Les efforts déployés pour réglementer et contrôler l’exploitation des carrières n’ont pas tout à fait permis de rompre avec les irrégularités qui entachent ce secteur. Voici en gros ce qui ressort du récent avis rendu par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur « les mécanismes d’autorisation et de contrôle d’exploitation des ressources naturelles - Cas de l’eau et des carrières ».
Bien que les mises à jour réglementaires se soient enchaînées depuis quelques années en vue de maîtriser l’exploitation de ces ressources naturelles, les effets de celles-ci peinent à se traduire en réalité. Dans ce sens, le CESE avance un chiffre alarmant : entre 50 % et 60 % des matériaux extraits sont commercialisés de manière informelle, alors que des carrières non-déclarées subsistent et que bon nombre des carrières autorisées qui pratiquent la fraude et la sous-déclaration.
Selon le CESE, les efforts des pouvoirs publics sont louables, dans la mesure où ils ont veillé à serrer la vis face aux pratiques illicites tout en fluidifiant les procédures en faveur des investisseurs. Cependant, la mise en œuvre des nouvelles règles reste confrontée à de multiples contraintes, dont notamment l’insuffisance des capacités humaines et opérationnelles (à peine 60 agents de police des carrières) pour mener les missions de contrôle et de suivi, ce qui permet la poursuite de nombreuses pratiques comme l’exploitation à outrance des sites ou encore le maintien de conditions de travail non-conformes.
Les manifestations de cette disruption entre l’effort législatif et la mise en application sont nombreuses. Parmi elles, le conseil que préside Ahmed Reda Chami cite la non-application de la loi 49-17 sur l’évaluation environnementale en raison des retards de la promulgation des décrets d’application, ce qui ouvre la voie pour le non-respect des conditions d’octroi des autorisation, des cahiers de charge, ainsi que des études de l’impact environnemental. Au même titre, le rapport relève l’abandon des sites sans réaménagement ou à la suite d’un réaménagement non-conforme en fin d’exploitation ce qui entraîne des problèmes pour la remise en état des anciennes carrières.
Un autre exemple dans ce cadre concerne la prolifération des activités informelles. Si la mise en place de l’inventaire national des carrières constitue un important mécanisme de contrôle administratif, le système d’information sur les carrières actuellement en place « demeure rudimentaire et ne permet pas de disposer d’une base de données renforçant la gouvernance du secteur, notamment en ce qui concerne l’accès rapide et facile aux informations, la mise à jour des données existantes en fonction de l’évolution du secteur et la ventilation des données par régions, etc. », souligne l’avis.
De plus, un important mécanisme de contrôle peine à voir le jour : les schémas régionaux de gestion des carrières, dont le rythme actuel de l’élaboration est considéré comme « lent ». « En effet, la publication de ces schémas au bulletin officiel par décret, comme le stipule la loi n° 27.13, n’a pas encore eu lieu, ce qui entraine un retard dans l’application de ladite loi, affectant ainsi l’efficacité des mécanismes d’autorisation et de contrôle de l’exploitation », étaye le CESE.
Le pillage de sable, une pratique qui perdure
Ainsi, entre la lenteur de l’achèvement du cadre réglementaire et les limites de la mise en œuvre, les sables marocains demeurent la proie d’une exploitation anarchique. En effet, comme souligné par plusieurs rapports précédents, plus de 50 % du sable utilisé dans la construction au Maroc (10 Mm3 /an), provient de l’extraction illégale de sable côtier. Et cette réalité n’est pas méconnue des Marocains, dont plus des deux tiers (68,4 %) déplorent le manque de transparence et d’équité et d’égalité au niveau des mécanismes d’autorisation/contrôle, selon les résultats de la consultation lancée par le CESE à travers la plateforme de participation citoyenne ouchariko. ma au cours de l’élaboration de cet avis.
Les résultats de ce sondage mettent en lumière la frustration des Marocains, dont la majorité (47,4 %) considèrent que les mécanismes d’autorisation/contrôle n’ont qu’un impact limité, voire inexistant selon 37 % d’entre eux. Ils relèvent par ailleurs les inquiétudes quant à la protection des ressources naturelles, plus de la moitié (58,3 %) des sondés estimant que l’ensemble de ces mécanismes sont inefficaces. Interrogés sur les impacts positifs de ce cadre réglementaire, les participants citent principalement la création d’emploi (32,3 %), l’amélioration des recettes fiscales (29,4 %) et la réduction des inégalités territoriales (21 %). Les impacts environnementaux ne sont cités à ce titre qu’au dernier lieu.
Partant de ce diagnostic, le CESE préconise de consolider le dispositif actuel, tout en garantissant la pleine mise en œuvre du cadre juridique régissant les mécanismes d’autorisation et de contrôle de l’exploitation. La finalité poursuivie est de renforcer la capacité du pays à assurer la durabilité de ses ressources naturelles et à renforcer sa résilience face aux crises futures.
L’auto-saisine du CESE a ouvert la voie à la concertation avec le département de tutelle : le ministre de l’Équipement et de l’Eau, Nizar Baraka, a eu des entretiens, le 7 juin à Rabat, avec Ahmed Reda Chami, autour des « mécanismes d’autorisation et de contrôle d’exploitation de l'eau et des carrières ».
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