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Lutte socialeDans le Souss, le projet d’un parc naturel inquiète les populations locales

22.05.2024 à 02 H 03 • Mis à jour le 22.05.2024 à 02 H 04 • Temps de lecture : 9 minutes
Par
Essaouira
Le projet gouvernemental de création du Parc naturel national de l'Anti-Atlas Occidental d’une superficie de plus de 111 000 hectares englobant de nombreux douars des provinces de Chtouka Ait Baha, Taroudant et Tiznit suscite la mobilisation de la population locale qui y voit un simple processus de confiscation de leurs terres

La décision du ministère de l'Agriculture, de la Pêche, du Développement Rural, des Eaux et Forêts d'ouvrir une enquête publique concernant la création du Parc naturel national de l'Anti-Atlas Occidental sur une grande partie des propriétés revendiquées par les habitants de 13 collectivités rurales situées dans les provinces de Chtouka Ait Baha, Taroudant et Tiznit a suscité une vague de protestation parmi la population locale.


Ce projet, que le ministère de l'Agriculture entend implanter sur un vaste territoire dépassant les 111 000 hectares, s'inscrit dans la « Stratégie Forêts du Maroc 2020-2023 », dans sa partie liée au développement des parcs nationaux et des aires protégées.


Selon cette décision, un examen public est mené depuis le 20 mai jusqu’au 19 août, conformément au contenu du décret n° 2.18.242 du 27 avril 2021 relatif à la mise en œuvre de certaines exigences de la loi n° 22.07 relative aux aires protégées.


Dans ce contexte, les associations de la société civile de la tribu Id Ouknidif de la province Chtouka Ait Baha ont estimé, dans un communiqué publié au début de ce mois, que la résolution n°3267.23 parue au Journal Officiel (JO) du 14 mars 2024, « viole le caractère sacré du droit de propriété », soulignant que celle-ci ne tenait pas compte du fait que ces « terres ciblées ont été héritées par les habitants de la région de leurs ancêtres et sont des terres privées », en plus d'être « l'unique source de leurs revenus, de leur subsistance quotidienne, la source du lit d’eau dans lequel ils s’abreuvent et le seul endroit où faire paître leur bétail ».


Des associations tribales, qui regroupent plus de 72 douars, ont dénoncé ce qu'elles qualifient de « gestion unilatérale » de ce projet par la prise d’une « décision arbitraire, enracinée dans une logique de contrôle et d'oppression, de transformer de vastes zones de montagnes peuplées en parc naturel, sous prétexte de protéger la biodiversité ».


Ce collectif a indiqué que cette mesure « restreindrait le statut foncier » des terrains qui engloberont le parc naturel, « ce qui est en violation de la loi n° 22.07 relative aux aires protégées », qui stipule parmi ses dispositions que « le droit d'usufruit des terrains situés dans l’enceinte des parcs nationaux doit être exercé sans apporter de changement ou modification à l'état ou à l'apparence extérieure dans lesquels ces terres existaient au moment de la création de ces parcs ».


« Une décision qui ne date pas d’aujourd’hui »

Hajj Ibrahim Afoaar, chef de la Coordination Adrar Souss-Massa, a exprimé dans une déclaration au Desk le rejet par son instance de cette décision, qu'il considère « non pas comme un fait d'aujourd'hui, mais plutôt le résultat de pratiques antérieures, à commencer par l’introduction du sanglier sauvage, le blocage de l’accès pour les habitants aux moyens de subsistance agricoles spécifiques à la région, puis le surpâturage qui les terres, conduisant à la décision de lancer une enquête publique pour créer le parc naturel national de l'Anti-Atlas Occidental ».


Les associations de la société civile de la région ont, d’après Afoaar, soumis des plaintes et des doléances au ministère de l'Agriculture et comptent recourir au Tribunal administratif et à l'institution de médiation au cas où le ministère ne répondrait pas positivement aux demandes des habitants qui rejettent cette « décision injuste visant à les déplacer de la région ».


Le même porte-parole a souligné que cette décision, parue au JO « prévoit d'interdire aux habitants de disposer de leurs terres et de les clôturer, et d'imposer des sanctions financières allant de 1 000 à 10 000 dirhams à tout contrevenant », ce qui constitue, selon lui, une « amende fatale » pour toute la région.


De son côté, Omar Fourat, avocat au Barreau de Rabat, a estimé que le problème posé par ce projet est que le ministère de tutelle a choisi une zone montagneuse et peuplée, qui comprend 13 collectivités territoriales, alors qu'il aurait pu établir le parc dans une zone forestière déserte de toute occupation humaine.


La décision émise par le ministère de l'Agriculture fait référence à la loi 22.07 relative aux aires protégées, qui est venue modifier la loi sur les parcs naturels, promulguée en 1934, pendant la période coloniale, à laquelle le ministre de l'Agriculture a fait référence, selon lui. Selon le même interlocuteur, « les propriétaires sont ainsi dessaisis de leurs biens à la publication de la décision au JO ». En clair, « ils n’ont plus aucun recours à la jouissance de leur propriété privée sauf autorisation de l’Agence Nationale des Eaux et Forêts (ANEF) qui supervise le projet, et en cas de violation de cette décision, les résidents s’exposent à des sanctions financières ou autres les privant de leur droit ».


Forat a ajouté que toutes les activités agricoles, pastorales et paysannes seront menées conformément au projet d’aménagement du parc, ce qui signifie que « les habitants ne pourront plus disposer librement de leurs terres ».


L'autre problème, selon la même source, est que la loi permet à l'administration du parc de déléguer sa gestion au profit d'entreprises privées ou d'entrepreneurs étrangers à la région, qui pourront l’exploiter soit pour la pêche sportive, la villégiature, ou toute autre activité à caractère de loisir ou de tourisme.


Des partis d’opposition en soutien

Le Parti du progrès et du socialisme (PPS) s'est saisi de ce dossier par l'intermédiaire de sa députée à la Chambre des représentants, Khadija Arouhal, qui a exigé que le ministère compétent « divulgue les garanties juridiques accordées aux habitants de la zone de l'Anti-Atlas Occidental concernée par le projet de parc naturel quant à leurs droits de propriété et d’exploitation foncière ».


Arouhal a indiqué, dans une question écrite adressée au ministre de l'Agriculture, Mohammed Sadiki, que même si les habitants concernés peuvent être informés du dossier de création de ce parc naturel au siège des collectivités territoriales appartenant à la zone qui les concerne et qu'ils puissent enregistrer leurs observations à ce sujet, les données disponibles sur le foncier visé « sont limitées ». Elle souligne « l'absence de communication officielle sur ce projet », qui a contribué à « une méconnaissance de la question et à la diffusion d'informations peu fiables parmi la population », ce qu'elle considère comme « normal » en raison de leurs craintes pour leurs propriétés foncières et leurs intérêts économiques.


La parlementaire a souligné que cette situation « nécessite d'apporter des garanties juridiques aux résidents concernés pour que leurs droits de propriété et d'exploitation des terres ne seront pas violés, et de lancer un vaste processus de consultation au niveau des groupes concernés sous le contrôle des autorités locales et des élus ».


De son côté, le Parti Socialiste Unifié (PSU), branche Ait Baha, a fait part de son rejet de la création du parc. La formation politique de gauche estime que cette initiative constitue « un prélude à la saisie des terres des habitants des tribus amazighes de la région et à leur déplacement forcé ». Le parti apporte ainsi son soutien aux habitants du district montagneux d'Ait Baha « dans toute mesure qu'ils entendent prendre pour mettre fin au processus d’usurpation des terres de la population qu'ils ont héritées de leurs ancêtres il y a des siècles ».


Le PSU a estimé que la création de ce parc revient à « soustraire le droit de propriété aux habitants et à les empêcher de réaliser toute action sur ces terres, en échange de leur accorder la possibilité de leur usage, qui reste temporaire ». Un protocole dépendant donc du bon vouloir de l’Etat « qui peut à tout moment les acquérir de leurs propriétaires d'un commun accord ou dans le cadre d'une expropriation ».


Le parti a appelé l'État à mettre en œuvre la recommandation issue de la discussion du rapport du Maroc devant le Comité de discrimination raciale en novembre 2023 relative à la protection des Amazighs contre la confiscation de leurs terres et les déplacements forcés, et à restituer les terres confisquées à leurs propriétaires d'origine tout en garantissant le droit des victimes de spoliation à accéder à la justice tout en activant l’approche participative à travers des consultations efficaces avec les personnes concernées avant d’autoriser tout projet de développement ou toute exploitation de ressources naturelles qui affecterait leurs terres.


« Il n'y a pas d'identité sans terre »

Abdallah Bouchart, chercheur et militant amazigh, avance que le but derrière la création de ce parc « n'est pas de préserver la biodiversité, le patrimoine naturel, la faune, etc., mais plutôt de préparer le terrain à des investissements, ou ce que la loi appelle développement, ce qui pose des questions sur l'orientation stratégique et les objectifs réels de ce projet ».


Le chercheur a souligné que « la nature de l'identité et de l'existence des Amazighs est incarnée par la terre, tout comme elle est incarnée par la liberté. Il n'est pas possible de parler de la personne amazighe sans la présence de la terre et de la liberté. Le parc naturel menace la propriété foncière et la liberté de l'homme de disposer et d'exploiter ses biens et ses terres ». Pour lui, le discours de l'administration de tutelle, son souci environnemental et la préservation de l'arganier et de la forêt, ne sont que « des slogans creux, car sinon comment l'arganier a-t-il pu survivre des milliers d'années en présence de l'homme amazigh dans le Souss si ce dernier constituait pour lui une menace ? ».


 « Afin de pérenniser ces ressources de manière rationnelle, l'esprit amazigh a établi un système juridique strict et intelligent pour les préserver et les maintenir de manière démocratique et équitable, à savoir les lois Agdal, les lois sur les pâturages et les lois sur la distribution de l’eau », poursuit le militant, affirmant pour conclure que « ces lois, que certains appellent coutumes, grâce auxquelles l'eau des oasis, des rivières, des puits et des lacs a perduré, tout comme l'arganier et ses environs forestiers, ont été édictées et légiférées de manière libre et équitable. Par conséquent elles sont vénérées par les communautés, ce qui n’est pas le cas d’une législation adoptée de manière bureaucratique qui ne garantit que les intérêts d'un petit nombre qui les imposent au peuple sans délibération, partage ou même liberté d’opinion ».

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