Deux phases du programme-pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) se sont soldées par des résultats « très satisfaisants », concrétisés par d’importantes réformes en faveur du développement au Maroc. Ainsi, les politiques publiques adoptées au cours des dernières années se sont traduites par des avancées dans plusieurs domaines économiques et sociaux. Cependant, le royaume continue à faire face à de nombreux défis, alors que certaines actions manquent en efficacité et demeurent « en-deçà des ambitions du Maroc ».
Marquant la clôture de la deuxième phase de son programme-Maroc, l’OCDE a établi un diagnostic approfondi de la situation du pays. « L’Étude économique de l'OCDE consacrée au Maroc », présentée ce 11 septembre à Rabat, retrace ainsi le parcours de développement du royaume, mettant à la fois en avant les réalisations et les insuffisances. L’accélération de la croissance, le renforcement des ressources de l’État, la création d’emploi et la transition énergétique se profilent parmi les secteurs prioritaires où il faut doubler l’effort.
Une économie résiliente, mais des retards de croissance
« Le Maroc a subi à la fois les crises internationales de la pandémie et de l’énergie, mais également ses propres difficultés avec la sécheresse et le tremblement de terre. Cependant, le pays a très bien rebondi », souligne au Desk Sebastian Barnes, chef de la division études nationales de l’OCDE. Cependant, si les taux de croissance « raisonnables » réalisés au cours des dernières années sont la preuve de la résilience de l’économie marocaine, ceux-ci, estime notre interlocuteur, ne sont « pas forcément au niveau de l’ambition et du potentiel qui existe au Maroc ». Dans ce sens, l’OCDE souligne dans son rapport qu’en ce qui concerne la croissance, « il y a largement de la place pour accélérer le processus de rattrapage ».
Le revenu par habitant du Maroc, ne dépassant pas 10 000 dollars internationaux (Int $) reste en effet bien inférieur à celui des membres de l'OCDE et des pays comparables de la région. Le royaume se retrouve ainsi, selon la même source, à la traîne, après des pays comme la Jordanie, la Tunisie, l’Égypte ou encore l’Afrique du Sud. Par ailleurs, le revenu par habitant enregistré au Maroc représente à peine près de 20 % de la moyenne de l’OCDE. Dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), ce pourcentage dépasse à peine les 27,5 %. « Le rapprochement de la moyenne des économies avancées a continué jusqu'en 2011, date à laquelle le trend a commencé à s'inverser, ce qui signifie que les revenus par habitant ont depuis augmenté plus lentement que dans les pays de l'OCDE en moyenne. Bien que la position du Maroc par rapport aux niveaux moyens des revenus par habitant dans les pays de la région MENA se soit considérablement améliorée en 2015, lorsque de nombreux pays ont connu des récessions, le rythme a depuis stagné », étaye le rapport.
Alors que la performance de l’économie a été freinée par des gains de productivité faibles, et la croissance a été trop faible pour générer suffisamment d'emplois pour faire face à la perte des emplois agricoles, les réformes entreprises devraient permettre d’améliorer la croissance. Bien que le PIB reste inférieur à la tendance pré-pandémique, « l'économie marocaine se remet progressivement de la pandémie et des chocs liés aux prix de l'énergie et des denrées alimentaires, malgré le tremblement de terre dévastateur de 2023 et les sécheresses récentes (…) affichant une forte croissance au cours des derniers trimestres », indique ainsi le rapport.
Cette croissance a été soutenue par la reprise de la production agricole avec l'atténuation de la sécheresse, la performance impressionnante du et l’augmentation de la consommation privée et publique ainsi que de l’investissement. Pour ancrer cette tendance, le pays, estiment les analystes de l’OCDE, est appelé à relever plusieurs défis, dont la poursuite du développement des secteurs industriels et la promotion de l’investissement privé et étranger.
L’équilibre budgétaire à l’épreuve des réformes
La politique monétaire « efficace », « autonome » et « prudente » du Maroc a permis d’assurer une stabilité macroéconomique et de soutenir l’économie nationale durant les récentes crises. Cependant, l’État a été à son tour amené à allouer des budgets conséquents pour atténuer les chocs inflationnistes, à travers des subventions, ainsi que divers programmes sectoriels de soutien. « Le déficit public a doublé, passant d'environ 3,5 % du PIB en moyenne sur la période 2016-2019 pour atteindre un pic de plus de 7 % du PIB en 2020 », souligne l’OCDE. Aujourd’hui, cette tendance commence déjà à s’inverser, avec la reprise de l’activité et l’explosion des rentrées des exportations de l’automobile et du tourisme. En parallèle, le déficit budgétaire devrait à son tour poursuivre sa tendance à la baisse pour atteindre environ 4 % du PIB d'ici fin 2024, estiment les auteurs du rapport, notant que « les recettes fiscales et non fiscales ont fortement augmenté, tandis que les subventions ont diminué avec le relâchement des prix mondiaux des matières premières ».
La réussite de ce pari demeure toutefois tributaire de la poursuite des réformes fiscales et du système d’aides publiques. Le financement des programmes sociaux et de la généralisation de la couverture sociale représentant un coût de 34,5 milliards de dirhams (MMDH), soit 2,3 % du PIB, les dépenses de l’État devraient continuer d’augmenter, tirées aussi par les réformes lancées et les investissements dans les infrastructures et la reconstruction post-séisme. Pour réussir ces réformes structurelles, le Maroc est donc appelé à renforcer ses rentrées. Et selon l’OCDE, il existe « une marge importante pour augmenter les recettes », et qui doit être exploitée. « Le Maroc devrait renforcer la conception de chaque type d'impôt tout en maintenant l'efficacité et l'équité », ajoute-t-on.
Actuellement, la plupart des recettes (près de 40 %) proviennent des impôts indirects, en particulier la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), une ressource qui devrait « augmenter avec la rationalisation récente ». En revanche, les impôts sur le revenu, les bénéfices et les plus-values représentent un quart uniquement des recettes totales (8 % du PIB), représentant « une source de revenus beaucoup moins importante que dans les pays de l'OCDE, en partie en raison du très haut niveau d'informalité et des problèmes de conformité », souligne le rapport qui illustre ce constat par un exemple frappant : Moins de 4 millions d'employés du secteur privé se déclarent auprès des autorités fiscales, bien que plus de dix millions travaillent. De plus, moins de 5 % des contribuables du secteur privé contribuent à plus de trois quarts des impôts sur le revenu, tandis que 80 % des contribuables du secteur privé ne contribuent qu'à 1,6 % de ces impôts.
S’agissant de la réforme de l’impôt sur les sociétés en passant d’un taux de 10 % à 20 %, les analystes de l’OCDE alertent que, bien que pouvant booster les recettes publiques, celle-ci pourrait nuire aux petites entreprises. « Étant donné que 90 % des sociétés déclarantes appartiennent à cette catégorie, ces changements entraînent une perte significative de compétitivité, car 20 % est un taux de départ élevé par rapport à d’autres pays ». En revanche, des exigences de déclaration et de divulgation plus strictes, ainsi qu'une formalisation plus efficace des activités informelles pourraient promouvoir davantage d'entreprises rentables. Globalement, « le cadre fiscal devrait être renforcé tout en offrant une flexibilité de manière bien définie … cela devrait combiner une application plus efficace des obligations fiscales et des mesures pour encourager la conformité volontaire, parallèlement à un éventail d'autres mesures pour favoriser la formalisation », préconise l’OCDE.
Une autre piste pour renforcer les rentrées de l’État est la réforme des établissements et entreprises publics (EEP). Selon les données présentées par l’étude, ces organismes ne contribuent qu’à hauteur de 1 % du PIB sous forme de dividendes et contributions, OCP étant le plus grand contributeur. De plus, la plus grande partie des contribution non-fiscales des EEP leur est réinjectée, signale-t-on.
L’emploi, le grand hic
« La reprise du marché du travail a été faible (…) et le marché du travail a sous-performé pendant la relance », relève l’OCDE dans son étude, citant les taux d'emploi et de participation au marché du travail qui « ont continué de suivre une tendance à la baisse », et le taux de chômage qui a atteint son niveau « le plus élevé des deux dernières décennies ». En plus du ralentissement économique qui a empêché le marché du travail de créer suffisamment d’emplois de qualité, le rapport souligne les « importantes » disparités régionales et sociales, les problèmes de transport et les différences en matière de développement entre les villes, les régions côtières et les zones rurales et montagneuses : « Selon les régions, les résultats du marché du travail varient considérablement : en 2022, les taux de participation au marché du travail variaient de 38 % à 50 % et les taux de chômage de 7 % à 20 % ».
En outre, l’inadéquation entre la formation et les besoins du marché figure aussi parmi les obstacles : « les compétences des jeunes ne correspondent pas toujours aux besoins des employeurs et qu'il existe des barrières à leur participation aux emplois formels (…) au niveau secondaire supérieur, seulement 15 % des étudiants en 2019-20 ont choisi de suivre des cours de formation professionnelle, tandis que trop nombreux sont ceux qui s'engagent dans des études universitaires dans des domaines avec peu de demande sur le marché du travail privé ».
A ces difficultés, s’ajoute la prépondérance de l’informel. Citant de précédentes enquêtes du Haut-commissariat au plan (HCP), la même source souligne que la part de l’informel varierait entre de 51,2 % à 80 %, selon les définitions et méthodes adoptées. « Une des principales sources de divergence est de savoir si le chiffre inclut ou non le secteur agricole, car c'est là où se trouvent la majorité des travailleurs informels : on estime que 82 % des femmes et 46 % des hommes sont informels dans l'agriculture », ajoute le rapport soulignant que le phénomène est également répandu dans la construction et les travaux publics, ainsi que dans le commerce et les services de réparation. En gros, « bien que l'ampleur de l'informalité au Maroc soit difficile à évaluer précisément, il semble qu'elle soit plus répandue que dans de nombreux autres pays similaires lorsque le secteur agricole est inclus ».
Les femmes et les jeunes sont les plus touchés par le chômage, avec la « majorité » d’entre eux qui sont inactifs ne participant pas au marché de l’emploi. Pour les femmes, « moins d'une femme en âge de travailler sur cinq était en emploi ou à la recherche d'un emploi en 2023, soit près de 50 points de pourcentage derrière le taux correspondant des hommes », indique l’étude. Si la faible participation des femmes au marché de travail est répandue dans la région MENA, en raison du contexte culturel, au Maroc, une tendance alarmante est relevée : « Le taux de participation des femmes au Maroc a diminué au fil du temps depuis 2005, malgré l'augmentation du niveau d'éducation et la baisse de la fécondité ». Chez les jeunes, le chômage est particulièrement « répandu parmi les de moins de 25 ans (35,8 %) (…) et ceux ayant un niveau d'éducation élevé, notamment les diplômés universitaires », avec « une part relativement grande des NEETs », souligne-t-on aussi.
Un autre constat relevé est que la productivité du travail au Maroc reste faible, avec un écart « important » par rapport à d’autres pays. « La croissance au Maroc a principalement été tirée par les facteurs de production, notamment le capital, tandis que la contribution du travail a été modeste. Des taux d'investissement élevés conformes aux normes internationales devraient se traduire par une croissance plus élevée, mais les faibles efficacités d'investissement freinent une contribution plus importante. La contribution de la productivité totale des facteurs, qui reflète l'efficacité de la combinaison du travail et du capital, a été très modeste au cours des dernières décennies, souvent même négative », souligne-t-on.
Une nouvelle phase, sous le signe de « la continuité »
« Le lancement de cette étude aujourd’hui même est un grand événement qui marque trois étapes majeures de notre coopération : le lancement de la première Étude économique de l’OCDE consacrée au Maroc, la conclusion de la deuxième phase du Programme-pays OCDE-Maroc, et la signature d’un protocole d’accord visant à continuer d’aider le Maroc à atteindre ses objectifs de croissance économique et de développement », a déclaré Mathias Cormann, secrétaire général de l’OCDE, lors de la conférence marquée par la signature d'un nouveau protocole d'accord visant à renforcer la collaboration avec le Maroc autour de nouvelles priorités. Selon Cormann, « stimuler la productivité et insuffler du dynamisme au secteur privé, relever les défis du marché du travail et progresser sur la voie de la transition climatique sont autant de moyens d’aider le Maroc à accélérer la croissance et à relever le niveau de vie ».
C'est autour de ces priorités donc que s'articulera la nouvelle phase du programme-Maroc de l'OCDE, dont la feuille de route devrait être dévoilée dans les mois à venir. Alors que le programme-Pays II Maroc-OCDE s'est focalisé sur des priorités stratégiques telles que la gouvernance publique, la croissance économique et l'investissement, le nouvel accord ouvre la voie à une nouvelle ère de coopération renforcée, axée sur des réformes plus ambitieuses et en adéquation avec les défis actuels du Royaume, notamment en matière de développement inclusif, de modernisation, de développement territorial.
Pour cette nouvelle étape, le développement des énergies renouvelables, la transition énergétique et la résilience au changements climatiques occupent une place de premier plan. Dans son étude, l'OCDE classe la rareté des ressources hydriques parmi les défis majeurs auxquels est confronté le Maroc. Elle pointe également le retard accusé en matière de décarbonation, estimant qu'à la vitesse actuelle le Maroc ne pourrait probablement pas atteindre l'objectif de la neutralité carbone fixé pour 2050. « Ces axes peuvent apporter des réponses à plusieurs des problématiques examinées dans l'étude, en permettant d'étendre les activités industrielles, d'apporter plus de valeur ajoutée pour le pays, créer de nouveaux emplois, mais surtout de faire face aux défis qui aujourd'hui pèsent sur l'économie », indique Carlos Conde, chef de la division Moyen-orient et Afrique de l'OCDE.
« C'est un engagement qui s'inscrit dans la continuité. Le travail que nous faisons avec le Maroc est le même que nous menons avec d'autres pays de l'OCDE et partenaires, qui sont régulièrement confrontés à de nouveaux défis. Cela nous pousse et nos partenaires à améliorer continuellement la qualité des politiques », ajoute le responsable.
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