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IndiscrétionsL’ex-espion en chef français raconte la relation trilatérale Paris-Rabat-Alger

24.09.2018 à 19 H 22 • Mis à jour le 25.09.2018 à 01 H 28 • Temps de lecture : 5 minutes
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Dans « Le soleil ne se lève plus à l’est » qu’il vient de publier aux éditions Plon, Bernard Bajolet, l’ex-patron de la DGSE et ancien ambassadeur à Alger réputé proche du président Bouteflika, raconte quelques anecdotes sur ses missions de l’ombre entre le Maroc et l’Algérie, notamment sur la question du Sahara Occidental. Extraits

Patron de la DGSE de 2013 à 2017, Bernard Bajolet, 69 ans, revient, dans Le soleil ne se lève plus à l'est (Plon), sur sa longue carrière de diplomate et d’agent de l’ombre au cours de laquelle il a été notamment ambassadeur à Alger de 2006 à 2008. Il livre à cette occasion quelques anecdotes croustillantes sur les relations franco-marocaines


Le cannabis, un sujet tabou avec Rabat


Plus que par l’héroïne en provenance d’Afghanistan, la France est touchée par la cocaïne importée d’Amérique du Sud, via l’Afrique pour l’essentiel, et, surtout, le cannabis cultivé au Maroc. Mais des considérations diplomatiques ont toujours dissuadé – jusqu’à présent – nos dirigeants d’aborder cette question avec les autorités de Rabat. Celle-ci, il est vrai, est aussi sensible que difficile, en raison de la complexité des relations du pouvoir avec les populations de la région du Rif, où est concentrée la culture de la plante.


Bouteflika insatisfait de Chirac pour sa proximité avec le Palais


Pendant mon séjour, j’avais établi une relation chaleureuse avec Abdelaziz Bouteflika, qui me recevait souvent pendant de longues heures. Un jour où l’entretien n’avait duré « que » trois heures, un caricaturiste avait titré : « Refroidissement dans les relations franco-algériennes ». Lors de notre premier entretien, en décembre 2006, quelques jours après mon arrivée, je lui fis part du message « d’amitié, d’estime et d’affection » que le président Chirac m’avait chargé de lui transmettre. Cela ne lui suffisait manifestement pas : le président Chirac ne se cachait pas d’entretenir des relations quasiment familiales avec le roi du Maroc. « On nous a parlé de relations privilégiées avec l’Algérie, se plaignit Bouteflika. Mais en réalité, les privilèges ont été réservés au Maroc et à la Tunisie. L’Algérie, elle, n’a rien vu. » Le ton était donné.


Chirac n’estimait pas Mohamed Benaissa


Pour Bajolet, il existe une lutte d’influence à propos du Sahara Occidental entre le Maroc, « défavorisé par le partage colonial du désert », et l’Algérie, « qui instrumentalise le Polisario de défendre le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui ».


Il révèle avoir rencontré secrètement, dans un hôtel parisien, des dirigeants du Polisario lorsqu’il était directeur-adjoint d’Afrique du nord et Moyen Orient au Quai d’Orsay, au début des années 1990, pour « sonder leurs dispositions à envisager un compromis ».


En novembre 2006, je pris l’initiative d’aborder ce dossier avec Jacques Chirac. « On était près d’un accord, me révéla ce dernier. Mais les Marocains ont tout fait capoter. » Le Président était tout particulièrement remonté contre le ministre marocain des Affaires étrangères de l’époque (Mohamed Benaissa, ndlr), qu’il ne paraissait pas tenir en grande estime.


Bouteflika « pas de lune de miel avec le Maroc… »


En juillet 2008, l’ambassadeur Bajolet à Alger a de nouveau abordé le sujet du Sahara Occidental avec le président Bouteflika lors d’une audience d’adieu.


Ce fut aussi l’un des premiers sujets que le président Bouteflika souleva avec moi, pour constater, sans animosité, que Paris avait toujours soutenu la position marocaine depuis l’époque du président Giscard d’Estaing. « La position de la France, lui expliquai-je, ne relève pas d’un quelconque parti pris. Mais elle peut être influencée par le sentiment que cette affaire est vitale pour le Maroc, alors qu’elle ne l’est pas pour l’Algérie. — Oui, c’est vrai, concéda Bouteflika. Elle n’est pas vitale pour nous. Mais sachez qu’il n’y aura pas de lune de miel avec le Maroc, pas de Maghreb arabe tant qu’une solution équitable ne sera pas trouvée. »


Bouteflika esquive la responsabilité de l’Algérie


Je reviendrais sur cette affaire lors de mon audience de départ, en juillet 2008 : « Ce que je vais vous dire, monsieur le Président, n’est pas politiquement correct. Je sais qu’à vos yeux, c’est le Polisario qui est partie au différend, non pas l’Algérie. Pourtant, je pense que celui-ci ne trouvera pas sa solution à New York, ni à Washington, ni à Paris. Mais seulement à travers un dialogue direct entre vous et le Maroc. Le principe de l’autodétermination doit être mis en œuvre, mais après une négociation entre les deux principaux pays concernés. » Le président algérien avait esquivé, en passant à un autre sujet.


La convocation de Hammouchi jugée « maladroite »


Quelques années plus tard, une crise présentant un certain parallélisme avec l’affaire Hasseni, affecterait, cette fois, nos relations avec le Maroc pendant un an. L’origine en était, là aussi, une décision de justice. Le 20 février 2014, des policiers se présentèrent à la résidence de l’ambassadeur du Maroc en France pour porter une convocation de la justice française visant Abdellatif Hammouchi, directeur général de la surveillance du territoire, objet d’une plainte pour « tortures ». Le haut fonctionnaire marocain, qui accompagnait son ministre, n’était pas présent et ne répondrait pas, de toute façon, à cette convocation maladroite. J’appris un jour que le roi du Maroc se trouvait en France pour un séjour privé. Je conseillai à François Hollande de l’appeler au téléphone. Mais il ne put le joindre.


Hammouchi « n’a pas mérité » sa breloque française


L’affaire ne s’apaiserait qu’après une visite à Rabat, en février 2015, du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. Celui-ci s’en tirerait avec une Légion d’honneur, que le récipiendaire n’avait rien fait pour mériter et que personne ne voulait lui remettre. Pendant cette période, la coopération entre les deux pays en matière de lutte contre le terrorisme avait été suspendue, de façon unilatérale, par le Maroc.


La DGSE a continué de livrer des informations à Rabat


La France, patiente, avait continué de fournir à ses partenaires marocains tout élément pouvant affecter la sécurité de leur pays. C’était la seule attitude responsable. Au-delà de cet incident, en soi mineur, le fond de cette brouille était, plus en profondeur, l’interrogation du Maroc sur l’équilibre de nos relations avec chacun des deux grands pays maghrébins, équilibre bien difficile à tenir, surtout dans la perception de l’un et de l’autre. Mes conversations avec le président Bouteflika montraient que celui-ci avait, à cette époque, des soupçons symétriques. Les relations de la France avec ces deux partenaires majeurs pour elle relèvent autant de la psychologie que de la diplomatie.

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