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n°372.Accident de Bouknadel: questions sur une enquête expéditive

24.10.2018 à 15 H 42 • Mis à jour le 24.10.2018 à 15 H 59 • Temps de lecture : 6 minutes
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L’enquête de la Gendarmerie royale sur les circonstances de l’accident du TNR n°9 à Bouknadel a conclu à la responsabilité directe de son conducteur fautif d’un excès de vitesse. Cette conclusion est-elle hâtive d’autant que le Maroc ne dispose pas d’un Bureau d’enquêtes sur les accidents terrestres graves et complexes ? Autre point contentieux, la vétusté du système de radiocommunications de l’ONCF dont la mise à niveau a été retardée

Le procureur du roi près le tribunal de première instance de Salé a rendu public les résultats de l’enquête portant sur la tragédie de Bouknadel. D’après le communiqué, la raison de l’accident est l’excès de vitesse du TNRn°9 assurant la liaison Casa Port-Kénitra qui roulait à 158 km/h, au lieu des 60 km/h autorisés dans le tronçon où a eu lieu son déraillement.


Sur instructions royales, une enquête avait été ouverte par les autorités afin de déterminer les responsabilités dans l’accident survenu le 16 octobre qui a causé la mort de 7 personnes et une centaine de blessés.


Selon le même communiqué, le conducteur du train, blessé grièvement selon plusieurs sources médiatiques, sera poursuivi par le parquet sous le chef d’accusation d’ « homicides et blessures involontaires » tels qu’énoncés dans le code pénal, dans ses articles 432 et 433. Il risque de trois mois jusqu’à cinq ans de prison ferme, en plus d’une amende entre 250 et 1 000 dirhams.


Plusieurs questions demeurent cependant sans réponse ou du moins non révélées au public sur les circonstances de ce drame.


D’abord sur les investigations menées. Si l’enquête judiciaire dont fait état le Procureur du roi a été confiée à la Gendarmerie royale, nul ne sait si une enquête interne propre à l’ONCF a été lancée.


Un TGV, mais pas de Bureau spécialisé en accidents

En outre, le ministère de l’Equipement et des Transports est, semble-t-il, demeuré hors circuit, ne disposant pas d’un organisme permanent spécialisé (Bureau d’enquêtes sur les accidents terrestres à caractère grave et complexe) à l’instar du BEA dépendant de la Direction de l’aviation civile.


Aucune certitude n’est donc acquise sur d’éventuelles mesures préventives susceptibles d’éviter le renouvellement d’un accident de type Bouknadel, sachant qu’une telle instance est chargée dans d’autres pays, comme en France, de l’enquête technique qui doit rester bien distincte de l’enquête judiciaire et dont les objectifs, centrés sur la recherche de responsabilité, et les contraintes, notamment de délai, ne sont pas les mêmes.


En effet, des enquêteurs hautement qualifiés et indépendants devraient dans de telles circonstances pouvoir accéder à l’ensemble des éléments, témoignages et informations utiles, même couverts par le secret de l’instruction, le secret professionnel ou le secret médical. Des prérogatives qui devraient relever de la loi.


Le Maroc qui s’est doté de la première ligne grande vitesse (LGV) d’Afrique devrait dans ce sens mettre à niveau son dispositif d’enquêtes diligentées sur les accidents graves et pourquoi pas à la directive européenne 2004/49/CE sur la sécurité ferroviaire.


A titre d’exemple, en France, pour chaque enquête, le BEA-TT « doit examiner l’événement à analyser sous tous ses aspects allant du facteur humain à la pertinence de la règlementation en passant par les caractéristiques de l’infrastructure, ses conditions d’exploitation, la conception et l’état du matériel roulant, l’organisation de la sécurité, la formation des personnels, les facteurs médicaux etc. Cette diversité des investigations à effectuer conduit le BEA-TT terrestre à identifier et mobiliser toutes les compétences nécessaires à chaque cas ». A titre d’exemple, le déraillement d’un train survenu en janvier 2015 à la gare de Lyon à Paris a fait l’objet d’une enquête circonstanciée de 9 mois.

 

Cette carence au Maroc est d’autant plus problématique que dans le cas de l’accident de Bouknadel, des témoignages vocaux de cheminots authentifiés par Le Desk pointaient du doigt un problème lié à la signalisation et à l’aiguillage.


Un système de radiocommunications vétuste

Autre point sensible, celui des moyens de communication installés le long du réseau ferré et pour lequel nombre d’interrogations sont encore en suspens et qui pourraient expliquer en partie, selon des spécialistes du rail interrogés par Le Desk, le problème de vitesse excessive mis en avant par le rapport d’enquête de la Gendarmerie royale.


« Le réseau radio RST de l’ONCF est confronté à de nombreuses difficultés (limitation des services fournis, Mauvaise qualité d’audibilité, dégradation des liaisons en câbles de cuivre, Vieillissement des équipements et non présence au marché), ce qui prouve le dépassement de ce moyen de communication pour le contrôle de la sécurité des trains », relevait en 2015 un mémoire de fin d'étude pour l'obtention d'un diplôme d'ingénieur d'Etat délivré par l'Université Sidi Mohamed Ben Abdellah.


Celui-ci concluait que l’ONCF est doté « d’un système de télécommunication analogique non interopérable et très limitée par les services qu’il offre. D’où la nécessité de se doter d’un réseau qui répond à toutes les exigences nécessaires pour une meilleure exploitation du réseau ferroviaire et permettant de s’adapter avec les nouveaux besoins tels que les lignes à grande vitesse ».


Extrait du rapport de fin d'étude de Zakaria Boutaib (Université Sidi Mohamed Ben Abdellah).


« Parmi les points faibles du système RST : la limite de la couverture, cette dernière peut avoir de graves conséquences sur la sécurité. Dans la situation de la figure , l’alerte émise par le train numéro 1 n’arrive pas à destination du train numéro 2 qui se dirige directement vers le danger présent sur la voie », explique le mémoire.


L’ONCF a dans le cadre du projet LGV projeté de mettre en place un système dit GSM-R (Global System for Mobile communications - Railways) dès 2012. Ce système global de télécommunications mobiles destiné à gérer les communications entre les trains, le sol et les centres de contrôle des trains devait être mis en place progressivement sur une durée de 9 ans sur cinq lignes du réseau ferroviaire national, d’une distance totale de 712 kilomètres, par le consortium franco-sino-italien Thales, Huawei et Imet.


« Grâce à ce système, qui viendra remplacer le système analogique radio train-sol, les trains de l’ONCF pourront communiquer avec les postes de régulation du trafic ferroviaire. Les agents de conduite, de circulation et de maintenance pourront également l’utiliser pour communiquer entre eux », précisait l’annonce du consortium, spécifiant toutefois que la priorité sera donnée aux 183 km de la LGV.


Or, les retards successifs de la mise en route du TGV Tanger-Casablanca ont repoussé de facto le calendrier de ce programme de 30 millions d’euros auquel a été associé A2I, un prestataire marocain spécialisé dans l'ingénierie, très présent dans les marchés octroyés par l’ONCF. En 2013, l'ONCF a attribué à un consortium composé d'Ansaldo STS France et de Cofely Ineo un contrat de 120 millions d'euros pour la conception et la fourniture de systèmes de signalisation et de télécoms pour la LGV...

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