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Panama PapersDes sociétés offshores pour l’épouse de Chakib Khelil, ancien ministre algérien

09.05.2016 à 18 H 32 • Mis à jour le 25.07.2016 à 06 H 14 • Temps de lecture : 10 minutes
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Najat Arafat, épouse de Chakib Khelil, ancien ministre algérien de l’énergie et des mines, disposait en 2005 de deux sociétés offshores au Panama servant de paravent à des comptes bancaires en Suisse. En 2007, ses pouvoirs ont été transmis à Omar Habour, un franco-algérien réputé proche du couple Khelil. Enquête.

Parmi les personnes mises en cause dans le scandale des Panama Papers en Algérie, figure Najat Arafat, épouse de l’ancien ministre de l’énergie et des mines Chakib Khelil. Il ressort des documents que Le Desk a pu consulter, qu’elle a engagée des démarches au Panama dans le but de dissimuler la possession de comptes bancaires en Suisse.


Alors que son époux entamait sa cinquième année à la tête du névralgique secteur de l’énergie et des mines, Najat Arafat, officiellement sans activité à l’époque, a recouru aux services du cabinet panaméen Mossack Fonseca pour créer deux sociétés offshores : Carnelian Group Inc. en mai 2005 et Parkford Consulting Inc. en octobre de la même année.


Copie du power of attorney délivré par la société Cornelian Group Inc. à Najat Arafat daté du 20 mai 2005. LE DESK
Copie du power of attorney délivré à Najat Arafat pour la société Parkford Consulting Inc. LE DESK


Ces deux sociétés vont changer de main deux ans plus tard, les 26 et 27 novembre 2007 au profit de Omar Habour, 77 ans, un franco-algérien natif d’Oujda, dont le nom revient avec insistance dans l’affaire Sonatrach - le puissant groupe pétrolier étatique algérien - qui défraie la chronique judiciaire aussi bien en Algérie qu’en Italie.


Copie de la correspondance adressée par Multi Group Finance, agissant pour le compte de Najat Arafat, au cabinet Mossack Fonseca l'instruisant de donner pouvoir à Omar Habour pour la gestion de la société Carnelian Group Inc. LE DESK


Copie de la correspondance adressée par Multi Group Finance, agissant pour le compte de Najat Arafat, au cabinet Mossack Fonseca l'instruisant de donner pouvoir à Omar Habour pour la gestion de la société Parkford Consulting Inc. LE DESK


Des connexions avec l’affaire Sonatrach

L’affaire Sonatrach a éclaté en 2009 lorsque le Département de renseignement et de sécurité (DRS) a transmis à la Justice un dossier compromettant la direction de la compagnie. Son ancien PDG, Mohamed Meziane, ses deux fils, ainsi que de nombreux hauts cadres de la compagnie ont été jugés en février 2016 pour diverses malversations.


Mais, les commissions rogatoires transmises à la Suisse dans le cadre de l’instruction de cette affaire ont ouvert d’autres pistes aux magistrats instructeurs menant vers le ministre en charge du secteur, Chakib Khelil. Mais depuis quatre ans l’instruction qui traine en longueur n’a pour le moment donné lieu à aucune inculpation.


Selon un arrêt du Tribunal pénal fédéral helvète datant du 14 janvier 2015 et portant sur la demande d’entraide judiciaire introduite par les autorités algériennes en vue d’obtenir des moyens de preuves, les magistrats instructeurs enquêtent sur les conditions dans lesquelles des marchés publics ont été attribués par Sonatrach à diverses entreprises, notamment à Saipem, filiale d'ENI spécialisée dans la prospection pétrolière.


En jeu la destination de près 200 millions d’euros versés par Saipem à Farid Bedjaoui, neveu de l’ancien ministre des Affaires étrangères Mohamed Bedjaoui, via Pearl Partners Ltd, une compagnie domiciliée à Hong Kong. A ces versements, effectués durant la période allant du 4 juin 2007 au 11 février 2011, ne correspondrait aucune activité réelle. Il ressort également de cette requête que « le rôle d’intermédiaire joué par Farid Bedjaoui dans le schéma corruptif qui sous-tend l’enquête algérienne aurait été imposé à Saipem par le ministre Khelil ».


En effet, l’instruction a établi qu’une partie de l’argent encaissé par Pearl Partners Ltd. a été reversée à d’autres lobbyistes algériens et à des responsables de Saipem, via des sociétés écran. L’arrêt du Tribunal pénal fédéral helvète souligne que « les magistrats instructeurs algériens ont identifié des versements qui ont profité à Najat Arafat, épouse de Chakib Khelil ».


Le recours introduit par ce dernier afin d’empêcher les autorités suisses de transmettre à leurs homologues algériens la documentation bancaire relative à cinq comptes dont il est titulaire ou co-titulaire, a été rejeté. Le tribunal suisse a jugé infondés les arguments de l’ancien ministre qui a fait valoir, entre autres, la thèse selon laquelle la procédure judiciaire aurait été engagée à son encontre à cause de ses opinions politiques et son appartenance au clan Bouteflika. Après six années passées aux Etats-Unis, où il dispose de biens immobiliers au Maryland, Khelil est rentré en Algérie en mars dernier.


Un vaste réseau de sociétés offshores

En tout état de cause, le motif invoqué par Multi Group Finance, officine chargée de faire remplacer auprès de Mossack Fonseca en novembre 2007 le nom de Najat Arafat par celui d’Omar Habour comme ayant-droit des deux sociétés offshore Carnelian et Parkford laisse dubitatif : « Nous vous faisons parvenir ci-joint un power attorney (mandat de représentation) en original que nous vous prions d’annuler. Selon le bénéficiaire économique, il s’agissait d’une erreur. Nous vous prions d’établir un power attorney au nom de l’ayant-droit économique ‘Monsieur Omar Habour, (…) et nous le faire parvenir à notre adresse ».


D’origine palestinienne, Najat Arafat, docteur en physique et enseignante universitaire était très active dans la société civile aux Etats-Unis. Elle militait au sein de plusieurs organisations féministes ou en faveur de la Palestine. La nomination de son époux Chakib Khelil comme conseiller du président Abdelaziz Bouteflika puis ministre de l’énergie en Algérie fin 1999, l’a contraint à abandonner son action. Le mandat d’arrêt lancé à son encontre par le parquet d’Alger en 2013 a été frappé de nullité pour vice de forme, au même titre que les mandats d’arrêts lancés à l’encontre de son époux et ses deux enfants.


Chakib Khelil, ancien ministre algérien de l'énergie et des mines. SAMUEL KUBANI / AFP


Selon les documents et courriels obtenus par Le Desk dans le cadre du projet Panama Papers associant le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), le journal allemand Süddeutsche Zeitung et leur partenaire dans le monde arabe, l’ARIJ (Arab Reporters for Investigative Journalism), c’est Multi Group Finance, une société fiduciaire établie à Lausanne et à Montreux, en Suisse qui a tissé le réseau de comptes et de compagnies offshores dissimulant les fonds de Najat Arafat, Omar Habour et Farid Bedjaoui.


Cet échafaudage derrière lequel a été dissimulé l’argent pisté par les justices algérienne italienne qui, au même titre que pour les sociétés pétrolières ENI et Saipem, se veut d’une sophistication telle que les noms des vrais détenteurs des comptes n’apparaissent pas. Multi Group Finance a sous-traité la domiciliation des compagnies offshores à Mossack Fonseca qui a créé ces sociétés et a fourni les prête-noms pour les administrer. Toutes ces sociétés ont été constituées avec un capital social réparti sur des actions au porteur (donc anonymes) pour gérer des comptes bancaires domiciliés en Suisse.


Farid Bedjaoui, au cœur de l’édifice

Dans un mail envoyé au correspondant de de la filiale suisse de Mossack Fonseca, en date du 14 février 2008 dont Le Desk a obtenu copie, Ludovic Guignet, financier et gestionnaire de fortune pour Multi Group Finance en charge de la gestion du patrimoine de l’entourage du ministre Chakib Khelil, révèle que Carnelian Group Inc. et Parkford Consulting Inc. ont été créées pour gérer des portefeuilles placés dans des banques suisses. « Pouvez-vous me faire parvenir ‘‘un certificate of good standing’’ (lettre de bonne conduite), copie notariée des statuts en vigueur avec apostille, ainsi qu’un ‘‘power of attorney (POA)’’ (mandat de représentation) confirmant la procuration accordée à Omar Habour. Les banques demandent un POA datant de moins de 3 mois ! », indique cette correspondance, preuve en est, s’il en faut davantage, des liens entre Najat Arafat et son prête-nom, Omar Habour.


Farid Bedjaoui, neveu de l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères Mohamed Bedjaoui.


En plus des compagnies qu’il a héritées de Najat Arafat, Omar Habour a constitué par le biais de Multi Finance Group une autre société offshore au Panama, Consolidated Engineering Consultants Corp. où il s’est associé avec Farid Bedjaoui. Il a aussi créé quatre sociétés aux Iles Vierges britanniques, Girnwood International Engineering Ltd. et Minkle Consultants S.A. – qu’il a cédées ultérieurement au même Farid Bedjaoui –, Teampart Capital Holdings Limited et Abode Finance Services Corporation.


Ludovic Guignet, chef du département compliance et conseil juridique à Multi Group Finance, est l’artisan de cet échafaudage mis en place pour protéger les secrets financiers de l’entourage de l’ancien ministre Chakib Khelil. Farid Bedjaoui, lui, est au cœur de l’édifice. En plus des sociétés dans lesquelles il est lié à Omar Habour, il apparait dans dix autres compagnies offshores, seul ou en association avec d’autres personnes. Farid Bedjaoui a un mandat de gestion sur Girnwood International Engineering Ltd. et Cardell Capital S.A qui disposent de comptes domiciliés à la banque Edmond de Rothschild à Nassau, au Bahamas. Sorung Associates Inc. a été constituée pour gérer des portefeuilles placés chez la banque Mirabaud, en Suisse et à Dubaï.


Dans la même correspondance que Ludovic Guignet a adressée à Mossack Fonseca en date du 20 mai 2005 pour constituer la société Carnelian Group Inc. au profit de Najat Arafat, il demandait à créer Justin Invest Developments S.A au bénéfice de Farid Bedjaoui. Cette société offshore gère un portefeuille placé en 2008 dans la banque genevoise BLOM Bank


A la même date de cession par Najat Arafat de Parkford Consulting Inc. à Omar Habour, soit le 27 novembre 2007, Ludovic Guignet requérait à Mossack Fonseca de remplacer le nom de Pietro Varone, ancien directeur des opérations de Saipem, également cité dans l’affaire Sonatrach, par celui de Farid Bedjaoui comme ayant-droit d’une autre société : Farnworth Consultants Inc.


Enregistrée au Panama en août 2006, Farnworth Consultants Inc. a servi à l’achat d’un bateau. Farid Bedjaoui a mandaté Ludovic Guignet à la faveur d’un mandat de gestion spécial pour faire cette acquisition. Le 17 février 2010, Farid Bedjaoui a instruit à Mossack Fonseca via le même Ludovic Guignet afin d’annuler son pouvoir général et nommer une compagnie offshore domiciliée aux Iles Vierges britanniques, Floridana Investments Ltd., comme bénéficiaire économique de Farnworth Consultants Inc.


Il donnait aussi pouvoir au service d’Ingénierie financière et patrimoniale de la banque privée Edmond de Rothschild Europe en vue d’assurer le bon déroulement de ce transfert de société. « Je soussigné, Farid Bedjaoui, en ma qualité de bénéficiaire économique de la société susmentionnée, vous prie de bien vouloir effectuer les opérations suivantes : - faire démissionner les actuels ‘‘directeurs’’ de la société  nommer Floridana Investments Ltd., Wickham’s Cay, Road Town, Tortola, British Virgin Island, en qualité de nouveau directeur », écrit Farid Bedjaoui dans un courrier portant en-tête de Multi Group Finance.


Contacté par mail, Me Emmanuel Marsigny du cabinet éponyme, avocat de Farid Bedjaoui, s’est limité à répondre : « La justice est saisie et nous attendons sereinement les décisions à venir, M. Farid Bedjaoui n’ayant jamais commis aucune infraction que ce soit ». Ludovic Guignet n’a pas souhaité répondre à nos questions. Najat Arafat est quant à elle demeurée injoignable. Depuis son retour en Algérie, Chakib Khelil multiplie les sorties médiatiques lors de tournées à travers les zaouïas du pays ou sur les plateaux des télévisions proches du pouvoir, tantôt pour clamer son innocence, tantôt pour analyser les fluctuations du marché pétrolier.

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