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MaghrebHéritage: la Tunisie avance vers l’égalité entre hommes et femmes

14.08.2018 à 02 H 58 • Mis à jour le 14.08.2018 à 02 H 58 • Temps de lecture : 7 minutes
Par et
Dans la législation actuelle, comme dans le reste du monde arabe, les femmes n’héritent bien souvent que de la moitié de ce qui revient aux hommes. Le président tunisien Beji Caïd Essebsi a annoncé lundi le dépôt d’un projet de loi rendant les deux genres égaux en la matière, en dépit de manifestations hostiles

Le président tunisien Béji Caïd Essebsi a annoncé lundi son soutien à un projet de loi rendant hommes et femmes égaux en matière d’héritage, un texte qui divise car il déroge à un principe inspiré du Coran, en vigueur dans de nombreux pays arabes.


La loi actuelle, qui s’appuie sur le droit islamique, prévoit qu’en règle générale, un homme hérite le double d’une femme du même degré de parenté.


« On va inverser la situation », en faisant de l’égalité la règle, et de l’inégalité une dérogation, a déclaré le président tunisien dans un discours télévisé à l’occasion de la journée de la femme tunisienne.


La loi laisserait néanmoins la possibilité au testateur « soit d’appliquer la Constitution soit de choisir la liberté », a-t-il précisé.


Une ligne rouge dans de nombreux pays musulmans

L’égalité dans l’héritage est l’une des mesures les plus débattues parmi une série de réformes sociétales proposées par une commission que le président avait créé il y a un an, afin de traduire dans la loi l’égalité consacrée par la Constitution de 2014, adoptée dans la foulée de la Révolution ayant mis fin à la dictature.


Cette Commission pour les libertés individuelles et l’égalité (Colibe) a suggéré que le patrimoine familial soit partagé par défaut de façon égale entre héritiers hommes et femmes. Le propriétaire du patrimoine aurait toutefois la possibilité d’aller chez un huissier-notaire afin de répartir son bien selon la règle des deux-tiers.


Il reste difficile d’évaluer les chances que ce texte soit voté à courte échéance. Peu d’élus ont exprimé clairement leur position sur un sujet qui divise au sein même de chaque parti, alors que des dizaines de lois sont toujours en attente d’être votées par un Parlement dont les travaux avancent péniblement, en raison des clivages et de l’absentéisme.


L’annonce survient alors que le parti au pouvoir, Nidaa Tounès, fondé par Beji Caïd Essebsi en 2012, est profondément secoué par une lutte de pouvoir au sein de sa direction à l’approche des scrutins législatif et présidentiel prévus en 2019. Lors de ces élections, Nidaa Tounès espère renforcer ses positions face au parti d’inspiration islamiste Ennahdha, aujourd’hui principale formation au Parlement.


Le président a appelé les élus d’Ennahdha à voter ce texte, qui doit être présenté aux députés dès la fin des vacances parlementaires selon lui.


L'égalité, « un objectif noble »

Même si, selon Beji Caïd Essebsi, Ennahdha lui a exprimé par écrit « des réserves » sur certains réformes notamment sur l’égalité successorale, la formation islamiste n’a pas pris position explicitement sur ce sujet.


Un dirigeant d’Ennahdha, l’ancien Premier ministre Ali Larayedh, a affirmé dans un discours lundi : « Nous allons poursuivre notre combat dans le cadre des objectifs de la révolution et de la Constitution de 2014 ».


« Ce combat long et dur n’est pas contre l’homme mais en partenariat avec lui, n’est pas contre la famille mais en partenariat avec elle, n’est pas contre la religion et l’identité, mais se fait dans le cadre des enseignements de la religion », s’est-il borné à dire.


Nidaa Tounès, dont les élus semblent divisés sur la question, a assuré dans un communiqué dimanche que « la réalisation de l’égalité totale demeure un objectif noble et que les conditions pour l’atteindre sont aujourd’hui réunies ».


En Tunisie, ceux qui soutiennent l’inégalité dans l’héritage la justifient en considérant que l’homme doit être avantagé car c’est à lui de subvenir aux besoins du foyer.


« Pas contraire à l’essence de l’islam »

Pour Hlima Jouini, membre de l’Association tunisienne des femmes démocrates, « les rôles ont changé, maintenant la femme est responsable de ses parents, de sa famille, l’homme n’est plus le seul responsable ou le chef de la famille donc il faut que la législation se conforme à ce changement ».


La Colibe a assuré de son côté que son approche n’était « pas contraire à l’essence de l’islam », mais dans la lignée de la logique du Coran.


Samedi, une manifestation contre cette commission a rassemblé des milliers de personnes devant le Parlement tunisien, certains brandissant le Coran, aux cris de « avec notre sang, nous défendrons l’islam ».


Mais une autre manifestation, en faveur de l’égalité et des libertés individuelles, était organisée lundi soir à Tunis à l’appel de nombreuses associations.


Le président a lui insisté sur le fait que la Tunisie est « un Etat civil » en vertu de sa Constitution. Longtemps tabou, le débat sur l’héritage a également surgi au Maroc depuis plusieurs mois.


La Tunisie, pionnière pour les femmes dans le monde arabe

La Tunisie, dont le président a annoncé lundi le dépôt d’un projet de loi rendant hommes et femmes égaux en matière d’héritage, est pionnière en matière d’émancipation féminine dans le monde arabe, depuis l’adoption en 1956 du Code du statut personnel qui a aboli polygamie et répudiation.


La nouvelle Constitution, adoptée en janvier 2014, a inscrit l’égalité entre hommes et femmes et introduit un objectif de parité dans les assemblées élues. Mais il subsiste encore des inégalités.


Dans la législation actuelle, les femmes n’héritent généralement que de la moitié de ce qui revient aux hommes, comme le prévoit le Coran.


Dès août 2017, le président tunisien Beji Caïd Essebsi a lancé le débat sur ce sujet délicat, jugeant que son pays se dirigeait vers l’égalité « dans tous les domaines ». Une Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) est formée.


Des propositions progressistes

En juin 2018, la Colibe présente des propositions de réformes sociétales. Outre la dépénalisation de l’homosexualité et l’abolition de la peine de mort ou du délai de viduité imposé aux femmes divorcées ou veuves, ses propositions portent sur l’égalité entre hommes et femmes dans l’héritage, une ligne rouge dans de nombreux pays musulmans.


Lire aussi : Tunisie : Un Pacte pour l’égalité et les libertés individuelles lancé par 90 associations


Des associations religieuses tunisiennes rejettent ces réformes, les jugeant « dangereuses » et contraires aux préceptes de l’islam. Ceux qui sont contre le changement estiment que l’homme doit être avantagé, car traditionnellement c’est à lui de subvenir aux besoins du foyer. Le 11 août, des milliers de personnes ont manifesté à Tunis contre l’égalité successorale et d’autres réformes.


Le virage du Code du statut personnel

Le Code du statut personnel (CSP), promulgué le 13 août 1956 par le premier président Habib Bourguiba, cinq mois après l’indépendance, accorde aux Tunisiennes des droits sans précédent. Il abolit la polygamie, interdit la répudiation, institue le divorce judiciaire et fixe l’âge minimum du mariage à 17 ans pour la femme, « sous réserve de son consentement ».


Il ouvre également la voie à l’instruction, à la liberté de choix du conjoint et au mariage civil. Les Tunisiennes vont aussi bénéficier très tôt de la planification des naissances avec droit à l’interruption volontaire de grossesse.


Le successeur de Bourguiba, Zine El Abidine Ben Ali, applique une démarche volontariste pour la participation des femmes à la vie politique. La « Fête de la femme », jour férié en Tunisie, célèbre tous les 13 août la promulgation du CSP.


La première femme maire à Tunis

En avril 2011, trois mois après la chute de Ben Ali à la faveur de manifestations inédites, la Haute commission chargée de préparer les élections de l’Assemblée constituante opte pour un scrutin de listes qui respecteront la parité.


Ce choix rassure ceux qui commençaient à craindre un recul des droits des femmes sous la pression des mouvements islamistes, qui ont alors le vent en poupe. Les femmes ne seront toutefois que 7 % à mener des listes pour le scrutin.


La nouvelle Constitution de 2014 a introduit un objectif de parité dans les assemblées élues. Elle dispose que « les citoyens et citoyennes sont égaux en droits et devoirs et devant la loi, sans discrimination ».


S’il y a très peu de femmes au gouvernement, de nombreuses femmes ont accédé au pouvoir local à la faveur de la loi sur la parité lors des premières municipales démocratiques en mai 2018.


Selon Al Bawsala, une ONG qui évalue le travail législatif depuis la révolution de 2011, 20 % des maires sont désormais des femmes. Et à Tunis, une candidate du parti est devenue en juillet la première femme maire de la ville.


En 2017, le Parlement avait déjà voté une loi pour lutter contre les violences faites aux femmes. Et l’interdiction du mariage des femmes avec des non-musulmans avait été abolie.

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