JusticeLe « Hirak » accusé de liens d’argent avec le Polisario, sa défense porte plainte
Assabah, quotidien arabophone du groupe Eco-Medias (L’Economiste, Atlantic Radio), titre en Une de son édition du lundi 5 juin que « les détenus d’Al Hoceima ont reçu des fonds du Polisario ».
La « révélation » est pour le moins fracassante. Elle apporterait ainsi la preuve que le hirak est motivé par le séparatisme et qu’il est soutenu en sous-main par les indépendantistes de Tindouf.
Si le polisario peut inspirer/manigancer un mouvement aussi mûr et mobilisateur que celui du Rif alors l'Etat marocain est un Etat FAILLI https://t.co/6UaSPS5ZNr
&mdash aboubakr jamai (@aboubakrj) June 4, 2017
Qu’apprend-t-on au juste dans les pages intérieures du quotidien lorsqu’on a passé le choc du titre sur six colonnes ?
Des « objectifs communs » avec le Polisario
Assabah affirme, citant des éléments de l’enquête en cours, « qu’un des détenus à la prison d’Oukacha a bénéficié de financements de la part du Polisario » et que la source « qui lui a remis les fonds » a été identifiée ainsi que « les objectifs qui ont été tracés, avec pour justification un destin commun, le Sahara marocain et la région du Rif ayant été des colonies espagnoles ». Le journal ajoute que l’enquête a pu déterminer « le nombre de rencontres entre le responsable du Front Polisario et l’accusé qui était un des leaders de la protestation et l’un de ses financiers ».
L’article mentionne aussi d’autres individus – dont une liste aurait été établi - ayant financé de l’étranger le hirak « dans le but de porter atteinte à l’unité nationale », à travers « un support logistique », matérialisé par la fourniture de drapeaux et de moyens de télécommunication entre autres.
Ces fuites interviennent, en violation du secret de l’instruction, à la veille de la présentation de Nasser Zafzafi devant le juge d'instruction. Imprécises, elles viennent couronner un matelas de rumeurs et d’accusations sur « la main étrangère » qui « téléguide » le mouvement rifain, sans qu’aucun fait établi ne soit venu les étayer.
Ces informations, particulièrement vagues et non sourcées, sont donc à prendre avec des pincettes. Assabah est réputé pour servir la propagande sécuritaire, avec beaucoup de tapage, mais toujours sans aucune preuve tangible.
Des accusations qui ne sont « que pure calomnie »
Contacté par Le Desk, un des avocats de la défense, Me Abdessadek El Bouchattaoui n’a pas eu de mots assez durs pour qualifier ce qu’il appelle « une pathétique tentative de manipulation de l’opinion publique que nous refusons et dénonçons avec la plus grande fermeté ». Engagé dans la société civile dans la région, il affirme suivre de près depuis « sa genèse le mouvement et ses relations que ce soit au Maroc ou à l’étranger », pour marteler que « le hirak n’a jamais eu, ni de près, ni de loin de contacts avec le Polisario et encore moins des projets communs ». Au contraire, dit-il, « il a toujours défendu l’unité nationale et territoriale du pays de manière transparente et affirmée », citant la position du mouvement durant la crise de Guerguerat. Pour lui, cette thématique du séparatisme qui intervient dans le sillage des déclarations de la coalition gouvernementale, « n’est que pure calomnie ».
« Cet article est une honte, je défie cette presse de caniveau d'apporter le moindre début de preuve de ce qu’elle avance. L’instruction du dossier n’a même pas encore débuté ! C’est bien cela la fitna dans laquelle certains milieux veulent nous entraîner », ajoute Me El Bouchattaoui qui déclare en conséquence avoir pris la ferme décision de poursuivre Assabah, l’accusant de vouloir « semer le trouble » sur les objectifs du hirak, alors que « celui-ci ne manifeste que pour obtenir ses droits économiques et sociaux les plus légitimes ».
Assabah, spécialiste du fake news anxiogène
Il faut dire qu’Assabah, comme certains autres médias, s’est spécialisé dans le fake news alarmiste et anxiogène. En février, le quotidien inventait « des rapports américains » mettant en garde la marine royale marocaine contre des attaques terroristes de Daech qui pourraient être menées avec des zodiacs piégés, laissant croire à des sources sécuritaires crédibles. Le Desk avait démontré qu’il s’agissait d’une supercherie orchestrée et non d’une simple erreur éditoriale comme il en arrive dans toute rédaction. Le journal n’a pas daigné d’ailleurs la corriger et s’en excuser auprès de ses lecteurs.
Il n’en était pas à sa première opération de désinformation. Un an auparavant, le journal consacrait sa Une à la présence supposée d’armes nucléaires dans le royaume. « Des missiles nucléaires au Maroc ? La Russie dévoile des informations sur un stock d’armes nucléaires transportées par un avion américain à la base de Benguerir », titrait le quotidien. L’information était évidemment une vaste fumisterie, que Le Desk avait désintoxiquée.
Plus récemment, dans son édition datée du 2 mai, Assabah a rapporté qu’un groupe de cinquante individus avaient attaqué, la semaine précédent la publication de l’article, « une caserne » des Forces armées royales à Larache dans le but de dérober des armes de guerre. Une dangereuse fake news qui a écorné l'image du Maroc à l'international, mais sans susciter de réactions officielles.
Dans le cas des assertions publiées ce matin à propos de liens d’argent supposés entre le hirak et le Polisario, seule la justice pourra à ce stade les déterminer ou pas, mais le peu de crédibilité d'Assabah permet d'en douter très sérieusement. Le ministère de l’Intérieur avait pris ses distances, comme l’armée, avec le foisonnement de nouvelles trompeuses, sorties de leur contexte, ou tout simplement fabriquées. Pourtant, aucune enquête n’a été diligentée, alors que des indices probants montrent qu’elles ont parfois pour source établie le circuit de l’enquête, comme Le Desk l’a montré avec les photographies privées de Nasser Zafzafi, fuitées pour l’accabler, alors qu’il n’avait pas encore été entendu par la justice, et que ces images, qui ont circulé via l’application WhatsApp, sont potentiellement des pièces à conviction.
Ces pratiques usant de l’anonymat que procurent les réseaux sociaux sont doublées des canaux médiatiques empruntés par l’accusation agissant au grand jour et sans contrainte, ni de la part de la corporation de la presse, passablement mutique sur ces sujets, ni par la justice. Quelques députés ont dénoncé leurs effets nocifs en demandant timidement que les responsables sécuritaires soient entendus au Parlement. Omar Balafrej de la FGD a déposé une question écrite dans ce sens, encore faudrait-il qu’elle ne se perde pas dans les limbes de l’Hémicycle comme tant d’autres...
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