Les robes-sculptures de Noureddine Amir sanctifiées par Bergé
Octobre 2014. Institut du monde arabe à Paris. L’ex-ministre de Mitterrand et actuel maître de céans, Jack Lang, fait faire le tour de l’exposition, Le Maroc contemporain, à Pierre Bergé. C’est une importante exposition, comprenant les œuvres de pas moins d’une trentaine d’artistes et autres designers marocains. Bergé tombe en arrêt devant les robes-sculptures d’un certain Noureddine Amir dont il n’a jamais entendu parler. « Il a vraiment flashé sur son travail », se souvient la designer en textile Soumiya Jalal, alors présente.
Bergé insiste pour rencontrer le créateur en question. Branle-bas de combat. Noureddine Amir n’est pas à Paris. « Je m’y étais pris trop tard pour mon visa », confesse l’intéressé dont nous connaissons et la distraction et la discrétion.
« Vous ne copiez personne », dit Bergé à Amir
Qu’à cela ne tienne. Peu de temps après, Amir reçoit une invitation à Dar Saâda, la somptueuse et mythique résidence marrakchie de Bergé et feu Saint Laurent — c’est au-dessus de la roseraie de la propriété que les cendres du couturier ont été dispersées.
Est également présent à l’entretien, Philippe Monnier, directeur de la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent. « Il a tout de suite été question de l’exposition », s’étonne encore le créateur.
Pour une première, c’en est une. Une exposition rétrospective consacrée à un créateur de mode marocain aura lieu dans l’espace d’exposition de la Fondation — anciennement siège de la maison Saint Laurent —, sise avenue Marceau ! Et ce, du 8 février au 3 mars 2016, date de la fermeture des lieux pour cause de gros travaux, en vue de leur transformation en Musée Yves Saint Laurent.
« C’est la première et dernière exposition d’un créateur de mode à la Fondation. Même Hédi Slimane (directeur artistique de Dior Homme, NDLR), n’y a été exposé qu’en tant que photographe ! », précise Noureddine Amir, pas peu fier. L’ex-compagnon et mentor de Saint Laurent a expliqué à notre ami que ce qui l’avait séduit dans son travail était son originalité : « Vous ne copiez personne. »
Durant ses douze ans d’existence, la Fondation a abrité des expositions consacrées à des artistes de stature internationale, tels l’homme de théâtre et scénographe anglais, Bob Wilson, ou encore, le très iconique peintre américain David Hockney.
C’est un peu plus d’une vingtaine de pièces qui seront présentées au public parisien. Elles ont été sélectionnées par Christophe Martin — celui-là même qui fut le commissaire et scénographe de la rétrospective Saint Laurent présentée, en 2010, au Petit Palais, et dont une version réduite a été montrée, la même année, à l’ex-Musée des arts islamiques du Jardin Majorelle, aujourd’hui, Musée de la culture et des arts berbères.
Hormis quelques pièces, aimablement prêtées par l’ex-impératrice Farah Diba Pahlavi — cliente assidue du créateur marocain —, l’ensemble sélectionné relève de ce qu’il est convenu d’appeler les « robes - sculptures » de Noureddine Amir.
A mi-chemin entre le vêtement et l'objet d'art
Pourquoi « sculpture » ? Parce qu’il ne s’agit manifestement pas de tenues destinées à être portées en soirée. Tel cet admirable — mais ô combien rigide — haïk constitué d’un amas de fibres brutes de raphia, emprisonnées dans une gaze de mousseline de soie.
Pour façonner ses robes-sculptures, Amir utilise un tas de matières plus inédites les unes que les autres. De la plus ascétique toile de jute jusqu’aux très sophistiqués tubes en mousseline de soie pressée, compressée ou enroulée — à la main, fort évidemment —, en passant par de précieuses pièces de bzioui et autre feutre de fabrication fassie. Le tout teint dans de subtiles nuances, obtenues par de mystérieux mélanges de cadmium, de henné, d’écorce de grenade, de safran et autres substances végétales ou minérales traditionnelles dont il est le seul à détenir les secrets dosages.
Costumier de plateau de Sherin Neshat
Né en 1967, à Casablanca, Noureddine Amir a fait ses études à l’École Esmod — lorsque celle-ci avait toujours cours au Maroc.
Diplôme en poche, son ami et mentor, Hamid Ferdjad — un Iranien, œuvrant dans le cinéma, installé au Maroc — le présente à la célébrissime artiste contemporaine Irano-Américaine, Sherin Neshat. Laquelle le prend, en tant que costumier de plateau, pour les tournages de ses vidéos d’art.
New York, Istanbul, ... Amir voit du pays mais veut, à un moment donné, rentrer chez lui et réaliser ses propres idées.
2003 : il expose ses créations au Musée de la mode d’Anvers. La même année, il a droit à un défilé au My Fair Hôtel à Londres.
2004 : ses œuvres sont présentées au Palais des beaux-arts de Lille.
À partir de 2006, il contribue, systématiquement, au défilé collectif annuel casablancais de Festimod.
2008 : ses travaux font partie d’une exposition de design maghrébin, au Musée national d’Alger.
Il s'interdit de faire dans le caftan
Sans jamais avoir réellement connu le succès auprès du grand public — s’étant toujours interdit de faire dans le caftan —, Noureddine Amir a, rapidement, été distingué par la presse nationale et internationale spécialisée, de même que par les amateurs d’art, comme un des créateurs marocains de mode les plus exigeants, le plus singulier certainement. Un Farid Belkahia ne tarissait pas d’éloges à son propos.
Dans son très élégant atelier-showroom du Guéliz, le créateur propose, aux côtés de ses créations à mi-chemin entre le vêtement et l’objet d’art, des pièces tout à fait portables, caractérisées par une simplicité de matières (lin, coton, soie) et une fluidité de coupes remarquables. Créations qu'on trouve également dans différentes boutiques d'hôtels chics de Marrakech.
Qu’est-ce qui fait qu’un Pierre Bergé — l’homme qui, maintes fois, a affirmé que la couture avait décédé en même temps que Saint Laurent — a porté son attention aux créations d’un Noureddine Amir ?
On connait l’attachement de Pierre Bergé au Maroc. Une terre que l’homme d’affaires et son couturier de compagnon ont découvert en 1966.
L’influence que Marrakech, sa lumière et les couleurs éclatantes de ses souks, ont eu sur l’évolution de l’œuvre de l’enfant d’Oran qu’était Saint Laurent a été décrite — en large et en long — et par le couturier lui-même comme par ses biographes attitrés.
Les heures heureuses de Bergé et d'YSL dans Marrakech
C’est probablement dans ce Marrakech-là — celui des années 60 et 70 — que ce couple-ci a vécu quelques-unes de ces heures les plus heureuses.
Dar El Hanch, le « modeste » ryad que le couple a acquis, en premier, est, très rapidement, devenu le point d’intersection de cette jet-set internationale d’avant l’invention du bling-bling.
On dînait chez la comtesse Boule de Breteuil, dans son incroyable Villa Taylor. Le décor, tout en voutes, coupoles et colonnades recouvertes d’un zellij bleu azur, évoquait un palais persan, droit sorti des Milles et une nuits. C’est là - n’en doutons pas - qu’Yves Saint Laurent, entouré de ses jeunes amis décorateurs, les Français Jacques Grange et Jacqueline Foissac, l’Américain Bill Willis et l’Espagnol Adolfo de Velasquez, vont littéralement inventer ce style néomarrakchi, en vogue aujourd’hui, dans le monde entier.
Autour de Saint Laurent et Bergé, toute une bande de joyeux lurons va se constituer : le couple de milliardaires américains ultra glamour Paul et Talitha Getty, le peintre Bryan Gysin, le couturier Fernando Sanchez, la légendaire muse d’YSL, Loulou de la Falaise et autre Andy Warhol, étaient autant les témoins que les participants de ce Marrakech, sous LSD, d’avant le Club Med, d’avant la crise, d’avant le Sida…
Au début était le jardin Majorelle
En tant que mécène, les actions de Pierre Bergé en direction du royaume sont légion. La première étant, évidemment, le sauvetage des mains de prédateurs immobiliers, du Jardin Majorelle, auquel, il va donner un éclat universellement reconnu — 800 000 visiteurs par an ! Au sein du jardin, l’ancien atelier du peintre « marocaniste » — actuellement le plus coté —, une superbe batisse, à la fois cubiste et néomauresque, accueille, aujourd’hui, la plus belle collection de parures berbères jamais réunie.
D’autres actions, tel le rachat et la restauration de la mythique Librairie des colonnes de Tanger, sont également à porter à son crédit.
Le projet le plus ambitieux que Pierre Bergé va léguer au royaume reste, néanmoins, le futur Musée Yves Saint Laurent, dont le gros œuvre est d’ores et déjà achevé.
Deux musées pour un même couturier
On ne le sait pas assez : il y aura deux musées pour abriter les 500 pièces haute couture inventoriées, les 15 000 accessoires, les dizaines de milliers de croquis et photographies, laissés par le grand couturier. Le premier sera — comme signalé plus haut — avenue Marceau, à Paris. Le second, rue… Yves Saint Laurent, à Marrakech. Pour financer les travaux des deux musées — que Bergé veut au top de ce qui se fait en la matière —, l’homme d’affaires a procédé à trois importantes ventes publiques.
En 2009, la dispersion de la collection d’art de l’appartement de la rue Babylone a rapporté 373,9 millions d’euros. Dans le lot, figuraient un Mondrian — celui ayant inspiré la fameuse robe éponyme —, ainsi que d’admirables sculptures animalières signées Lalanne.
En décembre 2015, la dispersion de la bibliothèque personnelle de Bergé a rapporté la bagatelle de 11,7 millions d’euros. Organisée, la même année, à l’hôtel Essaâdi à Marrakech, la vente de la collection arts islamiques n’a pas tenu ses promesses. Les pièces dont il s’agissait étant, dans leur grande majorité, estampillées patrimoine national (m’dammat Ben Chrif, khamiat en broderie de Tétouan, tapis r’batis et autres bleus de Fès), et ne pouvant, par conséquent, quitter le territoire national, les collectionneurs étrangers se sont abstenus. Les collectionneurs marocains, eux, n’ont pas joué le jeu.
Réaction de l’intéressé ? « Depuis le temps que je reproche aux Marocains de négliger leur patrimoine, je ne vais pas, aujourd’hui, me plaindre du fait que 136 pièces de ma collection aient été classées par le ministère de la Culture. C’est très bien ainsi. »
On comprend que l’exposition parisienne qu’accorde Pierre Bergé à Noureddine Amir s’inscrit dans la lignée d’une longue série d’actions exprimant l’amour que l’homme d’affaires français a toujours éprouvé en direction de cette terre de prédilection qu’est, pour lui, le royaume du Maroc.
Exposition rétrospective de Noureddine Amir. Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent à Paris. Du 8 février au 3 mars 2016.
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