n°986.Comment un exercice militaire maroco-américain a alimenté les spéculations d’espionnage en Espagne
Comme annoncé début août par Le Desk, l'exercice militaire multi-domaines Arcane Thunder se déroule pour la première fois au Maroc, du 5 au 16 août courant. L’édition de cette année connaît la participation d’environ 300 soldats américains, alliés et partenaires de quatre pays, qui prennent part à des exercices de synchronisation de précision et de guerre électromagnétique.
Quelques jours après, Le Desk livrait davantage de détails sur les opérations menées dans ce cadre, apportant par la même occasion des réponses aux nombreuses questions soulevées à la suite de la détection de « mystérieux » ballons espions dans le ciel marocain. Comme expliqué alors, les deux artefacts, qui avaient même fait craindre des intrusions d'aérostats chinois aux Etats-Unis, sont en réalité des dirigeables aérostatiques militaires conçus par les opérateurs privés Project Loon et Raven Aerostar. Ceux-ci avaient été déployés par l'armée américaine au Maroc dans le cadre de l'exercice Arcane Thunder 24 qui a vu pour la première fois la participation des Forces armées royales (FAR).
Cependant, à peine deux jours après, les mêmes inquiétudes ont refait surface sur les réseaux sociaux et médias espagnols, lorsque les ballons ont été détectés aux Îles Canaries. L’information a initialement été publiée le 8 août par le compte X (ex-Twitter) dédié au contrôle aérien, Controladores, révélant la présence de ballons stratosphériques survolant les Canaries. La publication reprenait une image du site Flightradar 24 qui montrait plusieurs de ces engins au-dessus des Canaries, en provenance du Maroc, à des altitudes supérieures à celles des vols commerciaux.
« Mystère complet » et « panique en Europe »…
L’information sur des « ballons survolant l'espace aérien des Canaries à des altitudes supérieures à celles des vols commerciaux » a rapidement été repartagée sur les réseaux sociaux, prenant au fur et à mesure de nouvelles dimensions. Les engins utilisés dans un exercice militaires sont ainsi rapidement devenus des appareils d’espionnage marocains visant l’Espagne.
Globos sobrevolando el espacio aéreo de #Canarias a altitudes superiores a la que lo hacen los vuelos comerciales. #curiosidades pic.twitter.com/rr88Q8Znjz
— 😉Controladores Aéreos 🇪🇸 (@controladores) August 8, 2024
« Des ballons en provenance du Maroc sont détectés survolant et éventuellement espionnant le territoire espagnol. Les contrôleurs aériens ont détecté plusieurs ballons stratosphériques survolant les îles Canaries. Ces appareils ne sont pas d'origine locale, mais proviennent du Maroc », pouvait-on lire dans l’un de ces posts Une autre publication, prenant plus de recul, indiquait que « ces ballons, qui volent à des altitudes supérieures à celles des vols commerciaux, ont été détectés sur Flightradar 24. On ne sait pas encore quelle est la destination précise de ces ballons, mais on sait qu'ils viennent du Maroc ».
Según tengo entendido desde hace años son globos pertenecientes al Project Loon, para suministrar Internet a zonas remotas. Los he visto volando por todo el mundo, aquí habla de ello el propio equipo de Flightradar (véase el mismo callsign) : https://t.co/gyvc2bLZuN
— Jorge Guardia (@JorgeGuardia_) August 11, 2024
L’information a aussitôt été reprise par de nombreux médias espagnols. A titre d'exemple, le site d’information Preferente relaye la mise en garde des contrôleurs aériens en qualifiant de « surprenante » la présence de ces ballons dans « l’un des couloirs aériens les plus fréquentés d’Europe ». Le même média souligne ensuite que ces « artefacts sont principalement utilisés pour les communications, la transmission de données, la surveillance et le renseignement ». La version espagnole du Huffpost a ensuite suivi en écrivant aussi : « La présence de ces ballons dans l'espace aérien des Canaries est particulièrement remarquable étant donné que cette région est l'un des couloirs aériens les plus fréquentés d'Europe », tandis que le site d’information canarien Diario de Avisos a qualifié le phénomène de « mystère entier ».
Puis ce fut au tour de Radio Canaria de diffuser, le 12 août, une interview avec José Feliu, porte-parole du Syndicat des contrôleurs aériens, qui explique que le service canarien de contrôle aérien « était au courant de cette opération qui rentre dans le cadre d’études nord-américaines ». L’explication apportée, bien que ne mettant pas l’opération dans son véritable contexte, mettait cependant à mal les théories d’espionnage par le Maroc qui avaient proliféré jusqu'ici.
🔊Dos globos aerostáticos provenientes de Marruecos han sobre volado en las últimas horas el espacio aéreo de Canarias.
Según ha explicado José Feliu, Portavoz @USCAnet en Canarias, tenían conocimiento de estos hechos que atribuyen a estudios norteamericanos.
#InformativosCR pic.twitter.com/Bn5aXczubB— La Radio Canaria (@laradiocanaria) August 12, 2024
Cette explication s’est cependant avérée insuffisante pour d’autres médias. Après avoir fait le tour des sites d’information espagnols, la nouvelle est tombée chez La Nouvelle Tribune, un média béninois, qui indique dans un article que : « des ballons-espions récemment lancés par le Maroc et les États-Unis, ont suscité un vent de panique au sein des autorités espagnoles », évoquant même un « mouvement de panique en Europe ».
Bien qu’expliquant que ces ballons ont été lancés dans le cadre de l’exercice militaire conjoint Arcane Thunder 24, le journal électronique de Cotonou a tenu à ajouter sa propre analyse, en estimant que ces aérostats « n’étaient pas forcément attendus par Madrid qui a accueilli l’information avec surprise » et insistant que « l’archipel espagnol est rapidement entré en état d’alerte après que des contrôleurs aériens ont fait remonter l’information ». Selon ce média, bien que la « théorie » de l’exercice militaire reste privilégiée, « certains se posent toutefois la question de savoir s’il s’agit, oui ou non, de la seule et unique raison ». La Nouvelle Tribune, qui insiste que l’incident « a de quoi susciter le questionnement », va ensuite jusqu’à parier que « l’Espagne demande des comptes, à la fois au Maroc et aux États-Unis, si leur présence était avérée ».
Le site qui spécule, sur le fonds des récentes acquisitions militaires du Maroc auprès des États-Unis et d’Israel « que Rabat teste de nouveaux matériels pour son armée », n’a toutefois pas complètement tort. Au-delà de nouveaux équipements que les FAR se sont récemment procurés, le focus est aussi mis sur le développement des compétences des militaires marocains et sur l’acquisition de nouvelles techniques. Cela est, comme expliqué auparavant, le but même de l’exercice militaire conjoint, et, comme rapporté aussi par Le Desk, les FAR sont « pleinement intégrés » et « complètement impliqués », selon le commandant de l'unité américaine, le lieutenant-colonel Aaron Ritzema.
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