
Chefchaouen, électrisante cité maure en pays Jbala
C’est peut-être lorsque Mark Zuckerberg en 2015, présentant de nouvelles fonctionnalités sur Instagram, a posté des images de Chefchaouen que la ville l’est devenue, avance Paris Match sur la foi de ses habitants à l'époque étonnés de cette publicité providentielle : « C’est la plus instagrammée des villes au monde ! », se plait aujourd'hui à dire son maire, Mohamed Sefiani, fier de sa « cité bleue » et de son lignage morisque qui remonte à sa fondation en 1471, puis par les vagues successives des familles andalouses dans le contexte de la Reconquista espagnole. Ou bien est-ce lorsque des revues prestigieuses comme Conde Nast Traveler ont commencé à l’inclure dans sa liste « des plus belles villes du monde », aux côtés de Jaïpur, Venise ou Dubrovnik, que sa renommée s’est ainsi faite sur le réseau social et au-delà ? Toujours est-il que la couleur bleu indigo a fait de Chefchaouen un des lieux les plus photographiés de la planète. Cette cité nichée dans les montagnes du Rif, au coeur du pays jbala, est devenue une des destinations phare du Maroc.

Avant la pandémie de Covid-19, la ville a eu un tel succès à l'international que les touristes chinois ont constitué la première cohorte des visiteurs devant les Espagnols, qui jusqu'ici tenaient le haut du pavé des visites. Conséquence insolite, des établissements se sont même spécialisés pour les recevoir...
Située à ses origines dans une enclave difficile d’accès dans le nord-est du pays et non loin de la Méditerranée, Chefchaouen (ou Chaouen) domina la route marchande entre Tétouan et Fès et servit de base pour limiter l’entrée et l’influence des Portugais de Ceuta, avant sa prise par les Espagnols.
C’est une région qui se caractérise par un paysage collinaire, des vallées encaissées et un couvert végétal typiquement méditerranéen.

La province de Chefchaouen s’étend sur une superficie de 3 443 km2, se caractérise par son activité touristique riche et importante à l’échelle nationale. Et ce grâce à sa situation géographique privilégiée, et son relief diversifié unissant à la fois, plages, montagnes et forêts.
Ainsi, elle abrite une centaine d’établissements hôteliers pour une capacité litière d’environ 2 500 lits, sans compter les non étoilés ou non référencés.
« Le secteur touristique possède toutes les caractéristiques qui peuvent faire de la province un pôle d'attraction pour les touristes une côte de 120 km donnant sur la Méditerranée, des forêts immenses avec des beaux paysages pour la chasse et les promenades, des montagnes, des sites touristiques naturels et historiques, une production artisanale diversifiée », note dans une récente monographie, le Haut-commissariat au Plan (HCP).
Accrochée à la montagne aux deux cornes (Jbel Ech-Chaouen), à 600 m d’altitude où les sommets du Rif atteignent plus de 2000 m, cette petite ville charmante de quelques dizaines de milliers d’habitants est un délice pour ses visiteurs...
...non seulement pour ses tarifs abordables, mais surtout pour sa vieille médina pittoresque, reconnaissable entre mille par ses venelles aux pentes escarpées, ses maisons aux splendides portes et aux patios fleuris, ses riads et boutiques aux façades blanchies à la chaux recouvertes de ce bleu électrique qui en fait sa particularité et son succès mondial.
Un bleu que l’on dit apporté par les réfugiés juifs qui ont vécu là pendant les années 30, rappelant celui du ciel et du paradis. Une affirmation apocryphe : « Est-ce que l’inspiration est venue du peintre-voyageur Majorelle et de son fameux bleu que l’on retrouve aussi dans certains lieux de Marrakech comme son jardin ? Ou alors des villes maritimes comme Essaouira, ou Asilah plus proche ? Nul ne sait vraiment. S’agissait-il de se référer au bleu des rivières descendant des montagnes ? Est-ce le bleu métaphysique des musulmans et des juifs ? », se questionne-t-on.
« Volonté de chasser les moustiques, hommage à l'eau s'écoulant de la montagne toute proche ou réalisation d'immigrants juifs dans les années 30, plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer le bleu qui orne les murs de Chefchaouen. Aucune ne fait toutefois l'unanimité ! », lit-on aussi dans les magazines.
Peu importe, il est, au-delà de son marketing territorial, d’une beauté saisissante qui contraste avec les verts pâturages du paysage montagnard la vallée du Laou qui embrasse la ville de toute part. C’est cette atmosphère irréelle et décontractée qui fait de Chefchaouen un lieu si attrayant pour les touristes.
Destination très populaire et quelque peu gentrifiée, il faut l’avouer, la « cité bleue » possède des hôtels et auberges qui conviennent à tous les budgets.
« Avec ses maisons construites à flanc de montagne, ses rues étroites et sinueuses et cette envoûtante couleur bleue qui recouvre la ville, Chefchaouen semble tout droit sortie d’un rêve », déclare Ashley Diamond du magazine Forbes qui l'a sélectionné parmi les 10 destinations envoûtantes de cette année.
« Cette capitale provinciale enchanteresse vous invite à flâner, à découvrir son riche patrimoine, à admirer les trésors architecturaux qui peuplent ses ruelles et à rencontrer ses habitants. »
Si cette destination est idéale pour les passionnés de culture et les voyageurs à la recherche d’expériences authentiques, comme se perdre dans la médina, elle attire les touristes par ses hébergements de qualité, extrêmement économiques et des établissements de plus haut standing.
Il y a aussi des gîtes d’étape pour les randonneurs et en trek, avec une agence spécialisée, chez l’habitant, ce qui en fait une alternative solide à une visite trépidante.

Les riads, souvent intimistes et colorés à souhait, offrent un service incroyablement personnalisé. Leur style à la fois authentique et moderne offrent tout le confort, rehaussé par un service méticuleux et des cartes culinaires tout en saveur.
Il en est de même pour les tables de la ville, de la cantine presque familiale aux restaurants offrant une cuisine fusion des plus sophistiquées. La gastronomie de Chefchaouen est inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco, grâce à la diète méditerranéenne.

Marquée par un arrière-pays verdoyant toute l’année et riche en produits naturels, l’art culinaire de la ville de Chefchaouen est le miroir qui reflète la richesse de ce cadre géographique avec un savoir-faire ancestral, explique la commune de la cité dans son guide.

Ce savoir-faire consiste à la combinaison d’herbes potagères, de poissons, de viandes, de légumes, d’huile d’olive et autres, pour atteindre une qualité nutritive élevée de la cuisine chaounie. Composés de plats froids ou chauds, les plus fameux sont le couscous, le tajine (tagra), la baysara, le bkool, la tanjia et différents plats de légumes. Et la cité ne manque pas de cantines et de gargotes où les prix des mets à foison sont plus qu'abordables.
L’agenda culinaire de cette ville est caractérisé par une richesse remarquable en matières premières, d’origine naturelle, végétale ou animale. Les figues séchées, le samet (gelée de raisin), le miel, l’huile d’olive, les produits caprins, sont marqués par leur ancienneté et ancrage dans l’histoire culinaire de la ville, voire de toute la province.

Outre les épices, les olives, les fruits et légumes, les terres agricoles de la province font le bonheur des papilles car il y a de nombreux produits succulents et particulièrement sains.
Le plus connu est le Jban, un fromage de chèvre frais, savoureux et crémeux à souhait, à tartiner sur le pain traditionnel et à accompagner d’un filet d’huile d’olive locale.
Chefchaouen est aussi une destination prisée par son artisanat que l’on ne trouve nulle part ailleurs au Maroc, tels que les vêtements en laine d’un blanc immaculé, les tapis et blanquettes tissées. Selon le guide touristique de la commune, elle abrite encore de nombreux ateliers de babouches, de tanneries. Les sacoches à double poche ornées de longues et minces lanières de cuir et magnifiquement brodées, les babouches, les guêtres des femmes figurent parmi la production diversifiée et sollicitée au niveau local.
Le bois naturel ou peint occupe une place prépondérante dans l’artisanat urbain local de Chefchaouen, pour les produits communs, mais surtout pour l’élévation des planchers : charpente, plafond plat, les accessoires des sanctuaires (minbars et bibliothèques) et les portes.

L’industrie de laine mobilisait jusqu'à une époque relativement récente, ajoute la même source, une main-d’oeuvre importante et qualifiée, estimée alors à des centaines de femmes. Le rôle des femmes chaounies dans le filage ne peut être comptabilisé, car c’est elle qui se chargeait de toutes les étapes de la fabrication de la laine (nettoyage, coloration, etc.) jusqu’à sa commercialisation dans le souk de Sidi Bel Lahcen. Des centaines de djellabas étaient vendues à Chefchaouen journellement de cette façon.

Le tissage (drāza) était réputé dans toute la ville de telle façon que ses propres jellabas et ceinture de laine dite corziya ont été sollicitées dans son entourage rural et dans d’autres médinas marocaines.

Les ateliers de tissage nichés dans les ruelles confectionnent en outre, des jellabas extrêmement réputées. On trouve aussi à Chefchaouen de sublimes créations brodées, des bijoux et toute sorte, des objets de décoration et des ustensiles de bois de cèdre…

« Cette ville est un baume pour le voyageur exténué, une muse pour le photographe passionné et un joyau pour l’aventurier avide de découvertes », témoigne un touriste ravi par le thé à la menthe servi en terrasse ou dans les échoppes artisanales « où vous pourrez jongler entre le français et l’espagnol ». 57 coopératives de produits à base de cannabis ont été autorisées dans la région depuis l’adoption de la loi sur la légalisation. On offre dans les échoppes de l’huile de chanvre (à usage cosmétique), de la poudre, des graines et des feuilles. Et bien entendu le sebsi (calumet en bois d’abricotier)…

Toutes les places de Chefchaouen sont jolies, mais celle-ci possède un petit quelque chose en plus : la place Outa El Hammam est bordée de restaurants et cantines très typiques. Le lieu idéal pour s'imprégner de l'ambiance si particulière de la ville, surtout au petit matin, lorsque la cité s'éveille.
Le cœur animé de la médina qu'est la ravissante esplanade Outa El Hammam de 3 000 m2, pavée et ombragée, est bordé de cafés et de restaurants. Le grand arbre au centre constitue un excellent point de rencontre avant d'explorer la médina.
D’ici, il faut visiter la kasbah aux allures d’un alcazar andalou, est l’une des attractions historiques principales de la médina instiguée dès 1415, par le Chérif Moulay Ali Ibn Rachid al-Alami, plus connu par Ibn Joumaa.
Ibn Joumaa n’avait pu mener à terme son projet puisqu’il est mort assassiné par les Portugais. C’est son cousin Abou Al-Hassan Ali Ibn Rachid qui, de retour d’un séjour guerrier à Grenade, conduisit les travaux de construction en 1480 après avoir transplanté le site à la rive droite de l’Oued Fouarat.
Un bastion bâti en 1471 est devenu le fief de la résistance aux Portugais. Pour se protéger des attaques répétées des Ibères, la cité fortifiée avait été interdite aux chrétiens, mais pas aux juifs. A l’intérieur de ses remparts percés de sept portes, se love un magnifique jardin aux allures de Grenade et des dépendances...
...le petit Centre de recherche et d'études andalouses, mais aussi une vieille prison ainsi que le musée ethnologique de la ville inauguré en 1985, où une grande collection d’art populaire et de pièces artisanales du nord du pays est présentée à travers des expositions permanentes : poteries, instruments de musique, armes, instruments traditionnels de tissage mais aussi vaisselle et costumes. Des pièces d'une grande finesse qui témoignent du talent des artistes de cette région du Maroc où l'influence espagnole est palpable. Chefchaouen fait d’ailleurs partie du Réseau marocain des cités interculturelles pour sa diversité culturelle et ethnique.
Il faut assurément grimper tout en haut de son donjon - l'une des 13 flèches de la forteresse, la tour portugaise, du nom des prisonniers portugais qui l'ont construite - pour admirer autrement le panorama des environs et spécialement la grande mosquée (Al Masjid al-Aâdam), flanquée d’un minaret octogonal à l’architecture typique du nord marocain. Outre la vue imprenable sur la médina, les lieux retracent, à travers des planches illustrées, l'histoire et la mémoire des tribus jbalas, ses grandes figures et ses us et coutumes.
On y apprend entre autres qu’en plus de son rôle militaire, Chefchaouen a constitué à travers son histoire un pôle religieux et spirituel qui exerçait une influence régionale mobilisatrice contre le danger ibérique. C’est ce qui lui a valu le toponyme d’Al Madina As-Saliha, « la Ville sainte ». Ainsi et bien que petite d’envergure, elle compte un important patrimoine matériel religieux qui se traduit par la présence de 20 mosquées et oratoires, 11 zawiyas et 17 mausolées.

La source d’eau Ras-el-Ma (avec celle de Tissemlal, elle alimentent les très réputés hammams de la cité bleue) est un endroit incontournable de Chefchaouen où prendre une pause et profiter de l’animation ainsi que du paysage moins bâti aux alentours.
La cascade se trouve juste au-delà de la porte extrême nord-est de la médina de Chefchaouen. C'est ici, là où l'eau jaillit de la montagne, que les femmes viennent faire leur lessive. Le bruit de l'eau et les collines verdoyantes juste au-delà du mur de la médina offrent une dose soudaine et forte de nature.
Pour y arriver, il s’agit d’une ascension très agréable à faire d’une durée d’environ 15 minutes depuis la Place El Makhzen, vers Bâb El Ansar, au nord-est de la ville. Arrivé à la mosquée Bouzaâfar - construite par les Espagnols et fut ensuite abandonnée pendant la guerre du Rif dans les années 1920 -, il est possible de prendre le temps de se détendre et d’admirer la magnifique vue sur la ville et ses contreforts.

Le spectacle qu’offre de là le coucher de soleil plonger derrière les massifs environnants avec un jus d'orange fraîchement pressé à la main ...
...ou le temps d’un pique-nique par exemple, est absolument époustouflant.
Chefchaouen est un endroit idéal pour se détendre, explorer et faire des excursions d'une journée dans les montagnes. Au départ de Chefchaouen, gorges, grottes, rivières, forêts de cèdres et de pins font le bonheur des randonneurs qui sont nombreux dans la région, à partir des dernières semaines d’hiver.
Malgré qu’il y ait une belle diversité de randonnées à faire, à la journée ainsi que des trekkings de plusieurs jours à travers les massifs du Rif, l’un des plus beaux sites de la région est sans conteste le Pont de Dieu, une étonnante arche naturelle formée dans la roche est au-dessus de l’Oued Farda, un cours d’eau d’une clarté exceptionnelle et connu pour ses magnifiques et abrupts défilés.

Les randonneurs vont souvent à Akchour, à près de 40 minutes en voiture de Chefchaouen, mais on peut aussi rejoindre le village à pied en quelques heures, et en profiter pour visiter celui de Kalaa, puis découvrir les cascades. L’excursion depuis Akchour pour les cascades dure quant à elle 2h30 et elle est résolument sportive pour ceux qui s’aventurent à en passer la plupart des obstacles. Mais l’endroit est superbe et les marcheurs peuvent se rafraîchir dans l’eau et admirer les chutes d’eau tout en profitant d’une enfilade de petits cafés aménagés sur les berges des rapides.
Les plus téméraires peuvent partir à l’assaut des sentiers du parc naturel de Talasemtane pour plusieurs jours : 58 000 hectares à découvrir. Entre falaises, gorges spectaculaires, sommets majestueux, le parc donne à voir un visage inédit du Maroc. Inscrit au patrimoine naturel mondial de l'Unesco depuis 1998, le site est d'un envoûtement pour les amoureux des grands espaces naturels. Un guide est indispensable pour cette expédition en altitude et à travers les forêts, sur des chemins souvent non balisés.
Ce n’est pas une randonnée difficile mais il faut 4 à 5 h pour arriver au sommet du Jbel el-Kelaa à 1 600 m d’altitude, et admirer une vue qui épouse les sommets. On peut aussi partir à l’ascension de cette montagne à pied, depuis le nord de Chefchaouen.

L'un des deux parcs des montagnes du Rif, Bouhachem est d'une beauté exceptionnelle et couvre un territoire immense. La forêt compte diverses espèces de chênes et de pins maritimes, et abrite un nombre important d'oiseaux, de mammifères (dont le rare macaque de Barbarie) et de reptiles. Moins visité que le Talassemtane voisin, les randonneurs peuvent se rendre dans les villages locaux et explorer les montagnes et les forêts. Plusieurs gîtes y sont disponibles pour les nuitées.
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