ArbitragePotasse à Khemisset : Emmerson réclame officiellement 2,2 MM$ au Maroc devant le CIRDI

Ce 1er mai, la société minière britannique Emmerson PLC a officiellement déposé une demande d'arbitrage auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), affilié à la Banque mondiale. Cette action, dont elle avait préformulé la menace en novembre 2024, vise à contester ce que l'entreprise considère comme une expropriation de son projet de potasse à Khémisset, qu'elle évalue à 2,2 milliards de dollars (MM $) et dont elle réclame désormais au Maroc le remboursement intégral.
Le projet de Khémisset, situé à environ 90 km au sud-est de Rabat, est considéré comme stratégique pour Emmerson. Il s'agit du premier projet de potasse à l'échelle industrielle en Afrique, avec une production annuelle prévue de plus de 700 000 tonnes de muriate de potasse (MOP) sur une durée de vie de 19 ans. Le projet bénéficie d'une localisation avantageuse, à proximité des infrastructures portuaires et des marchés européens et africains.
Pour améliorer la durabilité environnementale du projet, Emmerson a développé le « Khemisset Multi-mineral Process » (KMP), une méthode qu’elle qualifie d’innovante de nature à réduire la consommation d'eau de 50 % et éliminer le besoin d'injection profonde de saumure. Cette technologie permet également la production de fertilisants à libération lente, tels que la struvite et la vivianite, adaptés aux besoins agricoles du continent africain.
Litige avec les autorités marocaines
Le différend entre Emmerson et le gouvernement marocain a émergé après que la Commission régionale unifiée de l'investissement (CRUI) a émis un avis défavorable concernant l'évaluation environnementale du projet, principalement en raison de préoccupations liées à la consommation d'eau. Auparavant, la Commission ministérielle de pilotage a invité la société à mettre à jour son EIES pour intégrer les optimisations découlant des changements de procédé KMP, qui incluent une réduction significative de la consommation d'eau et la suppression de la nécessité d'éliminer des saumures usagées et de le soumettre à nouveau à l’examen de la CRUI. Emmerson avait par la suite finalisé ces mises à jour et soumis à nouveau ce qu'elle espère être la dernière version de l'EIES. Sans succès.
Emmerson a tenté de contester cette décision négative auprès du wali de la région, mais son recours a été jugé irrecevable.
Face à l'impasse, Emmerson a engagé des discussions avec les autorités marocaines pour résoudre le différend à l'amiable. Cependant, en l'absence de progrès significatifs, l'entreprise a décidé de recourir à l'arbitrage international, invoquant des violations du traité bilatéral d'investissement signé entre le Royaume-Uni et le Maroc en 1990, entré en vigueur en 2002.
La société avait aussi conclu en parallèle un protocole d'accord non contraignant et non exclusif avec Hexagon Group AG pour l'approvisionnement de certains des nouveaux produits fertilisants issus de KMP. Selon ces termes, Hexagon accepterait jusqu'à 300 000 tonnes métriques de produits à base de struvite et 50 000 tonnes par an de produits à base de vivianite, livrables depuis les ports de Casablanca, Jorf Lasfar ou Safi. Suite au dépôt d'une demande de brevet pour les nouveaux procédés KMP au Royaume-Uni en septembre 2023, Emmerson a également déposé une demande au Maroc au cours du deuxième trimestre 2024.
En phase de pré-litige devant le CIRDI, Emmerson avait gratifié sa direction d’un certain nombre d’actions. Elle avait annoncé début janvier une nouvelle émission d’actions et de droits supplémentaires destinées à son conseil d’administration et à sa direction.
Procédure d'arbitrage financée à 11,2 M $
La demande d'arbitrage déposée officiellement par Emmerson marque le début formel du processus devant le CIRDI. L'entreprise est représentée par le cabinet d'avocats Boies Schiller Flexner et a sécurisé un financement de 11,2 millions de dollars (M $) pour couvrir les frais juridiques liés à cette procédure. La constitution du tribunal arbitral et la soumission des mémoires devraient s'étendre sur une période d'environ deux ans.
« La finalisation et le dépôt de la demande d'autorisation auprès du CIRDI constituent une étape importante et marquent le début officiel de la procédure contentieuse », a déclaré le directeur général, Graham Clarke.
Il a ajouté : « En tant que groupe, nous restons confiants quant au bien-fondé de cette affaire. Nous serons ravis de vous fournir de plus amples informations en temps voulu. »
Ce litige met en lumière les défis auxquels sont confrontés les investisseurs étrangers au Maroc (lire notre dernier état des lieux des affaires en cours), notamment en matière de régulation environnementale et de sécurité juridique. Il soulève également des questions sur l'équilibre entre attractivité des investissements et protection des ressources naturelles, dans un contexte où le Maroc cherche à renforcer sa position en tant que hub régional pour les industries minières et agricoles.
Emmerson, de son côté, affirme avoir toujours respecté les normes environnementales les plus strictes et espère parvenir à une résolution équitable de ce différend, tout en continuant à promouvoir le développement durable de son projet à Khémisset.
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