alliant à la puissante dynastie des Bourbons, le souverain alaouite entend contenir l’agressivité espagnole et par la même occasion établir une réelle alliance avec la France, alors indiscutable grande puissance européenne.
Ce n’est qu’au retour de Ben Aïcha en juin 1699, que Moulay Ismaïl décide d’envoyer une lettre au Roi de France, en demandant explicitement qu’on lui accorde la main de la Princesse de Conti. N’ignorant pas les contraintes religieuses d’une telle alliance, il précise que la Princesse « restera dans sa religion, intention et manière de vivre ». La nouvelle, arrivée à Versailles ne manque pas de faire les choux gras de la cour.
Les commentaires se multiplient à l’image de celui de Jean-Baptiste Rousseau qui écrit : « Votre beauté, grande Princesse, Porte les traits dont elle blesse Jusques aux plus sauvages lieux. L’Afrique avec vous capitule, Et les conquêtes de vos yeux Vont plus loin que celles d’Hercule ». Quant à Louis XIV, il ne donna aucune suite à ce causasse épisode, manquant ainsi l’occasion de réécrire l’Histoire.
Autre diplomate cité par le Président de le République, Idriss Ben Mohammed Al Amraoui, envoyé du sultan Mohamed Ben Abderrahmane (1859-1873) à la cour de Napoléon III (1852-1870) en 1860. Ce notable, un homme de lettre respecté, a en effet, comme le précise Macron, témoigné de la « France de 1860 ». L’ambassadeur, stupéfait par la taille de Paris « douze fois grande comme Fès », apporte un jugement nuancé du pays de ses hôtes.
Tantôt admiratif, comme lors de la visite du Musée des Armes « on a rangé ces armes de manière si admirable que leur contemplation est très aisée », tantôt choqué des mœurs et coutumes françaises. Il se plaint dans son compte-rendu de la « corvée » que représente pour lui la balade des jardins de Versailles : « Ils nous firent tourner dans cet immense jardin, alors que nous marchions à pied pour visiter plus de trente endroits où il n’y avait que des eaux. Nous ne pûmes terminer cette visite qu’en faisant des efforts… Cette journée fut pour nous une corvée qui nous fit regretter la visite ». Amraoui s’étonne également qu’ « enfants, hommes et femmes s’y promènent à longueur de journée… Les Français ne peuvent rester chez eux ni s’enfermer dans leurs chambres qu’aux heures de repas ou pendant la nuit ».
L’ambassadeur continue d’exprimer ses réticences quant à l’utilité des parcs et musées, notamment celui du Jardin des Plantes et des Animaux : « quelle utilité, quel profit, quel prestige y a-t-il à rassembler des chiens, des porcs […] ? Quel bénéfice tirer d’une collection de cadavres puants et inutiles ? ».
L’Histoire rappelée par le président français est aussi celle transmise par les orientalistes venus s’aventurer en terre marocaine. Emmanuel Macron reconnaît en eux « des artistes qui posèrent à coup sûr sur le Maroc le regard le plus passionné : Delacroix, Matisse, Majorelle et toute la cohorte des peintres et écrivains voyageurs qui abordèrent toujours le Maroc avec respect, avec admiration ». Tous, n’ont sans doute pas eu une telle bienveillance à des époques où la hiérarchie des « races » était la norme. Mais les toiles et les récits de ses aventuriers ont certainement posé les jalons d’une fascination française pour le Maroc allant quelque fois jusqu’au fantasme.
Colonisation, l'exercice mémoriel
L’occasion pour Emmanuel Macron d’entamer sa transition vers une « mémoire commune, qui connaît aussi sa part d’ombre ». Le récit de la période coloniale « temps des traités inégaux, quand l’hubris et la force mécanique des États européens s’imposèrent aux quatre coins du monde », est particulièrement symbolique dans le discours du chef de l’Etat, sensible aux questions mémorielles de ce chapitre de domination.
Le Président reconnaît que « le Maroc n’échappa pas aux ambitions et aux violences de l’histoire coloniale. La France fit effraction, d’abord par le truchement d’accords commerciaux et financiers, puis par le traité de Fès ». Le choix des mots, et le champ lexical employé en référence à un acte de brigandage, font de ce discours un tournant par rapport aux discours de ses prédécesseurs.
Précisément sur la même estrade, en janvier 2013, François Hollande avait seulement évoqué le « temps des prétentions coloniales. C’est là que notre histoire a connu plus de tumultes et même une part d’ombre avec les atteintes à la liberté des Marocains, puis la trop longue attente de l'indépendance ». Si Emmanuel Macron va plus loin dans la reconnaissance des torts de l’entreprise coloniale d’une France qui « imposait ses vues et consolidait ses intérêts » il ne manque pas de citer « des hommes qui cherchèrent à comprendre, à respecter et, je crois, à aimer cet empire millénaire dont ils percevaient l’identité profonde et irréductible ». Dans un souci d’équilibre promouvant un engagement plus humaniste d’une partie de la France anticoloniale, Macron consacre un passage important à rappeler l’action des « Français libéraux » au chevet d’un Maroc en lutte pour son indépendance.
Un épisode dont il cite certains acteurs comme les intellectuels Louis Massignon, Jacques Berque ou encore « au lendemain de la Première Guerre mondiale, ces pionniers constituent le comité France- Maghreb, auquel adhèrent François Mauriac, François Mitterrand, et soutiennent avec Amédée Lefèvre, Vicaire général de Rabat, les initiatives du monastère de Toumliline en faveur du réveil des ‘consciences inquiètes’ et de l’émancipation des Marocains ». Le Président fait ici référence à l’action des moines franciscains basés à Azrou dont la mémoire imprégnée d’ouverture et de tolérance est en cours de réhabilitation. Emmanuel Macron rend aussi hommage à ces « libéraux, émules de Jacques Berque, regroupés dans Conscience française et le Centre d’études et de documentation de Jean Védrine (père d’Hubert Vedrine, ancien ministre français des Affaires Etrangères ndlr), qui poseront les premiers jalons conduisant à Aix-les-Bains ».
Une bonne volonté qui s’est toutefois heurtée, selon les mots du Président, à une République « demeurée aveugle et sourde au renouveau qui se faisait jour parmi la jeunesse marocaine et que le sultan Mohammed V allait bientôt incarner et défendre ». Il rappelle à ce sujet qu’ « il fallut néanmoins encore plusieurs Résidents généraux et le sombre épisode de la déposition du Sultan Mohamed V et de son exil avant que la raison ne prévale ».
Le fil du récit se poursuit au retour du sultan Mohammed Ben Youssef le 16 novembre 1955, et quelques jours avant « la déclaration de la Celle-Saint-Cloud, le 6 novembre 1955, [qui] scelle un nouveau temps ». Pour Macron, cet épisode épargne aux deux pays « les dix années de la guerre d’Indochine et les huit ans de celle d’Algérie. Ces quelques mois qu’employèrent les négociateurs pour ouvrir la voie à l’indépendance sont à marquer d’une pierre blanche dans notre histoire, car ils ont permis au Maroc et à la France de surmonter les cicatrices laissées par l’épisode colonial ».
Fidèle à la tradition républicaine, Emmanuel Macron n’a pas manqué également d’ « exprimer […] respect et […] gratitude » en hommage aux soldats marocains tombés sur les champs de bataille européens durant le XXe siècle : « quand la France se tourne vers ces 80 dernières années de relations franco-marocaines, c’est d’abord de la gratitude qu’elle ressent, pour tous ces hommes venus du Maroc pour libérer notre patrie du joug de l’occupant, en Provence, dans la vallée du Rhône, mais aussi sur tous les autres théâtres où les Forces Françaises libres furent engagées ».
Le chef de l’Etat poursuit à ce sujet « Partout la chéchia et la ceinture écarlate des tirailleurs devint synonymes de bravoure et de sacrifice, partout, les goums et les tabors ont payé le prix du sang pour notre liberté. Comme le fit le général de Gaulle en reconnaissant le Sultan Mohammed V comme compagnon de la Libération, comme j’ai eu l’occasion de le faire cet été à la nécropole de Boulouris, à Saint-Raphaël, où dorment tant des vôtres ».
L’allocution relative à l’Histoire du Président s’achève avec un épisode plus récent, celui qui vient après « le temps du sang versé, le temps des héros et de la guerre », celui des « forces vives de la paix ». Macron fait ici référence à « la reconstruction de la France et à son industrialisation » après 1945 grâce à ces « dizaines de milliers et bien plus encore de Marocains ».
Les premières vagues de migration ont ainsi concernés « Notre capitale, nos régions, nos villes, Marseille, Lyon, Toulouse, Le Havre, Montpellier, Lille, Metz, Nantes, Strasbourg, Grenoble, tant d’autres, en portent aujourd’hui le témoignage à travers les communautés d’origine marocaine qui y vivent et qui participent à la vitalité de la France de ce siècle ». Alors que cette question est aujourd’hui au cœur des préoccupations médiatiques françaises, marquée par la montée de l’extrême droite, Emmanuel Macron se demande « combien d’élus, d’entrepreneurs, d’artistes, de sportifs dont l’histoire familiale, les patronymes, les valeurs spirituelles aussi incarnent ce que le Maroc a apporté à la France pour qu’elle devienne ce qu’elle est aujourd’hui ? ».
Le Président rappelle, que dans le sens inverse « ici, au Maroc, la France est demeurée depuis l’indépendance le partenaire fidèle des évolutions de la société. La communauté française, dans sa diversité, y demeure la plus importante en Afrique ». C’est en ce sens que Macron conclut ce passage par une affirmation « Oui, de part et d’autre du temps et des mers, lorsque l’on parle du Maroc et de la France, il faut voir et il faut dire que nous ne sommes pas tout à fait étrangers l’un à l’autre ».
En consacrant une telle place à l’évocation de l’Histoire commune entre les deux pays, le chef de l’Etat français légitime un partenariat d’expression et les promesses d’un avenir à la hauteur des enjeux à venir. Il rend ainsi hommage au roi Mohammed VI et ses 25 ans de règne « incarnant la continuité de l’une des plus anciennes dynasties du monde et l’un des visages de la modernité industrielle et technologique ».
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