n°896.Conseil de la concurrence: comment le consommateur subit les défaillances du marché de l’assurance
Le Conseil de la concurrence vient de rendre public son avis sur le marché national des assurances. Une autosaisine qui lui a permis de mettre en évidence divers dysfonctionnements au sein de ce secteur, dont bon nombre portent préjudice aux droits des consommateurs.
Du choix de l’offre assurantielle au traitement des dossiers sinistres, le consommateur marocain est, selon le Conseil présidé par Ahmed Rahhou, confronté à diverses difficultés fragilisant ainsi sa position. De l’autre côté, les Entreprises d’assurance et de réassurance (EAR) continuent de bénéficier d’une position plus que confortable, tirant avantage du retard accusé en termes de réglementation et de fonctionnement.
Une offre « peu satisfaisante »
« Classique », « non inclusive », « insuffisamment innovante » … voici comment le Conseil de la concurrence qualifie l’offre assurantielle au Maroc, soulignant aussi que « des catégories de la population sont insatisfaites de certaines offres ».
A cet égard, cet organe met particulièrement l’accent sur l’absence d’une offre d’assurance inclusive, « destinée principalement aux populations à faible revenu ». Cette situation concerne environ 80 % de la population marocaine, précise-t-il. Cette exclusion découle du « désintérêt des opérateurs existants pour ces produits en raison de leur niveau faible de rentabilité, et au manque de connaissance en matière de micro-assurance, nécessitant une formation spécifique pour les cibles concernées », explique le Conseil.
Et les reproches du Conseil ne s’arrêtent pas là. Ce dernier relève d’autres insuffisances au niveau des offres classiques, qui manquent « d’innovation en termes de produits, des modalités pratiques de vente et de gestion ».
Alors qu’un retard est constaté au niveau de la souscription en ligne de bout en bout à un contrat d’assurance ou encore de la dématérialisation des attestations d’assurance, le consommateur se retrouve « privé d’un potentiel important en matière de simplification des procédures de souscription et d’exécution des contrats d’assurance ». De plus, le manque d’innovation signifie que l’offre assurantielle au Maroc demeure incapable de répondre aux nouveaux besoins.
Des comparateurs d’assurance non développés, voire biaisés
Face à une offre limitée dès le départ, les consommateurs marocains manquent d'outils leur permettant de choisir l'offre la mieux adaptée à leurs besoins, car les comparateurs d’assurance au Maroc « demeurent peu développés », constate le Conseil de la concurrence.
Ce manque rend difficile pour le consommateur « la comparaison des offres et des tarifs proposés par différents fournisseurs » et entrave également l'accès à des informations détaillées sur les options disponibles. Cela empêche les consommateurs de « prendre une décision éclairée avant de souscrire un contrat d’assurance », ajoute-t-on.
Qui plus est, l’analyse des offres présentées par les comparateurs à travers leurs sites web révèle un autre dysfonctionnement : celles-ci « se limitent uniquement aux offres des EAR qui les sponsorisent, ce qui prive le consommateur d’un outil fiable et déterminant pour stimuler la concurrence entre les différents fournisseurs », indique le Conseil de la concurrence.
Une relation contractuelle inéquitable et manquant de transparence
Après avoir fait son choix (souvent sans accès à des informations fiables et impartiales), le consommateur marocain peut finir par souscrire un contrat dont il ne comprend probablement pas toutes les conditions et dont il est, la plupart du temps, « le maillon faible ».
Si à la base, le consommateur « n'a pas de pouvoir de négociation » lors de la conclusion d'un contrat d’assurance, ce dernier, reproche le Conseil de la concurrence est « rédigé d’une manière très complexe laissant le consommateur, même le plus averti, perplexe quant aux vrais droits et exclusions (qui en découlent, NDLR.) ».
Et malgré les efforts législatifs visant à protéger l’assuré et à garantir la transparence des conditions de contrat, l’assureur maintient sa position de force. Une position « due essentiellement à son pouvoir économique », déplore l'organe dirigé par Ahmed Rahhou.
Un processus complexe de traitement des sinistres
L’autre reproche formulé par le Conseil de la concurrence n’est en réalité que le résultat des dysfonctionnements énumérés ci-dessus. Engagé dans un contrat dont il ne comprend pas totalement les clauses et dont les conditions ne sont pas toujours à son avantage, l'assuré peut se retrouver dans une situation difficile lorsqu'il doit déclarer un sinistre.
Dans de nombreux cas, l’assuré « se retrouve face à une multitude d’intervenants : les EAR, l’intermédiaire, le ou les experts et le garagiste ». Cette multiplicité d'acteurs, rend le processus de traitement des sinistres « complexe », ajoute la même source.
De plus, l'assuré peut se retrouver face à des experts dont l'expertise n'est pas toujours fiable, vu que « la profession d’expert en assurance automobile n’est pas règlementée et ne requiert pas de qualifications spécifiques ». Ce vide réglementaire soulève un autre problème : l’impartialité de ces experts pourrait être « compromise en raison de pressions commerciales et de l'absence de supervision réglementaire », alerte le Conseil.
L'absence de médiation
En plus de devoir naviguer dans la relation complexe avec la compagnie d’assurance, l’assuré peut se retrouver abandonné à son sort en cas de conflit ou de préjudice, car la médiation en matière d'assurance présente une « valeur ajoutée insignifiante ».
Actuellement, il n'y a qu'un seul médiateur au Maroc, basé à Casablanca, qui « ne dispose pas de personnel qualifié pour l’aider à assurer ses missions », fait savoir le Conseil. De plus, la plupart des consommateurs méconnaissent l'existence de cette entité, car les EAR négligent souvent leur obligation (selon la Charte de la Médiation) d'informer leurs clients sur la procédure de médiation et de les orienter vers celle-ci.
En conséquence, « l’analyse du bilan de la médiation au cours des six dernières années fait ressortir une moyenne de 32 dossiers traités par an, ce qui est très faible au regard du rôle que le médiateur devrait jouer sur le marché de l’assurance, marqué par une relation contractuelle déséquilibrée entre le consommateur et les EAR », observe le Conseil de la concurrence.
Cette instance relève également un dysfonctionnement structurel en ce qui concerne la résolution à l’amiable des litiges liés aux assurances : le manque d’indépendance du médiateur, qui est « nommé sur proposition de la profession (FMA) et dont le budget de fonctionnement et les rémunérations sont payés par les EAR ».
C’est donc en tenant compte de tous ces problèmes que l'organe de la concurrence recommande d'« améliorer la protection du consommateur en matière d’assurance ». Cet appel ne peut être réalisé que par le renforcement de la position de l’assuré dans sa relation contractuelle avec l’assureur et l’amélioration des prestations d’assurance, estime-t-il.
Ce changement de paradigme devrait aussi être accompagné d’une mise à niveau du cadre réglementaire, selon le Conseil. Celui-ci recommande ainsi la réglementation de la profession d’expert en assurance ainsi que celle de comparateur, en plus de l’amélioration de la médiation en matière d'assurance, notamment en confiant cette mission à l’Autorité de régulation de l’assurance et de la prévoyance sociale (ACAPS).
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