n°1012.Résilience climatique : ce que doit parachever le Maroc selon le FMI
Le Conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) a approuvé le 11 novembre, le décaissement en faveur du Maroc de la deuxième tranche au titre de la Facilité pour la résilience et la durabilité (RSF), pour un montant de 415 millions de dollars (M $). Ce nouveau financement porte le décaissement total au titre de ce programme à environ 747 M $. En septembre 2023, le FMI avait approuvé un financement de 1,3 milliard de dollars (MM $) en faveur du Maroc au titre de la RSF.
Dans un rapport rendu public ce 25 novembre, le FMI fait le point sur les mesures de réforme exécutées par Rabat au terme de cette seconde revue et liste celles à parachever lors d’un troisième round.
Dans un contexte mitigé entre sécheresse qui impacte la production agricole et robustesse de la production non agricole avec une demande intérieure renforcée mais un chômage en hausse, le Maroc qui a maitrisé les pressions inflationnistes, continue de progresser dans le renforcement de sa résilience face au changement climatique et de saisir les opportunités offertes par la décarbonation, dans le cadre de l’accord RSF, lit-on en substance de la présentation du rapport.
Des investissements importants dans les infrastructures hydrauliques visent à remédier à la pénurie d’eau et devront être complétés par des réformes de la gestion de la demande. Des progrès continus vers la libéralisation des marchés de l’électricité, une dimension clé du RSF, sont nécessaires pour stimuler la participation du secteur privé aux énergies renouvelables (EnR), pointe le FMI. Cela aidera non seulement le Maroc à atteindre ses objectifs NDC, mais réduira également sa dépendance aux carburants importés, améliorera la compétitivité des entreprises et contribuera à créer des emplois, estime le FMI.
Satisfecit sur les mesures mises en oeuvre
Le FMI se satisfait du fait que les cinq mesures de réforme prévues pour la deuxième revue du dispositif RSF ont été mises en œuvre. « Si plusieurs lois visant à libéraliser le marché de l’électricité ont été approuvées, leur mise en œuvre a été entravée par l’absence de réglementations requises », souligne toutefois le FMI, faisant référence à la régulation du secteur de l’électricité et à la création de l’Autorité Nationale de Régulation de l’Energie (ANRE) à la production d’énergie renouvelable au secteur privé et à la loi relative à l’autoproduction d’électricité. Cette réforme prévoyait que le ministère de la Transition Energétique et du Développement Durable accélère l’adoption des textes réglementaires nécessaires à leur mise en œuvre.
Le FMI rappelle les trois décrets d’application approuvés par le Conseil du gouvernement : celui fixant le seuil de contribution à verser à l’ANRE par les parties qui soumettent un litige au Comité de règlement des litiges et de nature à garantir l’autonomie financière de l’Agence et celui qui établit les procédures de délivrance, de gestion et de suivi des certificats d’origine de l’électricité produite à partir de sources EnR. Ces certificats permettront aux producteurs de prouver que leur électricité provient de sources renouvelables, facilitant ainsi l’investissement dans le secteur des EnR et le respect de la taxe carbone une fois instaurée.
Et enfin, le décret d’application qui établit les spécifications techniques des compteurs intelligents pour les auto-producteurs raccordés au réseau de distribution moyenne tension (MT). Ces compteurs permettront d’enregistrer toutes les informations relatives à l’énergie électrique prélevée et injectée dans le réseau, facilitant ainsi à terme l’intégration des EnR dans le réseau électrique national.
Par ailleurs, les autorités « ont bien avancé » dans l’adoption d’autres décrets importants qui mettront en œuvre la législation existante sur le marché de l’électricité, estime le FMI faisant référence au décret d’application qui fixe les conditions techniques de raccordement et d’accès au réseau de distribution d’électricité MT et des décrets qui précisent les conditions de raccordement des auto-producteurs d’EnR au réseau électrique.
Assurer une fiabilité du réseau électrique
Concernant le cadre réglementaire du marché de l’électricité, la libéralisation du secteur de l’électricité et son ouverture aux acteurs privés devront maintenir la qualité des services fournis aux ménages et aux entreprises, insiste le FMI. La nécessité d’assurer un réseau électrique efficace et fiable devient de plus en plus aiguë, en particulier avec l’expansion de la production d’EnR. C’est pourquoi la loi 48-15 donne mandat à l’ANRE d’approuver les indicateurs de qualité élaborés par le gestionnaire du réseau de transport (GRT, actuellement l’ONEE) que le réseau national de transport doit respecter en termes de sécurité, de fiabilité et d’efficacité, explique le rapport.
De plus, la loi 48-15 stipule que le GRT doit élaborer un « Code de bonne conduite » pour la gestion du réseau de transport d’électricité. Cette réforme a été mise en œuvre avec l’approbation et la publication des indicateurs de qualité du réseau national de transport et du code de bonne conduite de l’opérateur de transport, note le FMI. Un document avec les indicateurs de qualité élaborés par l’ONEE a été approuvé en juillet 2024 et publié en septembre par l’ANRE. Le document énumère les indicateurs de qualité, les critères de leur calcul, ainsi que les méthodes d’enregistrement et de collecte des données nécessaires à ce calcul. L’ANRE mettra régulièrement à jour et rendra compte du respect de ces indicateurs de qualité dans son rapport annuel, comme le prescrit la loi.
Efficacité énergétique : finaliser le cadre textuel
Les progrès dans la finalisation du cadre juridique des normes d’efficacité énergétique se sont poursuivis avec la mise en œuvre de la mesure qui contribuera à atteindre l’objectif de la Stratégie nationale d’efficacité énergétique de réduire de 20 % la consommation d’énergie d’ici 2030 : le MTEDD, en collaboration avec le ministère de l’Industrie et du Commerce, a adopté en septembre trois décrets instaurant l’étiquetage et les normes minimales de performance énergétique (NMPE) pour les réfrigérateurs, les climatiseurs et les moteurs électriques, et a préparé un projet de décret similaire sur les produits d’éclairage. Ces normes permettront de supprimer progressivement les équipements à faible rendement énergétique et de sensibiliser les consommateurs à l’efficacité énergétique et de réaliser des économies estimées entre 8 et 14 % de l’énergie consommée par ces produits.
Le décret sur les ESCO – Sociétés de services énergétiques spécialisées dans le financement, la mise en œuvre et le suivi des projets d’économie d’énergie – a également été adopté en septembre. Le décret détermine les conditions et les exigences à respecter pour créer des ESCO et exercer leurs activités.
Enfin, l’Agence Marocaine pour l’Efficacité Energétique (AMEE) a élaboré une étude sur la révision du seuil de consommation énergétique au-delà duquel les entreprises sont soumises à des audits obligatoires et a préparé un projet de décret qui envisage une réduction de ce seuil. Sur la base de ce décret, les entreprises du secteur industriel qui consomment plus de 800 tep (tonnes équivalent pétrole) d’énergie seront soumises à des audits (au lieu de 1 500 tep). Cela augmentera le nombre d’entreprises soumises à des audits annuels d’environ 100 à au moins 500. Le projet de décret abaissera également le seuil de consommation énergétique des entreprises du secteur des services (y compris les hôpitaux, les écoles, les hôtels et les bâtiments commerciaux) de 500 à 200 tep, augmentant le nombre d’entreprises ciblées d’environ 100 à au moins 350.
Finance verte : des investissements nécessaires
Pour ce qui est des mesures prises pour le verdissement du système financier, le FMI rappelle que les autorités ont publié une Stratégie de développement de la finance climatique 2030, conforme à la réforme. Pour atteindre les objectifs de la Contribution déterminée au niveau national (CDN) du Maroc, des investissements substantiels en matière d’atténuation et d’adaptation seront nécessaires. L’objectif est de réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 18,3 % (45,5 %) d’ici 2030 par rapport au scénario de référence. Le projet de stratégie de développement à faibles émissions à long terme (LT-LEDS) envisage d’augmenter la part des EnR dans la capacité électrique installée à 52 % d’ici 2030 (et96 % de l’électricité produite d’ici 2050) et d’éliminer la production d’électricité à partir du charbon d’ici 2040.
La stratégie, préparée par le ministère de l’Économie et des Finances, Bank Al-Maghrib, l’Autorité marocaine du marché des capitaux et l’Autorité de contrôle des assurances et de la sécurité sociale, avec le soutien de la Banque mondiale, fournit une première évaluation générale des objectifs d’atténuation et d’adaptation au changement climatique du pays et du potentiel d’attraction de financements privés pour le climat et énumère les leviers potentiels pour financer les investissements associés à la transition verte du Maroc.
À l'avenir, les autorités devraient s'appuyer sur cette stratégie pour réaliser une évaluation complète des déficits de financement et approfondir les actions spécifiques pour les combler (par exemple, sur les priorités d'investissement spécifiques dans les secteurs clés et le montant que les autorités se sont engagées à investir sur leurs propres ressources dans ces secteurs).
Les autorités marocaines ont introduit des exigences environnementales pour les entreprises qui cherchent à accéder à un financement subventionné de leur projet d'investissement, comme le prescrit la réforme.
À partir du quatrième trimestre 2024 et jusqu'au premier trimestre 2027, les entreprises demandant l'accès à un soutien financier public pour leurs projets d'investissement dans le cadre du programme « Damane Istitmar » devront soumettre un questionnaire sur l'impact environnemental des projets. Cela s'appliquera aux investissements dans une série de secteurs d'activité (construction, transport, agriculture et quelques secteurs manufacturiers) dépassant 20 millions de dirhams (MDH). A partir du premier trimestre 2027, l’exigence s’étendra à d’autres secteurs et le seuil sera abaissé à 15 MDH, tandis qu’à partir de 2030 l’exigence sera généralisée à tous les secteurs, le seuil sera fixé à 10 MDH et le questionnaire remplacé par la soumission d’une étude complète d’impact environnemental des projets d’investissement.
7 mesures à implémenter à mi-février 2025
La troisième et dernière évaluation prévue au début de l’année prochaine conclura l’accord RSF du Maroc avec la mise en œuvre d’un grand nombre de mesures clés, attendues depuis longtemps. Sept mesures devraient être mises en œuvre d’ici la mi-février 2025, représentant environ 49 % du quota du Maroc, précise le FMI.
Certaines de ces mesures donneront un coup de pouce significatif à la réforme du marché de l’électricité marocain, notamment la publication des tarifs que les producteurs d’EnR devront payer pour accéder au réseau de distribution moyenne tension, et la dissociation des comptes financiers de production et de transport de l’ONEE, une étape vers l’évolution de l’ONEE en tant que gestionnaire du réseau de transport du Maroc et le développement d’un marché de gros de la production d’électricité compétitif, souligne le rapport.
Les autres mesures contribueront à rendre le système fiscal marocain plus écologique, à mieux répondre aux risques budgétaires et financiers liés au changement climatique et à renforcer la protection législative actuelle des ressources en eaux souterraines du pays.
Pas de hausse de TVA sur les combustibles fossiles
Les autorités ont demandé le remplacement de la mesure fiscale sur les combustibles fossiles par une nouvelle mesure de réforme. Ils ont souligné que l'augmentation de la TVA sur les combustibles fossiles, comme envisagé dans le cadre de cette réforme devant faire l'objet d'une troisième révision, porterait atteinte au revenu disponible des ménages à un moment où le chômage est élevé, les prix des denrées alimentaires sont toujours élevés et le régime de protection sociale subit un profond changement structurel, explique le FMI.
Les autorités ont demandé de remplacer cette mesure par une nouvelle mesure qui augmenterait les droits d'accise sur le charbon et le fioul lourd, tous deux largement utilisés dans la production d'électricité. La mesure supprimerait également les exonérations sur les droits d'accise sur le charbon et le fioul lourd actuellement accordées à l'ONEE et à ses concessionnaires. Enfin, la mesure envisagerait une augmentation des droits d'accise sur deux autres produits pétroliers polluants, le bitume (utilisé dans la construction) et les huiles lubrifiantes (principalement utilisées pour les véhicules à moteur). Les augmentations des droits d'accise seraient effectives à partir de 2025.
La nouvelle mesure est cohérente avec la stratégie de décarbonation du Maroc, même si son impact sera limité à court terme, estime le FMI. Le mix électrique marocain continue de dépendre fortement du charbon, qui représente environ 40 % de la capacité de production d'électricité, ce qui fait du secteur électrique marocain l'un des plus intensifs en carbone au monde, selon la Banque mondiale. Environ 80 % de l'électricité produite à partir du charbon provient de fournisseurs indépendants qui ont signé des contrats à long terme avec l'ONEE, qui devraient expirer après 2040.
La rigidité relativement élevée de la production d'électricité à partir du charbon (d'un point de vue tant financier que technique) rend difficile la réduction de la dépendance du Maroc au charbon à court terme. Cependant, l'augmentation des droits d'accise sur le charbon enverrait un signal de prix important indiquant que le Maroc est déterminé à décarboner son secteur électrique et renforcerait les incitations à sortir progressivement du charbon, note le rapport.
Les services du FMI ont estimé que la contribution potentielle de la nouvelle mesure à la réduction des émissions de GES est comparable à celle de la mesure abandonnée. Le modèle CPAT du FMI et de la Banque mondiale a été calibré pour le Maroc afin de comparer l'impact estimé des deux mesures sur les émissions.
Même en tenant compte des contraintes liées aux contrats à long terme existants avec les producteurs privés d’électricité à base de charbon, la hausse des prix du charbon aurait un impact sur les émissions étant donné l’existence de capacités inutilisées et la capacité de l’ONEE à choisir parmi d’autres sources d’électricité pour satisfaire la demande croissante estimée d’électricité au Maroc, relève le FMI. En conséquence, l’impact en 2030 serait d’environ 12 % supérieur à celui d’une augmentation progressive (sur 10 ans) des taux de TVA sur les combustibles fossiles de 10 à 20 %, comme initialement envisagé dans le cadre de la réforme initiale que Rabat a demandé d’écarter, peut-on lire des conclusions du FMI.
Moins d’émissions de gaz dues au butane
Les autorités prévoient de continuer à augmenter les prix du gaz butane en 2025. Le prix du gaz butane a été augmenté de 10 dirhams (25 %) en mai 2024 et une augmentation similaire est attendue l’année prochaine. L’élimination de la subvention sur le gaz butane envisagée dans le cadre de la réforme devrait avoir un impact significatif sur les émissions de GES, compte tenu de la forte consommation de gaz butane par les ménages et les agriculteurs marocains.
Les simulations effectuées sur CPAT montrent que l’élimination de la subvention réduirait les émissions de GES de 5 % par rapport au niveau de référence. Les simulations modélisent également l’impact de la hausse du prix du gaz butane sur la consommation de la population marocaine, ainsi que l’impact des transferts monétaires qui devraient atténuer l’impact de la réforme sur la population.
L’impact distributif de cette réforme s’avère régressif, puisque le gaz butane représente une part plus importante des paniers de consommation des ménages les plus pauvres. Les transferts monétaires ciblés et inconditionnels aux 6 déciles les plus pauvres de la distribution des revenus associés à l’Aide Sociale Directe compensent largement l’impact négatif de l’augmentation du prix du gaz butane sur la consommation de la population ciblée. Ainsi, l’effet combiné des deux mesures est progressif, les déciles les plus pauvres en bénéficiant relativement davantage.
Des progrès vers la taxe carbone
Le FMI constate aussi un progrès vers la mise en œuvre d’une taxe carbone. L’Administration des douanes, en charge des droits d’importation et des accises, prépare le document de conception d’une taxe carbone avec l’assistance technique de la Banque mondiale et de l’Agence allemande de coopération internationale (GIZ), rappelle-t-on. Des efforts sont en cours pour préparer le terrain pour la mise en œuvre du document de conception et l’introduction effective de la taxe carbone (prévue pour être incluse dans le budget 2026). Ces efforts comprennent : l’évaluation de la composante carbone des taxes actuellement en vigueur et du prix du carbone associé à ces différentes taxes l’amendement de la loi 12-06 pour faire de l’Institut marocain de normalisation (IMANOR) une référence nationale pour la délivrance des certificats de teneur en carbone et la formation technique du personnel de l’Administration des douanes qui sera chargé de l’opérationnalisation de la taxe.
De son côté, Bank Al Maghrib (BAM) a progressé dans la publication de directives de surveillance sur la divulgation et le reporting des risques liés au climat pour les banques, conformément à la réforme. Un rapport a récemment été publié par BAM, conjointement avec la Banque mondiale, l’Agence française de développement (AFD) et le Global Risk Financing. La Banque mondiale apporte une assistance technique à BAM pour élaborer des orientations de supervision sur les informations financières liées au climat conformément aux normes ISSB et sur le reporting des risques climatiques. Un premier projet devait être prêt en octobre pour lancer une phase de consultation avec les banques avant d’examiner et de finaliser les textes en février 2025.
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