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n°1065.Banque mondiale : 83 % des entreprises marocaines évoluent dans l’informel

25.04.2025 à 15 H 35 • Mis à jour le 25.04.2025 à 15 H 35 • Temps de lecture : 6 minutes
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Dans son Economic Update d’avril 2025 pour la région MENA, la Banque mondiale dresse un état des lieux critique du secteur privé marocain. Malgré des signes de progrès en matière de productivité interne, les entreprises les plus performantes ne gagnent pas en influence, l’informalité reste écrasante, et la participation des femmes au marché du travail demeure marginale

Le Maroc fait partie des rares pays de la région MENA pour lesquels des données de productivité longitudinales permettent une analyse fine des dynamiques internes du secteur privé. Dans ce cadre, dans son Economic Update d’avril 2025 pour la région MENA, la Banque mondiale observe un paradoxe : les entreprises marocaines les plus productives ne parviennent pas à accroître leur part de marché. Autrement dit, leur efficience technique progresse, mais sans que cela ne se traduise par une domination croissante sur le tissu économique. Ce phénomène suggère des barrières à la croissance des firmes les plus performantes, qu’elles soient d’ordre réglementaire, financier ou liées à des distorsions de concurrence.


L’analyse de la productivité au Maroc révèle une amélioration interne (« within effect ») dans les entreprises : entre 2016 et 2019, la productivité du travail, mesurée par le chiffre d'affaires par travailleur, a progressé de 2 %, et cette hausse est principalement portée par le secteur des services (+8 %). En revanche, cette dynamique est affaiblie par un « between effect » négatif : les entreprises les plus productives ne gagnent pas en parts de marché, tandis que les moins productives prennent de l’ampleur. Si la structure du marché n’avait pas changé, la croissance de la productivité aurait atteint 5 %, soit plus du double du taux enregistré​.

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Ce décalage souligne une réalité persistante : les firmes les plus performantes restent confinées, sans capacité à se développer à l’échelle de l’économie. À cela s’ajoute un autre indicateur préoccupant : les taux d’entrée et de sortie des entreprises marocaines sont environ deux fois plus faibles que ceux observés en Colombie (respectivement 11 % et 12 %), signe d’un manque de dynamisme entrepreneurial​. Selon le rapport, la croissance des ventes par travailleur a chuté en moyenne de 8 %, un chiffre bien en deçà de celui des pays à revenu intermédiaire inférieur (0,4 %), des pays à revenu intermédiaire supérieur (0,4 %) et des pays à revenu élevé (2,4 %).

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L’informalité, poids mort de l’économie marocaine

L’économie informelle représente une part prépondérante de l’activité au Maroc. La Banque mondiale estime que 83 % des entreprises du pays opèrent en dehors du cadre légal, bien au-delà des moyennes régionales comme la Jordanie (50 %) ou le Liban (40 %)​. Ces structures, souvent peu productives, échappent à la fiscalité, à la régulation du travail et aux mécanismes d’accompagnement public. L’absence de données précises sur leur fonctionnement rend difficile la formulation de politiques efficaces, alors même qu’elles concentrent une large part de l’emploi national.


Cette informalité de masse s’explique autant par la contrainte administrative que par la faiblesse des incitations à la formalisation. Cette situation résulte d’un environnement réglementaire complexe, de pratiques fiscales dissuasives, d’un accès restreint au financement, mais aussi d’un climat de défiance envers les institutions. Pour de nombreuses micro-entreprises, l’informalité n’est pas un choix stratégique mais une condition de survie dans un environnement perçu comme hostile. Le rapport suggère d’intégrer la diversité des profils informels dans la conception des politiques publiques, certaines entreprises étant viables et compétitives, d’autres non. Une approche différenciée semble nécessaire.


Une moitié du capital humain ignorée

Autre constat préoccupant : la sous-participation chronique des femmes au marché du travail. Avec un taux d’activité de seulement 18 %, l’une des plus faibles de la région MENA, le Maroc se situe parmi les pays les plus inégalitaires du monde en la matière. Ce sous-emploi massif représente une perte considérable pour l’économie nationale. Pourtant, selon les économistes de la Banque mondiale, combler ce fossé pourrait entraîner une hausse de 50 % du revenu par habitant dans une économie typique de la région.


Le rapport met en évidence un levier sous-estimé : les femmes dirigeantes. Les entreprises dirigées par des femmes emploient en moyenne deux fois plus de femmes que celles dirigées par des hommes : seules 5,4 % des entreprises marocaines sont dirigées par des femmes, contre plus de 20 % dans d'autres économies à revenu intermédiaire. Cette faible proportion de dirigeantes au Maroc traduit des obstacles persistants à l'entrepreneuriat féminin. Or, les données indiquent que les entreprises dirigées par des femmes emploient en moyenne deux fois plus de femmes, révélant un levier structurel puissant mais encore marginalisé.


Un secteur privé résilient mais vulnérable

Le Maroc, comme ses voisins, subit de plein fouet les effets des chocs exogènes — sécheresses récurrentes, volatilité des prix mondiaux, tensions géopolitiques. Confronté à ces chocs récurrents, le secteur privé marocain fait preuve d’une certaine résilience, mais celle-ci reste fragile. La sixième année consécutive de sécheresse en 2024 a affecté la croissance agricole et impacté l’ensemble des chaînes d’approvisionnement. Les PME, moins capitalisées, sont les plus vulnérables à ces chocs exogènes. Toutefois, des signes de résilience émergent : certaines adaptent leurs modèles face à l’adversité, notamment en diversifiant leurs activités ou en modernisant leur gestion.


Mais cette résilience reste à renforcer. La Banque mondiale recommande de professionnaliser davantage les pratiques managériales, facteur essentiel de productivité, et d’encourager l’entreprenariat. L’un des facteurs clés identifiés dans le rapport pour renforcer cette résilience est la qualité du management. L’adoption de bonnes pratiques managériales, couplée à un soutien renforcé à l’entrepreneuriat féminin et à la numérisation des entreprises, permettrait d’amortir les crises futures tout en améliorant la compétitivité.


Réformer le contrat économique 

Enfin, pour libérer le potentiel du secteur privé, la Banque mondiale insiste sur l’urgence de repenser le rôle de l’État dans l’économie marocaine, notamment par la révision en profondeur de son mode d’intervention. Cela passe par l’assainissement de l’environnement des affaires, une réduction des distorsions concurrentielles entre entreprises publiques et privées, une simplification des procédures administratives, une plus grande transparence dans l’application des politiques industrielles et une amélioration de l’accès à la donnée.


L’institution insiste également sur l’importance cruciale d’une meilleure collecte de données d’entreprise — y compris informelles — pour orienter les politiques sur des bases factuelles. Une gouvernance économique fondée sur les preuves serait, selon elle, la clé d’une transformation durable.


Dans ce sens, le Maroc, en tant que l’un des deux seuls pays de la région MENA à disposer de données microéconomiques de qualité (avec la Tunisie), est bien placé pour mettre en œuvre des politiques fondées sur des preuves. À condition toutefois d’utiliser ces ressources pour construire un cadre de développement du secteur privé plus équitable, plus compétitif et plus inclusif.


Face à la pression démographique, aux transformations climatiques et aux mutations économiques mondiales, le secteur privé marocain doit se réinventer, estime la Banque mondiale. L’enjeu n’est plus seulement d’encourager l’investissement, mais de permettre aux entreprises les plus productives d’occuper la place qui leur revient, d’inclure pleinement les femmes dans l’économie, et de convertir l’informalité en moteur de croissance, en conclut la même source.

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