JusticeViol de la fillette de Tiflet: l’indignation collective et la contestation du verdict clément ne faiblissent pas

La chambre criminelle de première instance de Rabat a condamné, le 20 mars dernier, deux hommes reconnus coupable de « détournement de mineure » et « attentat à la pudeur sur mineure avec violence », à 18 mois d’emprisonnement et à 6 mois avec sursis, tandis, que le troisième coupable a été condamné à deux ans fermes.
Les deux premiers ont également été condamnés à des dommages-intérêts de 20 000 DH. Le troisième, quant à lui, devra verser à la partie civile la somme de 30 000 DH.
Par ailleurs, un test ADN joint au dossier en première instance a établi la filiation parentale du mis en cause, sans contraindre ce dernier ni à la reconnaissance du nouveau-né, ni au versement d’une pension.
Une double peine pour la victime qui voit ses bourreaux s'en tirer avec des peines inférieures au seuil minimum prévu par le Code pénal. Les sanctions respectivement prévues par les articles 472 et 485 du Code pénal étant la réclusion de cinq à dix ans en matière de détournement de mineur, et de dix à vingt ans lorsqu'il s'agit d'attentat à la pudeur avec violence à l'égard d'un mineur.
Pire encore, les juges ont décidé de faire bénéficier les prévenus de « circonstances atténuantes », en le justifiant par « les conditions sociales de chacun des prévenus, l'absence d’antécédents judiciaires, et le fait que la peine légalement prévue pour ce dont ils ont été condamnés est sévère par rapport à la gravité des actes commis et le degré de leur criminalité ».
Les trois hommes bénéficient donc de circonstances atténuantes alors que ces circonstances sont aggravantes : un viol collectif, répété, perpétré sur une longue durée sur une mineure de 11 ans et qui a conduit à une grossesse non désirée.
Le prononcé de jugement jugé « scandaleux » a attiré l'ire de nombre d’associations, d’intellectuels, et d’internautes, qui sont montés au créneau et tiré la sonnette d'alarme sur les violences sexuelles à l'égard des mineurs, avec en toile de fond « l'urgence d'une réforme du système pénal ».
La chambre criminelle de second degré à la Cour d’appel de Rabat a fixé, lundi, la date du début du réexamen du procès. Ministère public, association Insaf en tant que partie civile et avocats avaient fait un recours dans ce sens. La première audience du procès en appel est prévue ce jeudi 6 avril.
Rendre justice à la victime
La veille de cette première audience, un sit-in s'est tenu devant la Cour d’appel au Palais de justice de Rabat. A l’initiative de la Coalition « Printemps de la dignité », le rassemblement avait pour objectif de réunir acteurs de la société civile et simples citoyens, afin de demander justice pour la victime.
Dans une lettre ouverte adressée au président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), Mohamed Abdennabaoui, au président du ministère public, El Hassan Daki et au ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, la coalition « Printemps de la Dignité », a souligné que ce verdict « ne réparera pas les dommages physiques et psychologiques profonds d’une enfant qui a subi des agressions sexuelles répétées ».
Elle considère également que ce jugement « approfondit le sentiment d’injustice et d’exclusion du droit à la justice » de la part des victimes de ces actes criminels, « avec ce que cela comporte en termes de sécurité juridique et judiciaire »
« Une réforme pénale s'impose »
Dans sa lettre ouverte, la coalition alerte sur l'urgence de renforcer l’arsenal juridique, afin de garantir la protection des enfants contre les agressions sexuelles, l’encouragement de la dénonciation d’agressions, l’accélération de la procédure de traitement des plaintes déposées auprès des services de sécurité.
Elle plaide pour « un changement de fond en comble et global » du droit pénal, et une reconsidération du « pouvoir discrétionnaire » de la justice. Le grand écart qui existe entre les peines maximales et minimales est également un élément à revoir, et les circonstances atténuantes en ce qui concerne les crimes de viol et autres agressions sexuelles,
L'importance de nommer le viol et le définir en incluant les agressions sexuelles dans cette définition au lieu de parler de « détournement de mineure » ou « attentat à la pudeur sur mineure avec violence », faisait référence au jugement rendu par la chambre criminelle du tribunal de Rabat.
Nommer le viol sur la mineure permet de montrer qu’il ne s’agit pas simplement d’une agression ordinaire à l’encontre d’un enfant mais permet de mieux l'appréhender.
La Coalition prône également une révision complète de la procédure pénale et « la suppression des obstacles prémédités et placés devant les associations de femmes pour les empêcher de se constituer partie civile dans les cas de violences à l'égard des femmes ».
Enfin, la coalition estime qu’« il y a lieu, dans ce cas particulier, comme dans d’autres, que les différentes autorités concernées enquêtent, y compris le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), doté d’un mécanisme national de plaintes pour les enfants victimes de violations de leurs droits ». Ceci permettra d’« identifier où se situe la faille dans ce qui s’est passé, pour que l’indépendance du pouvoir judiciaire ne demeure pas un prétexte ou une façade dissimulant les injustices ».
Les pédiatres privés s'indignent
L’Association marocaine de pédiatrie, l’Association casablancaise des pédiatres privés, l’Association marocaine de pédopsychiatrie et professions associées et l’Association des pédiatres de libre pratique de la wilaya de Rabat exhortent pour leur part dans un communiqué les institutions de l’Etat et la société civile de redoubler d’efforts pour lutter contre les violences à caractère sexuel à l’encontre des enfants.
Pour que ce « crime odieux » ne se reproduise plus, cette coalition de professionnels appelle au renforcement de l’arsenal juridique, la mise en place de tribunaux dédiés aux crimes contre les mineurs, l’assurance de toutes les garanties pour la protection des enfants contre les agressions sexuelles, l’encouragement de la dénonciation d’agressions à travers la mise en place de numéros verts, l’accélération de la procédure de traitement des plaintes déposées auprès des services de sécurité et la protection des dépositaires.
Elles recommandent aussi la prise en charge entière des enfants victimes d’agressions sexuelles et la mise en place au niveau des espaces de l’enfance d’unités de soutien psychologique, en partenariat entre les secteurs privé et public.
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