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Grand angle

Monastère de Toumliline : la fin du chemin de croix ?

21.09.2024 à 16 H 55 • Mis à jour le 22.09.2024 à 22 H 03 • Temps de lecture : 20 minutes
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REPORTAGE.
La mémoire du plus célèbre monastère de l’histoire contemporaine du Maroc, celui des moines bénédictins de Toumliline, est en phase d’être réhabilitée. Connu dans les années 1950 comme un lieu de spiritualité mais aussi d’échanges intellectuelles, il continue de fasciner. Une histoire singulière que tente de faire revivre la Fondation Mémoire Pour l’Avenir dans un ambitieux projet « Réinventer Toumliline ». Visite des lieux

Au cœur de la forêt de cèdre du Moyen Atlas, une petite camionnette vient briser le calme ambiant de ce paisible lieu perché à 1 500 mètres d’altitude. Deux hommes déchargent des cartons sous la supervision bienveillante d’une femme qui semble bien connaitre ce site abandonné. Lamia Radi, présidente de la Fondation Mémoire pour l’Avenir (FMA) n’est plus qu’à quelques jours d’un évènement important : « il reste beaucoup à faire pour être prêts. Nous attendons une centaine de personnes ». Journalistes, diplomates, hommes et femmes politiques et acteurs de la société civile se retrouvent en effet, presque au milieu de nulle part, ce samedi 21 septembre, pour un rendez-vous plein d’espoir. Celui de redonner vie à ce site, trop longtemps abandonné, un esprit qui jadis, a fait du monastère de Toumliline un haut lieu de dialogue, de tolérance et de vivre-ensemble. Et du Maroc, une référence démocratique dans les pays du Sud.


En sortant de la ville d’Azrou en direction d’Errachidia, la route nationale 13 grimpe dans une série de lacets. Au bout d’à peine trois kilomètres, un virage en épingle à droite fait accéder à une petite route qui s’engouffre au cœur de la forêt de cèdres. Quelques centaines de mètres encore et un panneau indique « Ancien Monastère Bénédictin de Toumliline ». Une piste qui commence au portail de l’entrée longe de vieux bâtiments vétustes et apparemment abandonnés depuis des décennies. Au bout, un espace de parking sur lequel un panneau prévient les visiteurs de ne pas s’approcher des macaques, de ne pas les nourrir et aussi, qu’il est illégal de les capturer. Dans cet écrin naturel préservé et qui permet encore aux singes de la région de circuler librement, flotte une atmosphère quasi-mystique.


Lamia Radi avec des religieux français venus en « pèlerinage ». Crédit: Le Desk


Bienvenue au monastère de Toumliline, qui a connu son âge d’or à la fin des années 1950, qui a fermé ses portes en 1968, avant de sombrer dans un oubli profond. Ce n’est pas seulement ce lieu atypique que tentent Lamia Radi et ses acolytes de sortir d’une longue léthargie : « c’est aussi et surtout l’esprit de Toumliline, celui du partage, de la générosité, du dialogue et de la tolérance », précise-t-elle.


Cet esprit a marqué ceux des personnes qui ont connu le monastère de Toumliline à l’époque où il était occupé par des moines bénédictins. L’histoire commence au milieu des années 1940, lorsque le patronat français de Casablanca et quelques officiers de l’armée coloniale demandent aux autorités religieuses l’établissement de moines bénédictins au Maroc. Une requête transmise à l’abbaye Saint-Benoît d’En Calcat, située dans le département français du Tarn, dans le sud du pays. L’Abbé d’En Calcat, Dom Marie de Floris, n’est pas tout de suite séduit par l’idée d’établir un monastère près des grandes villes, ce qui nuirait à l’aspiration ascétique des moines.


Entretemps, un projet de monastère est avorté dans la ville de Sefrou et la fièvre nationaliste saisit le royaume en proie à de fortes tensions politiques. Par l’entremise d’Amédée Lefèvre, archevêque de Rabat, Dom Marie de Floris accepte finalement de se pencher sur le cas du Maroc et donne sa préférence pour un site isolé. Après un voyage de reconnaissance, il opte pour un bâtiment mal conçu à flanc de montagne, dans le Moyen Atlas.


L’entrée de l’ancienne chapelle. Crédit : Le Desk.


« En Amazighe local, Toumliline est le pluriel de pierre blanche. Et si vous levez la tête, vous pouvez voir ces faces rocheuses blanches qui tranchent avec le vert de la foret, elles sont bien connues dans la région », explique Ahmed Serghini. Celui-ci est coordinateur local de la région de Meknès auprès de la FMA sur le projet  ‘Réinventer Toumliline’  et fin connaisseur de l’histoire du monastère. Auteur de plusieurs recherches à ce sujet, il nous apprend que l’établissement des moines bénédictins s’est fait avec la bénédiction du Vatican : « l’époque de l’arrivée des moines est celle des tensions liées à lutte anticoloniale au Maroc mais aussi dans la plupart des pays du Sud ». Ahmed Serghini, tout en rappelant la conjoncture au moment de l’ouverture du monastère, souhaite évoquer le rôle joué par le chef de l’Eglise Catholique en personne  : « le Pape Pie XII n’est pas étranger au succès de Toumliline. Cet homme sage qui a connu les deux conflits mondiaux a rapidement compris qu’il devait placer l’Eglise du bon côté de l’Histoire. Il a donné des directives pour non seulement ne pas s’opposer aux mouvements nationalistes mais de les soutenir dans la mesure du possible ». D’après lui, la politique papale « s’affiche clairement dans le cas du Maroc. Pie XII, qui encourage la renaissance du courant bénédictin plus inclusif que d’autres comme les franciscains espagnols, se rapproche du sultan Mohammed Ben Youssef, Commandeur des Croyants ».   


Panneau qui indique l’entrée dans le domaine du monastère. Crédit : Le Desk


C’est en effet avec le soutien du Vatican, la volonté de l’archevêché de Rabat et le consentement du Palais, que se décide l’ouverture du monastère bénédictin de Toumliline à la fin de l’été 1952. Les moines, sous la direction de celui qui a été nommé prieur de Toumliline, le frère Denis Martin, rachètent une bâtisse en bois qui servait alors d’école pour garçons, fils de colons et d’officiers de l’armée. Le domaine, éloigné de la ville d’Azrou de seulement quelques kilomètres, est immense : « la première fois que je suis venue ici, j’ai été surprise de la taille du terrain. Vous avez là 17 hectares d’espace de vie et de culte, et si vous ajoutez les terrains agricoles plus en aval, c’est au total 32 hectares », précise Lamia Radi. La vingtaine de Bénédictins qui s’y installent entreprennent aussitôt des travaux de rénovation et de consolidation du lieu. Par ailleurs, l’une de leurs premières actions est de mettre en œuvre un dispensaire autour du seul Père infirmier de la communauté. Dès lors, la connexion avec les habitants locaux s’établit rapidement.


Mohammed V reçoit les participants aux Rencontres de Toumliline en 1956. Crédit : DR


Lamia Radi, toujours aussi enthousiaste à nous faire la visite complète du monastère, s’arrête devant des cartons ouverts dans l’une des salles vides : « Regardez dans celui-ci, nous avons retrouvé les doses de vaccins inoculés par les moines aux populations de la région, et dans celui-là il semble que ce soit des ampoules, peut être des médicaments ou des vitamines ». Ces objets ont été récoltés suite à une action menée avec les enfants des environs il y a quelques semaines : « nous leur avons proposé de faire des fouilles pour retrouver les objets qui faisaient le quotidien du monastère. Je pense qu’il est important que ces enfants redécouvrent par eux-mêmes l’histoire de ce lieu qui fait partie de leur héritage commun », ajoute notre interlocutrice. A l’époque de l’installation des moines, et aujourd’hui encore, la méfiance dès qu’il s’agit de présence chrétienne, est de mise. Le Père Denis Martin fait mention des premiers contacts établis avec les musulmans marocains et l’explique dans un texte rédigé en 1957 et publié sous la forme de « Lettre de Toumliline » par la FMA.


Il y raconte : « Dès le début de notre fondation, des hommes importants du voisinage montaient pour faire notre connaissance et s’enquérir avec soin de ce que nous faisions. Visiblement ils cherchaient à percer nos intentions […] un notable marocain m’invitait à déjeuner. A la fin du repas, il m’interrogea longuement sur notre façon de vivre, notre pauvreté, notre célibat, les soins que nous donnions aux malades et aux enfants, notre prière. Puis il me demanda : ‘Pourquoi faites-vous tout cela ?’ Je lui répondis simplement : ‘nous essayons de continuer sur la terre la vie de Sidna Aissa, de Notre Seigneur Jésus’. Il ne me posa plus de question. Il avait compris ».


Outre les soins apportés aux malades et aux enfants, les moines séduisent aussi par leur religiosité, qui, selon Lamia Radi « est proche de celle du Maroc, et particulièrement de cette région chargée en spiritualité, c’est d’ailleurs dans cette zone que se concentre le plus de sanctuaires des trois religions monothéistes ». La pratique monastique des Bénédictins, à Toumliline plus qu’ailleurs, est clairement orientée vers le rejet de toute action de prosélytisme.


La tentation de convertir des musulmans marocains a de tout temps été un sujet sensible. Récemment encore, en 2010, le royaume avait expulsé une cinquantaine de chrétiens, dont essentiellement des évangélistes américains, pour avoir « ébranlé la foi des musulmans » dans le village de Aïn Leuh, situé à seulement vingt kilomètres de Toumliline. Mais à leur époque, les moines bénédictins avaient fait en sorte de dissiper les doutes et les soupçons : « très vite, les gens du coin les ont considérés comme des ‘makbouline’ bien que la traduction littérale ‘accepter’ ne rend pas vraiment compte du sens de la formule. Il s’agit d’avantage de les considérer presque comme faisant partie des ‘nôtres’. D’ailleurs, les religieux d’Azrou leur disaient souvent qu’ils étaient ‘de bons musulmans’, sans doute pour leur dire qu’ils trouvaient sain leur rapport avec Dieu » ajoute Lamia Radi.


Mais la réputation du monastère de Toumliline ne se fait pas seulement sur une symbiose religieuse et un rapport de bon voisinage. Les moines, bien qu’isolés et occupés par leurs activités religieuses et leurs tâches quotidiennes, ne sont pas pour autant coupés de la réalité du pays. Celle d’une lutte intense entre le mouvement nationaliste et les autorités du Protectorat, avec, en point d’orgue, l’exil imposé au sultan et à sa famille en août 1953. La région d’Azrou, notamment, est l’un des points chauds de cette confrontation. La première implication des moines bénédictins survient quasiment au même moment, lorsque l’armée coloniale décide d’intervenir auprès des colonies de vacances organisées par le parti de l’Istiqlal. La montagne résonne alors de chants nationalistes provenant des camps de scouts d’enfants musulmans au nez et à la barbe des garnisons françaises basées dans la région. Dans un acte d’intimidations, les militaires viennent confronter ceux qu’ils considèrent comme des agitateurs : « craignant pour leur sécurité, les encadrants des scouts sont venus demander asile auprès des moines qui, non seulement leurs ouvrent les portes du monastère, mais confronte l’armée incapable d’investir ce lieu de culte » explique Lamia Radi.


L’édifice réservé à l’internat des enfants musulmans. Crédit: Le Desk


Au milieu des années 1950, scouts musulmans et chrétiens cohabitent pendant les vacances scolaires au sein même du monastère. Des tournois sportifs sont organisés et les enfants apprennent à connaitre et à comprendre la religion de l’autre, sous la supervision des moines et des encadrants musulmans. Le Père Denis Martin procède à cet effet à de nombreux aménagements, dont ceux dédiés à l’établissement d’un bâtiment réservé à accueillir une trentaine de garçons musulmans, la plupart orphelins, dans un internat. Mohamed Taifi en fait partie. Aujourd’hui retraité, ce romancier et ancien doyen, tient avec son épouse une maison d’hôte à la sortie d’Azrou, tout près du monastère qui a « façonné l’homme » qu’il est aujourd’hui. Précieux témoin de la vie au monastère, Taifi peut passer des heures à raconter son parcours et ce qu’il doit aux années auprès des « Frères », « le plus important à retenir, c’est que les moines ont tout fait pour nous prodiguer un enseignement d’excellence. Nous avions tous ce dont nous avions besoins pour cela, notamment une immense bibliothèque qui m’a donné le goût de la littérature ». Aujourd’hui, cette bibliothèque qui fût à l’époque l’une des plus importantes du Maroc, est une priorité dans la tâche de réhabilitation de Lamia Radi. « Nous essayons de la reconstituer tant bien que mal. Il y avait là des ouvrages très précieux que nous traquons dans notre quête des archives liés à Toumliline. Je lance un appel à ceux qui possèdent des livres provenant du monastère pour récupérer les contenus, même sous forme numérique ».


Mohamed Taifi, ancien pensionnaire du monastère, devant sa maison d’hôte à proximité de Toumliline. Crédit: Le Desk


Des livres mais aussi une conviction politique. Celle des moines se dessine encore plus clairement lors d’un célèbre épisode resté dans les mémoires comme celui « du thé ». En 1955, au plus fort de la crise marocaine, des cadres du mouvement national sont condamnés par le Protectorat à des « travaux forcés », notamment la construction de la route qui borde Toumliline. Un jour, sous une chaleur accablante, les moines sont sortis du monastère pour offrir du thé et des gâteaux aux forçats marocains. Parmi eux, Driss M’hammedi, l’un des signataires du Manifeste de l’Indépendance de janvier 1944 et qui deviendra le tout premier ministre de l’Intérieur du Maroc indépendant. Malgré l’hostilité de l’armée coloniale, les moines reconduisent leur action jour après jour : « c’est véritablement à ce moment-là que les nationalistes reconnaissent les bénédictins comme des soutiens et à leurs cause et comme des protecteurs », relate Lamia Radi.


Driss M’hammedi, grand artisan des Rencontres de Toumliline s'adresse aux participants.


Même les plus fervents défenseurs de la résistance par le ‘jihad’, comme Mohamed Belarbi Alaoui plus connu comme Cheikh El Islam, reconnaissent les moines comme des alliés contre le colonialisme. Proche de Mohammed V dont il deviendra le conseiller, il plaide, aux côtés de M’hammedi, en leur faveur au retour d’exil du sultan, épisode qui augure la fin du Protectorat au Maroc. Dès lors, Toumliline cesse d’être un refuge pour militants politiques pour devenir un espace ouvert aux intellectuels, hommes politiques et artistes de tout genre. Un esprit que souhaite faire développer le roi en personne, sensible en tant qu’homme de foi à la religiosité et au respect des bénédictins à l’islam, mais aussi à leurs actions courageuses en faveur des nationalistes.


A l’été 1956, le souverain décide, sur les conseils de son Président du Conseil et Pacha de Sefrou, Driss Bekkaï, d’instaurer les « Rencontres Internationales de Toumliline ». Le monastère s’agrandit et organise des séminaires ouverts surtout aux étudiants autour de questions politiques, de société et d’éducation. L’évènement attire la curiosité de la presse nationale et étrangère mais aussi des personnalités intellectuelles et politiques comme Louis Massignon, Mehdi Ben Barka, Louis Fougère, Ahmed Balafrej, Fatima Hassar ou encore Mohamed El Fassi.


« Déjà en 1956, un schisme apparait au sein du mouvement national entre l’aile progressiste, le Palais et les conservateurs. Pourtant, à Toumliline, ceux qui vont se lancer dans une lutte fratricide, parviennent à débattre dans un climat apaisé », explique Lamia Radi. Quant aux moines, ils sont assez tôt confrontés aux « tentatives de récupérations politiques mais ils résistent, et tiennent à inviter toutes les sensibilités » ajoute celle qui a commencé l’effort de mémoire au sujet de Toumliline par la récupération des archives autour des « Rencontres Internationales » qui se déroulent chaque annéesde 1956 à 1967. Un équilibre précaire tenu essentiellement par le parrainage du Palais, qui ne manque pas les occasions pour montrer son attachement à ces rencontres uniques en leur genre. Le souverain reçoit personnellement dans son Palais de Rabat les participants des « Rencontres », et envoie sur place son fils le prince héritier Moulay Hassan ainsi que la princesse Lalla Aïcha, qui fait alors sensation pour son audace et son engagement féministe : «  lorsque la princesse fait l’objet de la couverture du magazine Times en novembre 1957, c’est à Toumliline qu’elle est repérée par les journalistes américains » révèle Lamia Radi.


C'est à Toumliline que la presse américaine fait connaissance avec la princesse Lalla Aicha en 1957


La bénédiction et la reconnaissance du Palais aux activités du monastère est résumé dans une intervention de Moulay Ahmed Alaoui, ministre d’Etat et membre de la famille royale, à Toumliline à l’été 1957 : « Je voudrais dire à nos amis chrétiens que notre commune présence dans ces réunions a un sens. Ce qui était impossible il y a quinze ans est devenu possible…des chrétiens, au moment où nous luttions pour notre indépendance, n’ont pas identifié leur présence au Maroc à un régime politique donné. Ils se sont séparés du régime politique, parce qu’il était provisoire, pour témoigner de la vie du Christ, parce qu’elle est permanente ». Ce qui ne l’est pas, en revanche, c’est le maintien des équilibres au début des années 1960, à l’heure où l’instabilité politique secoue le Maroc et plus globalement le monde, de plus en plus scindé en deux par l’intensification de la Guerre Froide.


La mort de Mohammed V, le durcissement du régime marocain, l’emprisonnement des cadres et amis de Toumliline, fait peser un climat lourd sur les moines, toujours objets de tentatives de récupération : « l’Istiqlal a longtemps insisté pour déplacer le monastère près de Rabat, pas forcément pour en avoir le contrôle, mais surtout, selon les explications de Mahjoubi Aherdane, de les déraciner d’un terroir rural amazighe » précise Lamia Radi. Quoi qu’il en soit, l’effet de mode se dissipe au début de la décennie 1960 et le monastère est de plus en plus reclus. Les premières difficultés financières apparaissent également et les bénédictins sont sollicités ailleurs pour reproduire la formule Toumliline : « Ce sont d’abord les plus jeunes des Pères qui sont partis en premiers, accompagné du prieur le Père Denis Martin,  pour aller en Côte d’Ivoire et y fonder le Monastère Sainte Marie de Bouaké, affilié à celui de Toumliline » se souvient avec douleur Mohamed Taifi, qui a vécu le déclin et la fermeture du monastère du Moyen Atlas : « au moment de la fermeture en 1968, les moines ont veillés à ce que chaque pensionnaire trouve un travail, comme des camarades qui ont pu aller en France grâce à cela, ou moi qui ai pu poursuivre des études » ajoute Taifi, aujourd’hui « reconnaissant au travail de réhabilitation qui est engagé, pour que les enfants de la région comprennent leur histoire ».


Pendant une courte période après le départ des moines, le monastère est transformé en ateliers de formations professionnels avant d’être complétement délaissé « lorsque nous sommes venus ici pour constater l’état des lieux, il manquait des portes, des fenêtres, et certains bâtiments se sont transformés en étables pour du bétail. Mais comment en vouloir aux habitants locaux, qui sont démunis et qui font face à la rigueur de l’hiver ? » raconte Lamia Radi. Certains bâtiments du site ont également été fragilisés par des équipes de tournage pour le cinéma, notamment celle du film  « Des Hommes et des Dieux » sorti en 2010 et qui relate la dramatique histoire du monastère algérien de Tibherine, établi d’ailleurs au même moment que celui de Toumliline. Pour les besoins techniques, des trous ont été percés dans les murs fragilisant par exemple les fondations de la Chapelle, sauvée de l’écroulement par le renforcement in extremis de la dalle en béton. Grâce à la bienveillance et au partenariat de certains organismes comme « La Rabita mohammadia des oulémas » ou l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international) la FMA s’est lancé dans un vaste projet intitulé « Réinventer Toumliline ». Sa présidente, Lamia Radi, explique qu’il « ne s’agit pas là de refaire vivre à l’identique l’histoire du monastère, il n’est pas question d’un retour des moines par exemple, mais de s’inspirer d’une expérience sans égal d’ouverture, de tolérance et de débat. A terme, l’idée est de relancer les ‘Rencontres Internationales’ au moins tous les deux ans pour faire renaître cet esprit qui sied si bien à l’identité marocaine ».


C'est à Toumliline qu'a été tourné le film Des Hommes et des dieux, l'histoire tragique des moines assassinés en Algérie.


Un élan encouragé, une nouvelle fois, par le Palais. En janvier 2016, le roi Mohammed VI y fait mention dans un message un message aux participants d'un congrès portant sur « Les Minorités religieuses en terre d’islam : le cadre juridique et l’appel à l’action » : Le Maroc, dit le roi « a été un pays précurseur en matière de dialogue interreligieux. En effet, au lendemain de l’indépendance obtenue en 1956, il se tenait, chaque été au monastère de Toumliline – situé sur une montagne de la région de Fès et occupé anciennement par des moines bénédictins- un rassemblement d’intellectuels et de penseurs, notamment musulmans et chrétiens, auquel prenaient part des personnalités d’envergure comme le célèbre penseur chrétien Louis Massignon. Ce sont là quelques facettes de la réalité de notre pays, que, d’ailleurs, la plupart d’entre vous connaissent bien ». L’héritage de Toumliline est désormais une responsabilité collective. L’historien Jamaâ Baïda, Directeur des Archives du Maroc qui abrité l’exposition « Réinventer Toumliline » et auteur « Il était une fois Toumliline … » retient quant à lui que « l’héritage le plus remarquable laissé par l’expérience particulière du monastère de Toumliline , c’est l’esprit qui a animé les moines bénédictins qui y ont vécu de 1952 à 1968  un esprit de dialogue , de respect et de partage. Ces ‘gens de Dieu’, il plaisait à Cheikh al Islam Mohamed Ben Larbi Alaoui de les appeler, ont tissé des relations respectueuses avec la population musulmane locale loin de tout prosélytisme et se sont efforcés de développer diverses activités au service des petites gens les plus défavorisées ». Amen


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