ExtrémismeCellule terroriste des « Lions de la Khilafa » : une connexion directe avec Daech au Sahel

Moins d’un mois après le démantèlement de la cellule terroriste des trois frères à Had Soualem, qui a mis en lumières de nouvelles facettes du modus operandi de ces réseaux, une nouvelle cellule liée à la branche de Daech au Sahel a été démantelée le 19 février. Une impressionnante opération ayant pris lieu dans neuf villes, à savoir Laâyoune, Casablanca, Fès, Taounate, Tanger, Azemmour, Guercif, Oulad Teïma et Tamesna avec des interventions simultanées, dont trois au niveau de la capitale économique, a permis d’arrêter 12 des membres de cette cellule.
Pareillement à la cellule démantelée en janvier, ces individus planifiaient un plan terroriste « d'une extrême gravité » visant le Maroc, indiquait un communiqué du pôle Direction générale de la sûreté nationale – Direction générale de la surveillance du territoire (DGSN-DGST). Or, cette fois-ci, le plan a été orchestré et encouragé directement par un haut responsable de l'organisation terroriste Daech dans la région du Sahel africain, selon la même source.
Dans une conférence de presse tenue ce 24 février, le Bureau central d'investigation judiciaire (BCIJ) est revenu sur ces arrestations. Son directeur, Habboub Cherkaoui, ainsi que Abderrahman El Yousfi Alaoui, chef du département technique et de la gestion des risques ont présenté davantage de détails sur cette cellule, dont l’organisation ainsi que le mode d’opération rappelle ceux identifiés depuis près de deux décennies.
Le téléguidage du terrorisme
Les investigations et le suivi des activités de cette cellule terroriste baptisée par ses membres "Les Lions de la Khilafa au Maghreb Al Aqsa" se sont poursuivis pendant toute une année. Cela n’a non pas seulement abouti aux arrestations, mais a permis au BCIJ d’étudier les tactiques adoptées par Daech pour s'implanter au Maroc. Un pays jusque-là resté hors sa portée, malgré une présence de plus en plus renforcée et élargie en Afrique.
Pour concrétiser leurs plans au Maroc, ces organisations semblent cibler des personnes partageant un ensemble de caractéristiques de sorte qu’un « profil-type » émerge plus ou moins : âgées de 18 à 40 ans, les recrues ont, comme les membres de la cellule des trois frères un niveau d’éducation limité et sont issues de milieux sociaux modestes. « Concernant leur profil, il a été relevé que 8 d'entre eux n'ont pas dépassé le niveau secondaire, 3 ont un niveau primaire, et seulement un a atteint la première année universitaire. Sur le plan social, seulement deux membres sont mariés et ont des enfants, tandis que la majorité d'entre eux exerçaient des métiers modestes et occasionnels », souligne le directeur du BCIJ.
Outre le nombre des personnes impliquées ou encore l’étendue géographique de leur réseau, un point particulier est souligné quant à cette opération : le plan que préparaient les membres de cette cellule a été orchestré sous l'instigation directe d'un haut dirigeant de Daech opérant dans la région du Sahel, dénommé Abderrahmane Assahraoui, de nationalité libyenne. Les enquêtes préliminaires révèlent, par ailleurs, que les membres de cette cellule terroriste étaient étroitement liés à des opérationnels du Comité des opérations extérieures relevant de la branche sahélienne de Daech, sous l'ex-émir Adnan Abou Walid al-Sahraoui, aujourd'hui décédé.
La dangerosité de cette cellule réside aussi dans le fait qu'elle s'inscrit dans un projet de la "wilaya" de Daech au Sahel visant à établir une branche au Royaume. Ce constat est confirmé par le procédé de gestion de cette cellule par le Comité des opérations extérieures de la branche sahélienne, qui a instruit les membres de la structure démantelée de constituer un comité restreint pour coordonner avec lui les plans terroristes, leur exécution et la transmission des ordres aux autres éléments.

« Les mêmes investigations révèlent que le projet terroriste des membres de cette cellule a reçu la bénédiction de cette branche sahélienne. En effet, ils ont récemment reçu un enregistrement vidéo les incitant à passer à l'action, ce qui indique le passage imminent à la phase d'exécution d'opérations malveillantes », fait savoir le patron du BCIJ. Dans ce sillage, Cherkaoui souligne qu’« établir une antenne au Maroc demeure un projet stratégique pour la branche de Daech au Sahel », souligne le patron du BCIJ. « Le Maroc reste une cible prioritaire dans l'agenda de tous les groupes terroristes actifs dans la région du Sahel », ajoute le responsable.
D’importantes munitions d’armes saisies
Les "Lions de la Khilafa au Maghreb Al Aqsa" étaient ainsi sur le point de passer à l’action et mener leur plan multi-facettes visant « de multiples cibles et sites, à travers des opérations prenant différentes formes », souligne le BCIJ, sans pour autant donner plus de détails. Les perquisitions et fouilles menées dans le cadre de cette opération ont permis, dans un premier temps, de saisir un grand nombre d'équipements et de matériaux destinés « à la préparation d'un projet terroriste imminent et de grande envergure (…) Parmi ces éléments figurent des engins explosifs prêts à être actionnés, des substances suspectes entrant dans la confection d'explosifs, ainsi que des armes blanches », détaille Abderrahman El Yousfi Alaoui, chef du département technique et de la gestion des risques.
Ensuite, c’est toute une cache d’armes qui a été découverte. « Certains membres de cette cellule, chargés de la coordination, détenaient des coordonnées GPS et des adresses précises (…) Ces armes étaient destinées aux membres du groupe pour exécuter leurs plans macabres », indique-t-on. Pour rappel, c’est dans la province d'Errachidia, précisément sur la rive orientale d’Oued Guir, à Tel Mzil, dans la commune et circonscription d’Oued N'aâm, située dans la région de Boudnib, sur le tracé frontalier dans l’Oriental que cette cache a été localisée.
Située au pied d’un relief rocheux, « difficile d’accès », il était quasi-impossible de localiser cette cache sans les coordonnées GPS, connues de deux membres. La cache comprenait deux fusils d’assaut de type Kalachnikov avec deux chargeurs, deux fusils de chasse, dix pistolets de différents calibres, en plus d’une importante quantité de cartouches et de munitions de divers calibres. « Ces munitions étaient emballées dans des sacs en plastique et des journaux imprimés au Mali, parmi lesquels figuraient des hebdomadaires datés du 15 et 27 janvier 2025 », note-t-on. L’expertise balistique effectuée par des experts de l’Institut des sciences forensiques de la DGSN a relevé que ces armes « sont en bon état de fonctionnement et que leurs numéros de série ont été intentionnellement effacés afin de cacher leur origine. De plus, les canons de certaines d’entre elles ont été sciés pour faciliter leur dissimulation et leur transport ».

La nature des explosifs saisis au départ, comprenant des cocottes-minutes et des bonbonnes de gaz remplies de substances chimiques sous forme de poudre, ainsi que de clous métalliques « pour diffusion à une plus grande échelle et des dégâts humains plus importants », liés par des tuyaux PVC et connectés à des téléphones mobiles, indiquait que les membres de cette cellule comptait mener des attaques à distance, sans pour autant entreprendre des actions suicidaires. Les armes découvertes ensuite dans la cache, indiquent qu’ils se préparaient aussi à mener aussi d’autres attaques selon la technique du loup solitaire « qui auraient visé probablement des agents de sécurité et de l’ordre », note El Yousfi Alaoui.

La découverte de la cache d'armes dans la région d'Errachidia rappelle la cellule d'Amgala, liée à Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), souligne pour sa part Cherkaoui. Démantelée en janvier 2011, cette cellule « disposait également d'un dépôt d'armes lourdes situé à 220 km de Laâyoune, accessible uniquement via le système de géolocalisation fourni à un seul individu. Ce procédé est identique à celui adopté par la présente cellule, constituant ainsi un point commun entre les deux structures, en plus de leur gestion à distance », explique le patron du BCIJ.
Des menaces tant exogènes qu’endogènes
Très peu de détails sont donnés sur les chemins parcourus par la branche sahélienne de Daech pour acheminer les armes au Maroc, devant le refus du BCIJ de confirmer si, au vu de la proximité de la frontière orientale du royaume de la cache découverte, l'Algérie aurait constitué un point d’entrée. Toutefois, l’identification de ces trajectoires semble être d’une grande importance. Quoi qu’il en soit, « si l'enquête se poursuit pour déterminer d'éventuels liens supplémentaires des membres de cette cellule et révéler ses ramifications transfrontalières potentielles, il est essentiel de souligner que cette opération sécuritaire confirme la tendance des branches africaines de Daech à internationaliser leurs activités, sous la relance des opérations extérieures, orchestrées par la matrice mère », étaye Cherkaoui.
La région du Sahel et de l'Afrique subsaharienne est actuellement considérée « comme le théâtre d'activités terroristes intenses, profitant de plusieurs facteurs favorables à leur survie », alerte le directeur du BCIJ. Le Maroc, où ces organisations continuent leurs tentatives pour établir une présence à travers des individus recrutés, guidés et entraînés à distance par des dirigeants de haut-niveau de Daech au Sahel, se retrouve ainsi face à une « combinaison de menaces terroristes exogènes et endogènes », souligne le responsable, insistant que « le démantèlement de cette cellule, peu de temps après la neutralisation de celle des trois frères à Had Soualem, toutes deux marquées par l’influence externe en termes de recrutement, d’endoctrinement idéologique et opérationnel, montre concrètement que le Maroc fait face simultanément à des menaces terroristes externes et internes ».
De plus, alerte encore Cherkaoui, « la convergence des activités de ces groupes terroristes avec celles de réseaux criminels constitue une menace réelle pour les pays de l'Afrique du Nord, ainsi que pour les États européens, dans un contexte où les dirigeants terroristes cherchent à démontrer leur capacité à s'adapter aux évolutions et revers subis dans certaines zones d’influence ».
Lire aussi : Comment le FBI et la DGST ont empêché un Américain de rejoindre des pro-Daech au Maroc
©️ Copyright Pulse Media. Tous droits réservés.
Reproduction et diffusions interdites (photocopies, intranet, web, messageries, newsletters, outils de veille) sans autorisation écrite.