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n°1075.Le secteur informel au Maroc : un poids économique toujours significatif mais en mutation

28.05.2025 à 00 H 58 • Mis à jour le 28.05.2025 à 10 H 10 • Temps de lecture : 4 minutes
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Une enquête nationale menée par le Haut-Commissariat au Plan sur l’année 2023-2024 dresse un état des lieux actualisé du secteur informel non agricole au Maroc. Si le nombre d’unités de production informelles augmente, leur contribution relative à la richesse nationale décline, révélant une mutation progressive des dynamiques économiques souterraines

Le tissu informel continue d’imprégner l’économie marocaine. L’Enquête nationale sur les unités de production opérant dans l’informel (ENSI), menée par le Haut-Commissariat au Plan d’avril 2023 à mars 2024 sur un échantillon de près de 12 400 unités, révèle que le pays compte quelque 2,03 millions d’unités informelles en activité. C’est 353 000 de plus qu’en 2014. Cette croissance est tirée essentiellement par les micro-activités urbaines, majoritairement dans le commerce, les services et le BTP, avec une forte concentration dans la région de Casablanca-Settat.


Ces unités sont de taille très réduite : plus de 85 % ne mobilisent qu’un seul emploi. Elles évoluent dans des conditions précaires : plus de la moitié exercent sans local professionnel fixe, et l’accès aux services de base – eau, assainissement, Internet – reste largement inégal. Seules les unités de plus grande taille disposent d’une infrastructure convenable, creusant davantage l’écart avec les micro-entreprises les plus vulnérables.


Une formalisation encore marginale

Malgré certains progrès, l’informel reste largement en dehors du radar administratif. À peine 14 % des unités sont inscrites à la taxe professionnelle, moins de 10 % affiliées à la CNSS, et seul 1,7 % ont opté pour le statut d’auto-entrepreneur. Le manque de local fixe ou les activités à domicile freinent cette formalisation. Le secteur du BTP illustre ce retard : plus de 90 % des unités y opèrent sans local, et les démarches d’enregistrement y sont quasi inexistantes.


L’informel reste également très masculin : seuls 7,6 % des unités sont dirigées par des femmes, une proportion en recul par rapport à 2014. La motivation économique est le moteur principal de création d’activité informelle, en particulier pour les femmes qui y recourent à 72 % par nécessité, contre 65 % pour les hommes. Ces dernières rencontrent aussi davantage de difficultés pour concilier activité et vie familiale.


Une économie d’autofinancement

Le secteur informel repose quasi exclusivement sur les ressources propres. Plus de 72 % des unités ont été créées par autofinancement, et leur fonctionnement courant dépend à plus de 91 % des fonds personnels. Le recours au crédit bancaire est marginal (1,1 % à la création, 0,3 % pour le fonctionnement), en raison de la frilosité des banques, mais aussi d’un refus volontaire d’endettement exprimé par 56 % des dirigeants. L’accès au financement est également limité par des obstacles structurels : garanties élevées, statut juridique inadapté, méconnaissance des dispositifs existants.


Un emploi toujours massif, mais en recul relatif

Avec 2,53 millions d’emplois en 2023, le secteur informel représente encore un tiers de l’emploi non agricole au Maroc. Le commerce capte 44 % de ces emplois, suivi des services (28,7 %), de l’industrie (15 %) et du BTP (12,2 %). Mais sa part relative recule, passant de 36,3 % en 2014 à 33,1 % en 2023, notamment dans l’industrie et les services. Le salariat y reste faible (10,4 %) et souvent précaire : 60 % des salariés ne disposent d’aucun contrat.


Une production en hausse, mais une contribution en baisse

En valeur absolue, le chiffre d’affaires du secteur informel atteint 526,9 milliards de dirhams (MMDH) en 2023, en hausse de 28,7 % depuis 2014. Toutefois, sa contribution à la production nationale hors agriculture et administration publique baisse nettement, passant de 15 % à 10,9 % en dix ans. Idem pour la valeur ajoutée générée : 139 MMDH en 2023 (soit 13,6 % de la valeur ajoutée nationale), contre 103 MMDH (16,6 %) en 2014.


Les disparités internes sont également marquées : 20 % des unités concentrent à elles seules plus de 65 % de la valeur ajoutée. L’industrie reste le secteur le plus productif (près de 76 000 DH par actif), suivi du BTP. En revanche, la productivité reste plus faible dans le commerce et les services.


Des liens plus étroits avec le secteur formel

L’enquête met en lumière une évolution importante : le secteur informel tisse de plus en plus de liens avec l’économie formelle. Alors que 71 % de ses approvisionnements provenaient en 2014 d’autres unités informelles, cette part est tombée à 57 % en 2023, au profit d’achats auprès du secteur formel (34 %). De même, les ventes au secteur formel, encore marginales, ont progressé pour atteindre 2,4 % (contre 0,5 % en 2014).


Cette intégration progressive, bien qu’encore limitée, peut constituer un levier de formalisation si des politiques publiques adaptées viennent accompagner ces dynamiques, notamment à travers l’accès au financement, la couverture sociale, la formation, et la simplification des démarches administratives.


Vers une transformation lente, mais perceptible

Le secteur informel marocain reste un pilier de l’économie nationale, autant par le volume d’emplois qu’il génère que par sa capacité à absorber les populations en marge du marché du travail formel. Mais ses limites structurelles freinent sa montée en gamme et sa participation à la croissance durable.


Les données de 2023 montrent une double réalité : d’un côté, un vivier économique résilient et adaptatif  de l’autre, une fragilité persistante due au manque d’ancrage institutionnel, à l’exclusion financière et à une productivité encore faible. La transition vers une économie plus inclusive passe nécessairement par une reconnaissance plus fine des spécificités de ce tissu productif. Le défi est désormais de convertir cette vitalité en moteur de développement structuré.

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