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n°72.Affaire ANRT : la règle de droit sacrifiée sur l’autel d’inavouables intérêts stratégiques ?

28.10.2016 à 16 H 20 • Mis à jour le 16.11.2016 à 01 H 46 • Temps de lecture : 10 minutes
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Le débarquement en silence du patron de l’agence de régulation des télécoms est porteur de nombreux symboles : l’infantilisation permanente des citoyens, la disqualification du Chef de gouvernement et la faillite d’un modèle de gouvernance expérimenté depuis vingt ans face à des intérêts stratégiques intimement liés à la nature même du régime.

Etait-ce le rappel à l’ordre de trop ? Le dernier avertissement adressé par l’ANRT à Maroc Telecom au sujet du dégroupage a-t-il coûté sa place à Azdine El Mountassir Billah, le directeur de l’agence de régulation des télécoms ? Etait-ce plutôt à cause de ses atermoiements au sujet du blocage de la VoIP qui mine la réputation du royaume à l’international alors que Marrakech s’apprête à recevoir le Monde pour la COP 22 ? Peut-être même des deux, ou encore autre chose. Nul ne le sait vraiment, parce qu’au Maroc, le roi qui fait et défait les carrières des grands commis de l’Etat, n’est pas tenu de communiquer, ni d’expliquer et encore moins de justifier ses décisions. Le peuple et ses représentants sont priés de brouter en silence.


L’information révélée par Médias24, confirmée plus tard par autant de sources anonymes est demeurée sans écho officiel. L’agence MAP, les médias publics, le porte-parole du gouvernement…tous attendent, suspendus à un signe du Palais qui ne vient toujours pas. La Cour est à des milliers de kilomètres sillonnant l’Afrique de l’Est dans un périple qui avait été annoncé le jour même de son envol, parce-que là aussi, nul agenda n’a été communiqué…Entretemps, on apprend par des fuites qu’un directeur de l’ANRT a été installé dans le fauteuil de son patron par Moulay Hafid Elalamy, le ministre de l’Industrie.


Réformer l’administration...sans informer les administrés

Exemple le plus récent, il y a quelques mois, c’était Driss Benhima qui était remercié de la présidence de la Royal Air Maroc. Une photo de l’audience accordée par le souverain et la diffusion du CV de son remplaçant, Hamid Addou, avaient suffi. Depuis, ni lui, ni son prédécesseur ne se sont exprimés en public. Ainsi, fait-on valser les hauts commis de l’Etat dont la nomination et la destitution échappent totalement au Chef de gouvernement. Il est à ce titre piquant de voir le triomphateur des législatives aussi muet qu’une carpe, lui qui a fait du tahakkoum, son soi-disant ennemi juré tout au long de sa campagne électorale.


Dans son dernier discours à l’adresse des nouveaux élus de la nation, Mohammed VI avait exprimé tout son courroux sur les carences de l’administration, appelant de ses vœux une réforme profonde au service des citoyens, jusqu’à citer sa nécessaire informatisation. Une critique aussi justifiée que louable, mais comment rendre justice justement aux administrés s’ils ne sont même pas informés de ce qui se décide en leur nom ?


Le Cabinet royal est toujours une énigme pour les Marocains. La Constitution du pays ne lui confère aucune existence institutionnelle et lorsqu’il s’exprime par commandement ou pour tancer tel ou tel homme politique qui oserait le défier, il le fait comme le buisson ardent parlant à Moïse. Pourtant sa prévalence sur les institutions est considérable. Il est dans ce sens incompréhensible que le pouvoir régalien sermonne l’administration pour sa nébulosité alors que lui-même ne dispose même pas d’un site internet.


Le cas de l’ANRT n’est qu’un exemple parmi d’autres de cette gouvernance archaïque. Mais il fait davantage figure de symbole. Il faut revenir aux origines de la création de cette instance de régulation pour saisir toute la portée politique du limogeage d’El Mountassir Billah.


Le fameux rapport d’instruction daté du 21 septembre qui reproche à l’opérateur historique le « manquement partiel à ses obligations réglementaires » est-il la goutte qui a fait déborder le vase dans la sourde bataille émaillée d’arguties technico-juridiques que se sont livrés Azdine El Mountassir Billah et Abdeslam Ahizoune, tout-puissant PDG de Maroc Telecom ? Le premier dénonçait une obstruction à la concurrence, l’autre répondait par la mise en cause des délais jugés insensés que le régulateur lui impose. Fort de son mandat, l’ANRT a tranché, et pris la décision le 26 septembre 2016 d’engager une procédure de sanctions à l’encontre de l’opérateur. La publication de l’oukaze dans le Bulletin officiel a précédé de quelques jours le débarquement d’El Mountassir Billah. Ahizoune aurait eu ainsi le dessus sur son fouetteur.


Ni ce scénario, ni celui du storytelling qui fleurit dans la presse et qui attribue à Moulay Hafid Elalamy la paternité du renvoi d’El Mountassir Billah ne suffisent à expliquer tous les enjeux de l’affaire. Les réponses pourraient se trouver à un niveau plus stratégique. Si le roi a entériné de la sorte la chute précipitée du patron de l’ANRT, ce n’est certainement pas pour donner raison à l’argumentaire de Ahizoune ou pour acter l’insatisfaction de son ministre. Cela aurait pu attendre son retour et être fait avec un minimum de préparation.


Il ne pourrait s’agir alors que d’intérêts qui dépassent le seul pouvoir du PDG de Maroc Telecom. Ceux des actionnaires émiratis avec qui par ailleurs les relations bilatérales  (civiles et militaires) et interpersonnelles sont autrement plus sensibles que des questions de concurrence entre opérateurs locaux, dont l’un, Inwi est contrôlé par le roi lui-même faut-il le rappeler ?


Des intérêts irréconciliables entre raison d’Etat et règle de droit

Si tel est le cas, cela ouvre un débat plus complexe mettant en opposition des intérêts fatalement divergents. D’un côté une raison d’Etat qu’il serait impensable d’étaler en public s’agissant de diplomatie secrète entre régimes autoritaires, donc de contingences inavouables et de l’autre la règle de droit qui dans le cas d’espèce – la régulation – est intimement liée à la démocratisation du pays.


A la fin des années 90, la régulation du secteur des télécoms et sa libéralisation ont été au cœur de la transformation de la gouvernance du Maroc. Il ne s’agissait pas seulement d’une histoire de gros sous, de technologie ou de modernisation, mais de modernité dans son sens politique le plus aigu.


L’attribution de la seconde licence de téléphonie mobile a marqué la transition dynastique entre Hassan II et Mohammed VI. Le dernier discours du roi défunt, prononcé le 8 juillet 1999, était consacré à l’opération, vantant les avantages de la transparence, de la rigueur et de la compétence. « Le premier acte officiel de Mohammed VI a été de recevoir le fameux chèque, son premier conseil des ministres a été consacré à ce dossier et son premier dahir a concerné l’attribution officielle de la licence à Médi Telecom », avaient souligné Béatrice Hibou et Mohamed Tozy dans un essai qui fait référence en la matière.


Pour les réformateurs de l’époque, l’opération était exemplaire à plus d’un titre puisqu’en rupture totale avec les pratiques d’attribution des marchés publics jusque là marqués du sceau de l’opacité, voire de la grande corruption et de la rente. Une exemplarité qui devait constituer la norme pour les réformes globales de la gestion de la chose publique.


La loi scindant la poste des télécoms de 1996 et la création de l’ANRT avaient été perçues et défendues par la presse indépendante de l’époque, notamment Le Journal Hebdomadaire, comme la boussole des réformes tant attendues de l’environnement des affaires. Le fameux rapport de la Banque mondiale de 1995 qui présentait le Maroc comme moribond, la préparation de l’Alternance politique, mais aussi de la succession au trône, avaient poussés Hassan II, fin politique, à ériger la transparence et la bonne gouvernance en vocabulaire légitime de la modernisation économique, mais aussi politique du pays. Cette revendication ne devant plus demeurer subversive, elle émanait du pouvoir suprême et s’imposait ainsi à tous.


L’arbitraire était désormais banni car contreproductif, la preuve étant la seconde licence GSM qui avait rapporté au Trésor public la somme exceptionnelle pour l’époque de 1,1 milliard de dollars, alors qu’une procédure de gré à gré avec Daewoo avait été envisagée dans la limite de 500 millions de dollars.


Cette histoire n’est pas pour autant aussi idyllique, il aura fallu toute la patience et la force de persuasion de Mostafa Terrab, alors patron de l’ANRT, pour que cette procédure acclamée dans le monde entier puisse aboutir. L’aval et le soutien de Hassan II auront eu raison des résistances de Driss Basri, mais aussi d’un environnement aussi frileux qu’idéologiquement réfractaire à toute libéralisation de l’économie.


Au Maroc, le modèle en vigueur a toujours été protectionniste et interventionniste, où les positions économiques dépendent avant tout de la rente accordée par le pouvoir dans une relation de consanguinité malsaine et destructrice de valeurs. La dérégulation en effrayait donc plus d’un et pas seulement ceux qui profitent de la zone de confort due à leur proximité avec les premiers cercles de pouvoir. N’oublions pas qu’à l’époque, la Gauche, notamment l’USFP, ferraillait contre les privatisations, accusant de leur position forte dans l’opposition, les « technocrates du roi » de « vendre le pays au capitalisme sauvage et aux multinationales voraces ».


Un processus impulsé par le Palais, mais réversible

Second jalon, la privatisation partielle de Maroc Telecom, plus laborieuse, est finalement bouclée en décembre 2000, mais Terrab qui en a décelé les failles à retardement devait claquer la porte de l’ANRT pour s’exiler aux Etats-Unis auprès de la Banque mondiale. On apprendra plus tard les termes confidentiels d’un pacte d’actionnaires qui avait donné tout pouvoir de décision à Vivendi, l’Etat ayant été relégué au rôle avilissant de sleeping partner, malgré son contrôle du capital. Aujourd’hui, avec l’Emirati Etisalat, le pacte d’actionnaires est en plus doublé d’une alliance de régime post-révolutions arabes.


Si les batailles homériques entre opérateurs des télécommunications ne sont pas une exception marocaine, elles sont aggravées par une réalité de fond : un système judiciaire asservi et la faiblesse des institutions électives qui rendent caduques les velléités de rétorsion d’une instance du poids de l’ANRT. Dans ce contexte, la régulation est contrainte par le bon vouloir des véritables maîtres de décision. Son travail est miné par l’existence de zones d’ombre et de vides juridiques et autant de chausse-trappes qui rendent impossible l’application des normes de marché. Plus largement, ce raisonnement s’étend au Conseil de la concurrence et à toutes les autorités d’arbitrage dont les facultés sont pour le moins anecdotiques.


Au volontarisme concret de Hassan II au soir de son règne dans un contexte de crise a succédé une ambiguïté de Mohammed VI sur ces mécanismes rendant ainsi réversible un processus qui s’est essoufflé avec le temps, éreinté par la nouvelle doctrine royale qui définit seule les priorités économiques. Par rapport à la règle de droit trop difficile à brider et susceptible d’endommager des ententes prioritaires, l’arbitraire et son corollaire l’opacité, sont érigés en moyen d’efficacité. Ils sont redevenus la règle « parce que sans l’impulsion du roi rien ne bouge », affirment les défenseurs de cette thèse. Cela dépend en réalité du sens donné à cette impulsion. C’est à travers ce prisme qu’il faut décrypter le débarquement d’El Mountassir Billah. Il n’est qu’une des illustrations symboliques de la suprématie de l’allégeance sur le respect du droit et d’une parenthèse qui n’aura pas survécu à la transition dynastique, à défaut de transition démocratique.

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Par @MarocAmar
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