VOIPGuérilla digitale : les opérateurs télécoms perdent 150 000 fans en un week end
A quelques jours de la tenue de la cérémonie de remise des trophées de la neuvième édition des Maroc Web Awards, des célébrités du web marocain du calibre de Najib El Mokhtari, Marouane Lamharzi Alaoui, Bilal Jaouhari, Ali Bedar, Mustapha Fekkak et Mohamed Habichi, en lice pour le titre de « Personnalité de l’année » se sont retirées de la compétition, ainsi que quatre membres du jury.
La raison étant que le sponsor officiel de cet événement annuel n’est autre que Inwi qui, avec Méditel et Maroc Télécom, a décidé de bloquer l’accès de ses clients à la téléphonie par VOIP, appliquant une décision de l’ANRT. Une décision jugée incompréhensible, contraire aux principes fondamentaux d’Internet et de l’ère numérique.
La contre offensive de ces influenceurs ne s’est pas arrêtée là : le vendredi 26 février 2016, une campagne de boycott des trois opérateurs visant à unliker massivement leurs pages officielles sur Facebook est lancée. L’objectif, comme l’ironise Marouane Lamharzi Alaoui, est « d’amener ces trois opérateurs à célébrer leur 1 million de fans, après avoir préalablement atteint les 2 millions, et de ne leur laisser que les fans malaisiens et philippins qu’ils ont achetés. Ceci est pour leur faire comprendre que nous ne sommes pas des insectes ».
Sur les pas de la Corée du Nord et du Myanmar
Lors de sa conférence de presse semestrielle tenue le 16 février dernier, Abdeslam Ahizoune a affirmé qu’il pense « aux familles heureuses qui appellent et qui voient leurs enfants, des étudiants à l’étranger » et qu’il trouve cela « touchant ». Mais a déclaré en même temps, comme pour justifier la décision du régulateur, qu’il s’agit d'un « problème mondial » et« qu'il y a des pays qui sont passés à l’interdiction et qui sont nombreux ». Le patron de l’opérateur historique Maroc Telecom a raison. Le site provpnaccounts liste les pays qui bloquent l’accès à la VOIP. On y retrouve la Chine, l’Iran, le Myanmar, la Corée du Nord et d’autres patries, qui sont tout sauf un modèle de démocratie et de respect des libertés. Car c’est de cela qu’il s’agit. Le blogueur Najib El Mokhtari tient aussi à rappeler que le blocage de la VOIP risque également de nuire à l’économie du pays en hissant des obstacles à l’éducation des jeunes et aux investissements étrangers au Maroc.
En seulement vingt quatre heures, la campagne largement relayée par les internautes a ainsi causé des dégâts. Hier soir, le ralliement de milliers de facebokkers a causé une véritable hémorragie des likes sur les pages des trois opérateurs, qui perdaient toutes les minutes une moyenne de 200 fans. Un rythme qui s’est en toute logique affaibli aujourd’hui, descendant sous les 100 « dislike » la minute.
Résultat des courses : en un week end, plus de 150 000 fans ont quitté la page Maroc Telecom, 131 028 pour Méditel et un peu plus de 122 000 pour Inwi. Des chiffres enregistrés dimanche à 19h00, et qui représentent jusque-là une moyenne de 6 % du total des fans des trois compagnies de téléphonie du pays. Un chiffre qui peut paraître faible à première vue comparé au grand buzz crée autour de l’opération sur les réseaux sociaux, mais qui présente « une réelle victoire », commente Marouane Harmach, consultant en nouvelles technologies et directeur associé à consultor.ma.
« Oui c’est une victoire, car cet appel sera relayé par des milliers d’internautes. Perdre 6 % de sa base de fan est catastrophique car l’effort nécessaire pour gagner des likes est conséquent, en perdre autant en 48 heures est à mon avis très important », explique Harmach. Atteindre ce nombre de likes nécessite selon lui entre un et six mois, selon le dynamisme de la page. « Sans oublier que ce pourcentage là est net, c’est à dire qu’il ne comptabilise pas le nombre de fans probablement recrutés pour compenser cette perte », précise-t-il
Ce que les opérateurs risquent de perdre
Quelles sont les répercussions d’un acte aussi passif que d’unliker une page qui compte déjà plus de 2 millions de fans sur Facebook ? Difficile d’avoir une réponse exacte tellement les méthodes d’évaluation sont différentes. Le bloggeur Marouane Lamharzi Alaoui a quantifié par exemple la perte à 2 ou 3 dirhams par fan. Il s’agit selon lui du « coût par like », autrement dit ce qu’a payé une marque donnée pour acquérir un fan, que ce soit à travers la publicité directe sur le réseau social ou à travers des efforts de marketing indirects.
Une étude menée par l’agence de marketing américaine Syncapse et le cabinet de recherche Hotspex présente des chiffres beaucoup plus mirobolants. Selon cette étude réalisée en 2013, la valeur moyenne d’un fan sur Facebook se chiffre à pas moins de 174 dollars américains. Un chiffre moyen qui varie selon les marques, et peut aller de 75 dollars pour des grosses multinationales comme Coca Cola, Nike, ou Adiddas à 300 ou 400 dollars pour des marques comme H&M, Levis ou Zara. Dans leurs calculs, les experts qui ont essayé de quantifier le « value of fan » se sont basés sur des indicateurs tels que les dépenses relatives au produit, la fidélité à la marque, la propension des clients à la recommander, la valeur du réseau social servant de plateforme de promotion et les coûts d’acquisition des fans. L’étude a également permis de mettre en exergue le contraste entre un fan et un non-fan. Le premier est, en effet, plus actif sur les réseaux sociaux et suit simultanément, en moyenne, dix marques et est plus à même de partager, sur son profil, les expériences et les promotions relatives à la marque.
Autre méthode d’évaluation utilisée : le coût d’achat d’un like. La firme de Zuckerberg le facture au minimum à un dollar, et la mise exigée doit correspondre au moins à cinq fois le coût par clic, l’unité d’achat chez Facebook étant 5 likes. Selon cette méthode, les trois opérateurs doivent donc débourser chacun un minimum de 130 000 dollars pour récupérer les 6 % de fans perdus ce week end. Un montant très symbolique pour des compagnies qui brassent des milliards de dirhams tous les ans. Mais cela n’est pas le plus important, comme le précise le consultant Marouane Harmach : « Cette action est une première. C’est en tout cas un tournant dans la relation entre les internautes et les marques marocaines ».
Les instigateurs de cette guérilla digitale contre le lobby des télécoms ne veulent pas s’arrêter au simple boycott, ils comptent également s’associer avec des avocats et des ONG afin de poursuivre en justice l’ANRT.
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