EnquêteLa Fédération royale de l’aviation légère et sportive accusée d’acrobaties comptables

Simple trou d’air pour la fédération royale marocaine de l'aviation légère et sportive (FRMALS) dont la tenue de l’assemblée générale prévue le 6 octobre à été interdite la veille par le Tribunal de première instance de Rabat sur la base d’un jugement rendu par la Cour d'appel le 10 janvier qui invalidait déjà sa tenue ainsi que ses comptes ?
Le communiqué diffusé le 5 octobre par son président, Mohamed Hachami, se veut en tout cas rassurant, soulignant qu’il ne s’agit que d’un report, l’interdiction prononcée en référé ayant d’ores et déjà contesté en appel. Pourtant une fébrilité est perceptible au sein de cette instance sportive, ses membres ont été instamment priés de ne pas commenter aux médias la nouvelle. En parallèle, Hachami accuse « certains fauteurs de troubles motivés par leurs intérêts personnels et ayant pour but de porter préjudice à cette institution et à son parcours au détriment de l’intérêt général et de l’image du royaume ».
Des rapports financiers faisandés et votés à l’arrache
Il faut dire qu’au sein de la petite FRMALS qui regroupe les clubs de vol libre (parapente et parachutisme) et les aéroclubs pratiquant l’aviation légère, l’ambiance est à la dénonciation. En cause, les rapports financiers présentés au cours des assemblées générales de 2014, 2015 et 2016 qui « montrent des anomalies et des manœuvres maladroites du président Hachami, pour tenter de cacher ses malversations financières », accuse frontalement Abdelmajid Belaiche, un de ses membres démissionnaires.
Premier exemple avancé et qui donne le ton, celui de l’AGO de 2014. Celle-ci devait entériner le rapport moral et financier pour la période de mai 2013 à décembre 2014, soit 19 mois. Or, le rapport financier établi par une simple officine de gestion comptable, ne couvrait que cinq mois et demi de début iuin à la mi- décembre 2014. « Un rapport frauduleux, constellé d’incohérences et ne comportant aucun justificatif des dépenses engagées », assurent nos sources que Hachami fera voter grâce à l’exclusion de 9 clubs et aéroclubs de l’assemblée pourtant affiliés, tout en permettant l’entrée de clubs non membres de la fédération ainsi qu’à des clubs fantômes d’y siéger, comme celui de Kénitra, club sans terrain (l’aérodrome de la ville n’existe plus depuis des décennies), ni avions, ni pratiquant. Cet aéroclub a tenu sa dernière assemblée générale en 1996… Pour sa défense, Hachami répliquait au site LesEcos.ma qui décrivait déjà la crise ambiante et le fait que le ministère de la Jeunesse et des Sports avait la FRMALS dans son collimateur dans le cadre d’un audit des fédérations lancé par Rachid Talbi Alami, que « cette première version a été modifiée par une deuxième copie qui a d’ailleurs été remise au ministère »…
« Le premier geste du président Hachami, en 2014, a été de geler les activités de Royal d’Agadir Al Massira », l’aéroclub assure nos sources. Ceci a été décidé au cours d’une réunion du bureau fédéral, qui s’est tenu à Beni Mellal, le 14 décembre 2014, c’est-à-dire 13 jours avant l’assemblée générale. Le prétexte en était la non-participation de cet aéroclub à un rallye aéronautique organisé quelques jours auparavant. « Or cette décision était abusive dans la mesure où elle ne pouvait être appliquée à un club qui a participé, à au moins 25 % des activités sportives fédérales. L’Aéroclub Royal d’Agadir Al Massira avait non seulement participé à toutes les manifestations fédérales à l’exception du dernier rallye aérien mais en plus il a contribué matériellement et avait même prêté de l’argent à la fédération à un moment où elle était en crise », explique-t-on pour illustrer ce cas de mise à l’écart d’un club jugé frondeur.
Marginalisation de compétences, manœuvres dilatoires sur l’acceptation de cotisations servant ainsi à exclure les récalcitrants ou encore constitution d’un conseil de discipline inquisitoire sont autant de techniques citées par nos témoins dans la politique du vide instaurée par le président.
Aussi, « l’assemblée s’est tenue sans quorum, puisque seuls 4 clubs adhérents et en situation de voter sur les 17 que compte la fédération étaient présents », assure-t-on.
Le rapport de 2014 avait ainsi notamment évacué une période cruciale pour les finances de la fédération (de février à juin 2014) au cours de laquelle la FRMALS avait bénéficié du ministère de la Jeunesse et des Sports, alors dirigé par Mohammed Ouzzine, une subvention record de 3,2 millions de dirhams, soit près de dix fois la manne reçue les années précédentes qui ne dépassait guère les 350 000 dirhams. De quoi aiguiser bien des appétits.
Autre fait contentieux, la fédération avait récolté, au cours du 5ème championnat arabe et du 1er championnat africain de parachutisme, organisés en février et mars 2014 avec le soutien de la province de Taroudant et l’appui logistique de l’aéroclub d’Agadir, des cotisations d’équipes étrangères invitées à raison de 700 à 900 dollars par participant, soit un montant global, estimé à près de 70 000 dollars payés en liquide et dont nulle trace ne sera retrouvée sur les comptes bancaires de la FRMALS.
Or, des 3,2 millions de dirhams octroyés par le ministère de tutelle et de la cassette des devises du show de Taroudant, il ne restera trois mois plus tard qu’un peu plus de 1,4 million comme solde au 1er juin 2014. Personne ne saura à quoi ont été destinés près d’1,8 million de dirhams, le rapport ayant été passablement caviardé sur ce point.
Anomalie supplémentaire : une avance personnelle faite à la fédération par le président Hachami en 2013 de près de 140 000 dirhams a été compensée en 2014 par un chèque, dont Le Desk détient copie, de 263 000 dirhams. Sur le papier, rien ne justifie pourtant cette différence aux allures de bonus de près de 124 000 dirhams qu’il a ainsi empochés.
Ces acrobaties comptables ne se résument pas à cela, à l’instar de menus déboursements comme des frais de réparation de voiture, alors que la fédération ne dispose pas de véhicule… Certains membres soupçonnent par ailleurs que certaines dépenses au titre de cette année ont été passablement gonflées. A la mi-novembre 2014, des compétitions de parapente et la coupe du Trône ont été organisées sur le site devenu mythique d’Aguergour, non loin de Marrakech. Sans autorisation préalable de la part des autorités, qui avaient banni toute activité depuis la mort accidentelle un an auparavant d’un parapentiste suisse, Hachami avait pourtant voulu braver l’interdit en invitant une cinquantaine de sportifs nationaux et étrangers. Pour rien. Pourtant, alors que des participants avaient été logés dans les gîtes de la région pour un budget total estimé à moins de 10 000 dirhams, le rapport financier aligne la somme de 57 000 dirhams, soit une enveloppe qui ne peut être justifiée que pour la prise en charge d’au moins 300 personnes…
Les deux années suivantes vivront au même rythme, selon les données documentées obtenues par Le Desk. Ainsi, en 2015, le rapport financier était tout aussi superficiel, notamment au niveau des dépenses pour lesquels les frais généraux représentaient 50 % des dépenses totales soit plus de 700 000 dirhams. Incongruité de taille, une différence de plus de 100 000 dirhams apparaissait au report à nouveau par rapport au solde de clôture de 2014. L’année suivante, les dépenses fédérales montraient que plus d’un million de dirhams avait été consacré uniquement aux frais d’hôtels, de restauration et de réception ainsi que pour des frais de communication et de relations publiques, soit près de 50 % de la subvention publique. Pourtant, « cette manne de l’Etat devrait essentiellement être affectée au développement des sports aéronautiques et notamment auprès des jeunes, à travers le financement de formations, en pilotage des avions, en parachutisme et en parapente », fulmine un adhérent.
Un autre montant attire l’attention, celui de dépenses de transport, carburant et diverses charges de déplacements, totalisant plus de 800 000 dirhams, soit près de 35 % des dépenses de la fédération pour l’exercice 2016. Pourtant, la FRMALS « ne disposait d’aucun véhicule et faisait appel, en revanche à de coûteuses locations de voitures de luxe y compris pour des personnes étrangères à la fédération alors que la majorité des membres du bureau se déplaçaient dans leurs voitures et à leurs propres frais », rapporte la même source.
Et cerise sur le gâteau, des charges de fonctionnement en fournitures de bureau et consommables dépassant allègrement les 200 000 dirhams, alors que la fédération ne dispose que d’un petit bureau et son personnel se résume à une seule secrétaire payée au lance-pierres. « Sachant que l’essentiel du courrier de la fédération se fait par e-mails, comment expliquer ce budget digne d’une administration pléthorique ? », poursuit-elle.
Le rapport 2018 subit aussi le feu roulant des critiques. Sur sa page Facebook, Abdelmajid Belaiche interpelle le ministre Talbi Alami sur les dettes affichées qui totaliseraient 2 millions de dirhams alors que les rubriques ne sont pas détaillées.
L’amie banquière du président tient les cordons de la bourse
Les tours de passe-passe comptables et les petits arrangements bancaires du président Hachami ont été facilités par Nadia Fadda, directrice d’agence de la Banque Populaire à Casablanca, qui pour être l’amie intime du président, fera une entrée tonitruante dans les arcanes de la fédération. « Elle se comportera comme la maitresse de la maison FRMALS et sera de toutes les manifestations fédérales », assurent nos sources. Nommée trésorière sans consultation des membres du bureau, « elle a débarqué au 5ème championnat arabe et 1er championnat africain de Taroudant des besaces d’argent sous le bras pour payer directement les fournisseurs locaux, comme au souk », ajoutent ces mêmes sources. Disposant d’une voiture de location durant plusieurs semaines aux frais de la fédération, celle-ci avait obtenu l’ouverture de deux comptes bancaires de la FRMALS aux dépens de celui existant et rémunéré à la Trésorerie générale du royaume.
En 2016, Hachami lui créera même un club à Khouribga pour lui permettre de siéger en tant que membre au bureau fédéral alors que la ville ne disposait ni de terrain d’aviation, ni de relief pour le parapente. Qu’à cela ne tienne, ce club pop-up recevra quelques largesses du groupe OCP et profitera d’un périmètre militaire et du kérosène de l’armée…
Une fédération noyautée et biberonnée par la Haraka
La FRMALS se doit d’être politiquement neutre conformément à ses statuts, à la loi sur les associations ainsi qu’à la loi sur l’éducation physique. Les faits prouvent cependant le contraire.
Depuis qu’il en a pris la présidence en décembre 2011, Hachami l’a en réalité placé sous la tutelle de son parti, le Mouvement populaire. L’influent homme d’affaires y a introduit Mohamed Aït Hassou, un juriste novice en sports aéronautiques, bombardé secrétaire général de la fédération, et pour qui il a créé de toutes pièces un club fantoche et sans activité connue dans son fief de Boutaghrar à Kelaat M’gouna.
En 2012, Hachami organisait un « festival de parapente » au Jbel Tialouite non loin de son village natal. Il a pour se faire usé de grands moyens pour terrasser le terrain avec le soutien de la région dans l’espoir perdu que le site devienne la Mecque de la discipline au Maroc.
Invités aux agapes, le ministre harakiste des Sports Mohammed Ouzzine était flanqué de ses camarades de parti, Lahcen Haddad, alors ministre du Tourisme et Said Ameskane. La manifestation fera un flop, elle était en réalité montée et financée sur les fonds de la fédération pour servir les ambitions politiques d’ Hachami dans sa région…Anecdote croustillante et révélatrice surtout de la mégalomanie du président, celui-ci, s’inspirant des Icare de la fédération française, ira jusqu’à éditer une monnaie de singe, le « M’goun » qu’il a imposé à un marché improvisé de produits du terroir. Une initiative aussi illégale que burlesque qui s’est terminée par un lamentable et coûteux fiasco…
Tout cela n’a pas empêché, loin s’en faut, le ministère de tutelle, sous la coupe de la Haraka, d’être aux petits soins avec son protégé, décuplant ses subventions à la FRMALS tout en fermant les yeux sur ses turpitudes malgré la multiplication des plaintes reçues. Et pour redorer son blason, un journaliste de l’organe du parti, nommé attaché de presse de la fédération, sera rémunéré pour faire de l’activisme sur les réseaux sociaux allant jusqu’à relayer les activités partisanes du Mouvement populaire sur la page Facebook de FRMALS…
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