ReportageFumées sur la ville: la décharge de Médiouna se fait toujours sentir
Sur la portion de route qui relie Casablanca à Médiouna et qui borde sur plusieurs dizaines de mètres la plus grosse décharge de la région, l’air est devenu irrespirable. Se dissipant à peine entre les arbres et la plaine, une épaisse fumée grise et âcre se dégage sans discontinuer de plusieurs petits foyers visibles sur les montagnes d’ordures qui s’étalent à perte de vue. Dans leurs voitures, les automobilistes mettent un grand coup d’accélérateur en fermant leurs fenêtres à la hâte.
Ouverte en 1986, cette décharge qui devait initialement être fermée en 2010 est aujourd’hui au cœur d’une bataille judiciaire entre son ancien gestionnaire Ecomed et la commune de Casablanca, accusée de ne pas avoir livré de terrain à temps pour la construction d’une nouvelle décharge plus responsable. Fin juillet, c’est donc la société SOS-NDD qui a pris en charge sa gestion en attente d’un nouveau délégataire, alors que chaque jour arrivent encore 6 000 tonnes de déchets.
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Devant la petite maison d’un douar collé à la décharge, Ayoub, la trentaine et les mains noircies par le travail, fume une cigarette en pointant d’un coup de menton les voitures garées ici, « tout ça c’est les gens qui viennent travailler à la décharge, comme moi » dit-il, « certains font brûler les câbles en plastique pour récupérer les métaux comme le cuivre à l’intérieur ». Sur les montagnes d’ordures, ils seraient entre 1 500 et 2 000 à venir quotidiennement récupérer les matériaux revendables.
Circulez, il n'y a rien à voir...
Au bout de dix minutes à déambuler entre les détritus, Ayoub marque une pause et fronce les sourcils « je crois que le moqqadem arrive ». Non loin, une grosse voiture rouge s’arrête et un homme en descend. Cordialement, celui-ci explique que la décharge est un sujet sensible en ce moment et qu’il vaudrait mieux ne pas faire de photos ni rester ici à parler avec les travailleurs : « Je vais vous raccompagner, allez devant, on vous suit ». Dans la ville-même de Médiouna, les camions bennes se font peu voir.
A la terrasse d’un café du centre, un habitant constate « dès qu’il fait chaud et qu’il y a plusieurs jours de soleil, l’odeur n’en est que plus insupportable ». Par chance, ces derniers jours ont vu quelques gouttes de pluie tomber sur une vingtaine de kilomètres à la ronde, malheureusement trop peu pour éteindre les foyers allumés sur les collines de déchets.
A une quinzaine de kilomètres de la décharge à Bouskoura, « la ville verte », les habitants des quartiers résidentiels sont eux aussi victimes des fumées nauséabondes dégagées par le site de traitement des déchets. Il se dit même que plusieurs habitants de ces villas pourtant luxueuses ont décampé après quelques étés à subir ces odeurs le soir et la nuit. Derrière un petit portail de fer, un retraité nous ouvre sa porte, « c’est très grave » commence-t-il, « ça n’a pas toujours été comme ça, mais aujourd’hui ces odeurs et ces fumées nous parviennent presque quotidiennement, surtout le soir et à la nuit tombée ». Quand cet homme s’est installé il y a cinq ans dans l’une des allées cossues du Golf City de Bouskoura, il n’imaginait pas que ces nuisances puissent un jour avoir un impact sur sa santé. « Si vous sortez la tête dehors au moment où les fumées sont là, comptez entre quinze et vingt minutes avant d’avoir le cœur qui s’emballe et du mal à respirer », dit-il en caressant son chien du bout de la main. « Pour les enfants, c’est encore pire ! Je sais que des voisins dont les enfants étaient asthmatiques ont du déménager. Ca fait bien deux ans qu’il y a des pétitions, mais rien ne bouge vraiment ».
Dans une maison voisine, un habitant décrit les mêmes symptômes le soir venu, « vous êtes obligé de fermer vos fenêtres pour pouvoir vivre convenablement, ça n’est pas normal ». Cet agent immobilier installé ici depuis 2013 voit dans la gestion de ce dossier un problème avant tout financier, « les fonds de la région ont été ces dernières années mobilisés pour la station de traitement des eaux usées ou pour le pont, mais on peut espérer d’ici la fin de l’année se voir débloqués les investissements nécessaires à l’ouverture d’une nouvelle décharge ».
Des promesses toujours non tenues
Entre les villes de Médiouna et de Bouskoura, la solidarité est de mise selon Hanane Bouzil Souaidi, à l’origine d’un collectif d’habitants contre la décharge, qui rassemble plus d’une dizaine d’associations locales. « En 2017, l’odeur s’est fortement accentuée. Nous avons donc tenté de saisir les autorités sur ce problème d’ordre public avec des associations de Bouskoura et de Médiouna, ainsi qu’avec les parents d’élèves des écoles aux alentours ». Chez eux, les dégagements de la décharge ont été très vite suivis de questionnements. « Nous sommes allés voir le Wali de Casablanca à l’époque, qui nous avait promis que la décharge serait fermée d’ici deux ans ».
Deux ans plus tard, toujours aucun changement en vue et des déchirements internes dans la gestion du site retardent encore un peu plus l’ouverture d’un nouveau lieu plus respectueux de l’environnement. Ce que déplore la fondatrice de cette association, c’est le flou dans lequel les habitants sont plongés, « une question à laquelle on est incapables de répondre c’est : Qui décide ? Casa Prestation nous dit la commune, la commune ne nous donne que des réponses très vagues… ». Encore une fois, il est rapporté que des habitants de la Ville verte veulent partir à tout prix, « récemment une personne m’a appelé pour me dire qu’elle voulait partir, mais qu’elle s’était endettée sur vingt-cinq ans pour payer sa maison », confirme Hanane.
« C’est une véritable bombe écologique » dit-elle, révoltée par le temps qui passe sans que rien n’évolue. La charte du Collectif pour la protection de l’environnement, adressée aux autorités et signée par plusieurs des associations locales, rappelle ces dangers pour la santé des habitants des zones concernées car « oui, c’est aussi un problème de santé ». « La qualité de l’air est détériorée et toxique, les lixiviats sont à l’origine d’une pollution de la nappe phréatique », souligne cette charte. Les lixiviats, ce sont les liquides dégagés par le passage de l’eau de pluie sur les ordures, plus communément appelés « jus de décharge ». Leur composition en métaux lourds menace directement les écosystèmes présents autour de Médiouna, aussi bien que les terres agricoles.
Collées à la décharge, de grandes mares nauséabondes qui bordent la route attirent en effet les mouettes, alors qu’à deux pas paissent quelques bêtes de troupeaux. En janvier dernier, Khalid Safir, wali directeur général des collectivités locales, avait promis au Collectif la fermeture de la décharge pour décembre 2018, après la construction d’une nouvelle station de traitement des déchets qui n’a encore pas vu le jour à l’heure actuelle. « Je n’y crois plus », conclue la fondatrice du collectif, dépitée. Plus déterminés que jamais, les habitants et associations locales prévoient donc désormais d’intensifier leur action, afin de mobiliser et faire entendre leur voix à un public plus large.
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