« Jérusalem, capitale d’Israël » : le Maroc dit non
Portées à bouts de bras, les premières pancartes s’élèvent au dessous de la foule qui se densifie petit à petit sur la Place Bab El Had. La première représente le Roi Mohammed VI, tenant dans sa main droite le Qubbat As-Sakhrah, le Dôme du Rocher, fabriqué en papier mâché et collé au carton. A quelques pas de là, deux hommes portant le keffieh traditionnel palestinien arborent un portrait de Donald Trump barré d’une grande croix rouge. Ils y ont collé trois chaussures, clin d’œil malicieux à la paire lancée par le journaliste irakien Muntadhar al-Zaidi sur George W. Bush en décembre 2008.
Il est à peine dix heures du matin et déjà, la rue est remplie de manifestants. En cette journée internationale des droits de l’homme, le Groupe national du travail pour la Palestine et l'Association marocaine de lutte pour la Palestine ont appelé à manifester dans les rues de la capitale contre la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël.
« Nous sommes venus dénoncer les déclarations intolérables du président américain » martèle Mohamed. Derrière la banderole de la Coordination nationale des élèves ingénieurs au Maroc où une trentaine de jeunes sont rassemblés, cet étudiant entend montrer son désaccord avec la décision du Président américain, « nous, nous ne pouvons pas l’accepter, c’est pour cela que nous sommes venus ici aujourd’hui soutenir cette cause ».
Alors que les nuages gris laissent place à de timides rayons de soleil, les premiers slogans fustigeant les Etats-Unis fusent, « Israël, USA, ennemis du peuple arabe ! » et le cortège se met en mouvement vers le parlement. Fahah Idrissi, une jeune algérienne née au Maroc, est venue manifester ce matin avec deux de ses amis, Muawia Khader et Hassan Abdelghani, tous deux palestiniens. Muawia est de Jénine, Hassan de Gaza. Keffieh autour du cou, les deux garçons venus au Maroc pour leurs études protestent aujourd’hui contre les déclarations du Président américain, « Nous sommes venus de nous mêmes, sans organisation particulière, mais il est normal pour nous de soutenir la Palestine et dire à Trump qu’elle ne lui appartient ni à lui, ni à Netanyahu » entame Fahah. Muawia et Hassan ont très souvent des nouvelles de leurs familles depuis quelques jours, « Nos familles sont en ce moment même là bas. Elles manifestent, elles font grève, nous les soutenons ! Si Dieu le veut, la situation va évoluer, nous croyons en la révolution ».
Sur l’avenue Mohammed V, les drapeaux marocains flottent aux côtés des drapeaux du Hamas, mouvement islamiste palestinien inscrit sur la liste des organisations terroristes par les Etats-Unis. « Il n’y a qu’un seul Dieu : Allah », crachent deux enceintes juchées sur une camionnette blanche où un homme harangue la foule. Un peu plus loin dans la masse, un groupe de jeunes avance silencieusement. Sur leurs cartons blancs est écrit en anglais « l’intelligence unit les peuples, l’ignorance sème le désordre » et « Mr Trump, le monde désapprouve votre décision illégale et irresponsable ». Bon nombre d’organisations syndicales sont présentes, comme l’Union marocaine du travail, en tête de cortège, équipée de grands drapeaux palestiniens. Près de la porte imposante de la banque Al-Maghrib, quatre garçons tentent tant bien que mal de mettre le feu à un drapeau israélien grossièrement dessiné sur un drap. Le briquet s’allume, le tissu ne prend pas, ils se ravisent et se fondent en deux temps trois mouvements dans la manifestation.
“Des liens très forts entre nos peuples”
« Nous voulons simplement l’annulation de la décision du Président des Etats-Unis » témoigne Fatima, 63 ans, retraitée de l’enseignement et militante pour les Droits de l’Homme. Et de continuer, « le Maroc est membre de la ligue arabe, le Roi Mohammed VI est Président du Comité Al-Qods, notre pays peut donc jouer là dessus et affirmer ses positions. Ici au Maroc, la Palestine est une vraie cause nationale, elle joue un grand rôle. Nous avons même des taxes que l’on paye et qui vont directement aider la Palestine. Notre histoire est commune, il n’y a qu’à voir la Porte des Maghrébins à Jérusalem, Bab Al-Maghariba ! Et nous tous, en tant qu’associations des Droits de l’Homme, des droits des femmes, syndicats, CDT, FDT, UMT, nous sommes là pour redire notre soutien aux palestiniens ».
Tandis que des dizaines de drapeaux palestiniens claquent en rythme au dessus des têtes, Hamza, 20 ans, se tient debout sur un trottoir, le sourire avenant et le regard en quête de signataires. Etudiant en génie électrique, il est membre actif d’Amnesty International et est venu ce matin faire signer une pétition pour la libération de détenus politiques en Israël.
« On se bat pour faire libérer des défenseurs des Droits de l’Homme emprisonnés en Israël depuis 2016, avec cette pétition qu’on fait signer aux gens qui manifestent aujourd’hui. Il y a vraiment des liens très forts entre nos peuples. Nous avons la même langue, nous avons la même culture, nous avons la même religion… Enfin pour moi, c’est une cause très importante ».
Autour d’un homme, une cinquantaine de personnes s’engouffrent en trombe dans une rue perpendiculaire. « C’est quelqu’un de l’Ambassade de Palestine » dit un passant à sa femme, zigzaguant entre les protestataires qui immortalisent la scène avec leurs téléphones portables.
Passées treize heures, la foule commence peu à peu à se disperser. Sur l’avenue, la manifestation se termine dans le calme après avoir vigoureusement appelé Donald Trump à revenir sur sa décision. Aujourd’hui, la rue s’est opposée autant que les autorités marocaines à ces déclarations. Hier soir, au Caire, le ministre des affaires étrangères marocain Nasser Bourita appelait lors de la réunion d’urgence des ministres des Affaires étrangères arabes à « entreprendre des actions intenses » et à « recourir à tous les moyens diplomatiques et juridiques », pour contrer la décision du Président américain.
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