
n°1063.Code de procédure pénale : le CESE critique une réforme « à mi-chemin »
Le projet de loi 03.23, qui vise à modifier en profondeur le Code de procédure pénale marocain, s’inscrit dans une dynamique de modernisation du système judiciaire entamée depuis deux décennies. Il entend notamment renforcer les garanties du procès équitable, intégrer de nouveaux mécanismes comme la médiation pénale ou la justice restaurative, et introduire certaines innovations procédurales liées à la numérisation. Sollicité pour avis, le CESE reconnaît l’importance de cette initiative, mais regrette une approche partielle, technique et insuffisamment arrimée aux grandes transformations institutionnelles et sociétales du pays.
Un texte de « complément »
Le Conseil souligne que la réforme actuelle, bien que substantielle dans son volume – un tiers des articles du code modifiés –, ne s’accompagne pas d’un effort de réécriture globale. Il s’agit d’un texte de « modification et de complément », et non d’un nouveau code. Ce choix entraîne, selon le CESE, des risques de discontinuité, d’incohérence et de chevauchements entre les anciennes et les nouvelles dispositions, susceptibles de nuire à la lisibilité et à l’effectivité de la loi. Le Conseil appelle ainsi à reconsidérer la méthode législative et à opter, lorsque les changements sont aussi profonds, pour un nouveau texte consolidé.
Par ailleurs, le CESE alerte sur plusieurs dispositions problématiques du projet. Il critique notamment l’encadrement très restrictif du déclenchement des enquêtes pour les crimes financiers. L’article 3, dans sa nouvelle rédaction, exige qu’un dossier soit signalé par un organe de contrôle – Cour des comptes, IGF, ou autre – pour que le ministère public puisse ouvrir une enquête, sauf en cas de flagrance. Ce mécanisme, bien que présenté comme un moyen de rationaliser les poursuites, risque selon le Conseil d’affaiblir la capacité d’initiative du parquet dans la lutte contre la corruption et de ralentir considérablement le traitement des dossiers. Il est également jugé contraire au principe constitutionnel de l’accès égal à la justice et à l’obligation de l’État de poursuivre les infractions portant atteinte à l’intérêt général.
Le Conseil note aussi que les dispositifs de protection des victimes restent largement en deçà des standards internationaux. Le projet ne prévoit ni fonds d’indemnisation, ni procédures spécifiques pour les victimes autres que les femmes et les enfants. Il omet également d’aborder la question de l'accompagnement psychologique, de l’assistance sociale ou du soutien financier aux victimes de crimes graves, comme cela se fait en France, au Royaume-Uni ou aux États-Unis.
Un « verrouillage » de la vie associative
S’agissant des associations, le projet durcit les conditions de leur constitution comme partie civile dans les affaires pénales, exigeant un agrément d'utilité publique et un minimum de quatre années d’existence. Le CESE estime que ce verrouillage contrevient à la dynamique de participation citoyenne consacrée par la Constitution et risque d’affaiblir l’implication des organisations de la société civile dans la défense des droits.
Concernant la justice restaurative, le Conseil accueille favorablement son élargissement, notamment par la médiation pénale pour certaines infractions, mais considère que la réforme demeure timide. Elle gagnerait à être renforcée, institutionnalisée, et mieux articulée à l’objectif de désengorgement des tribunaux et de pacification sociale.
Plus largement, le CESE s’alarme du manque d’articulation de la réforme avec les enjeux sociaux, économiques et environnementaux contemporains. Il souligne que certaines décisions judiciaires, comme la saisie de biens ou l’emprisonnement pour défaut de paiement d’amendes, peuvent avoir des conséquences désastreuses sur l’activité économique et l’emploi. Il rappelle également que le projet de réforme ne contient aucune disposition relative aux crimes environnementaux, alors même que le Maroc s’est engagé à renforcer la protection de son patrimoine naturel et à respecter les objectifs du développement durable.
Absence d’étude d’impact
Enfin, le Conseil critique l’absence d’une étude d’impact globale du projet. Il estime que toute réforme d’ampleur dans le domaine judiciaire devrait être accompagnée d’une évaluation sérieuse de ses implications économiques, sociales, administratives et financières. Il appelle à une meilleure utilisation des données, à la réalisation d’analyses comparées et à l’intégration d’indicateurs de suivi.
Face à ces constats, le CESE émet une série de recommandations concrètes. Il préconise d’opter pour l’élaboration d’un nouveau Code de procédure pénale au lieu d’un simple amendement de l’ancien. Il demande une révision coordonnée et simultanée du Code pénal, afin d’assurer une cohérence entre la procédure et le fond. Il recommande également de rétablir la possibilité pour le parquet d’engager des enquêtes d’office en matière de crimes économiques, sans attendre un signalement administratif.
Le Conseil propose en outre de créer un mécanisme national d’indemnisation des victimes, d’alléger les conditions d’accès des associations à la procédure pénale, de renforcer la justice réparatrice, de généraliser la numérisation des procédures judiciaires et de garantir un encadrement plus humain et transparent de la détention provisoire. Il appelle également à intégrer explicitement les infractions environnementales dans le champ d’action de la justice pénale et à adapter les mesures coercitives à la réalité des entreprises et des travailleurs.
En somme, pour le CESE, la réforme actuelle, malgré ses avancées ponctuelles, reste en retrait par rapport à l’ambition d’une justice équitable, moderne et garante des droits. Il plaide pour une refondation globale de la politique pénale marocaine, fondée sur la transparence, la participation, l’efficacité et la dignité humaine.
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