n°812.Affaire Moâtassim : le fragile système de défense de Benkirane
Voilà une affaire qui provoque bien des remous au sein du Parti de la justice et du développement (PJD). À tel point que Abdelilah Benkirane a dû se fendre, au soir du 27 octobre, d’un live pour rappeler ses ouailles à l’ordre. La deuxième sortie officielle du zaïm islamiste en 24 heures. Pour une « tempête dans un verre d’eau », tel qu’il se plaît à le dire, n’est-ce pas excessif ?
Le fond de l’affaire ? On le savait numéro 2 du parti de la lampe et infatigable critique du gouvernement d’Aziz Akhannouch, voilà qu’on découvre Jamaâ Moâtassim aussi chargé de mission auprès du même Aziz Akhannouch.
De quelle mission est-il en charge auprès du chef du gouvernement ? Nul ne le sait à ce jour, Abdelilah Benkirane, Aziz Akhannouch et le principal concerné – qui n’a pas répondu à nos appels – n’ayant pas jugé utile de le préciser. Toujours est-il que le premier secrétaire général adjoint de la formation islamiste a deux chefs : Abdelilah Benkirane au PJD et son adversaire Aziz Akhannouch en tant que cabinard.
Pris entre le marteau du parti (qui s’oppose au RNI) et l’enclume de ses propres intérêts dictés par son poste auprès du chef du gouvernement, l’homme n’est pas exempt de contradictions, comme en témoigne un pamphlet dans lequel il fustigeait, quelques jours avant l’éclatement de l’affaire, cet exécutif « incapable de suivre le rythme des réformes lancées sous le gouvernement de Benkirane en 2015 », l’accusant de faire usage de « procédés dilatoires » au lieu de faire face « aux défis posés par un contexte national, régional et international difficile ».
Lors de cette réunion organisée le 21 octobre par le groupe parlementaire du PJD, l’ancien maire de Salé a poursuivi sa diatribe en vilipendant également le recours du gouvernement à la « corruption » des élites – au premier rang desquelles les médias, les syndicats et « certains groupes » - pour tenter d’acheter leur « silence ».
Benkirane était au courant
La situation de Jamaâ Moâtassim est d’autant plus embarrassante que même ses « frères » du parti ignoraient que le numéro 2 de leur parti occupait le poste de « chargé de mission » auprès d’Aziz Akhannouch, considéré par Abdelilah Benkirane comme l’artificier du blocage gouvernemental à l’origine de son éviction par Mohammed VI en mars 2017. C’est cette colère au sein du parti qui a poussé le secrétaire général à sortir de son silence le 26 octobre.
Affirmant avoir donné son feu vert à Jamaâ Moâtassim pour accepter le poste « proposé » par Aziz Akhannouch, Benkirane estime « qu’il ne voit pas d’inconvénient » à ce que son adjoint, qu’il juge compétent et intègre, « aide le chef du gouvernement dans l’intérêt du pays ».
Un argument qui ne convainc pas. Pas même certains partisans d’Abdelilah Benkirane, comme le politologue Bilal Talidi pour qui « continuer à occuper le poste actuel conduira à la défaite du parti » et même « à effacer le parti de l’attention des gens ». Invitant le lieutenant de Benkirane à quitter le cabinet du chef du gouvernement, l’ancien éditorialiste d’Attajdid, le défunt porte-voix de la formation islamiste critique même la formulation du communiqué du patron du PJD : « J’aurais souhaité que la clarification ne soit pas publiée sous cette forme contestable... Cette clarification, à mon avis, est en dehors de la logique de la politique, dont elle contredit les règles ».
La politique, enfonce-t-il le clou « a ses règles » et « ceux qui s’engagent, intellectuellement et politiquement, dans le parti surveillent son engagement envers ces règles. Ils comprennent qu’on s’excuse et qu’on corrige mais ils n'acceptent jamais d'enfreindre les règles et de justifier l’injustifiable ».
« Il continue de critiquer Akhannouch »
Piqué au vif par les critiques émanant de son écurie politique, l’ancien chef du gouvernement menace même de rendre le tablier. Dans son live, l’homme, qui agonit depuis le patron du RNI de reproches dans la majorité de ses interventions depuis six ans, persiste et signe : il n’y voit toujours pas d’inconvénient. D’autant plus que c’est Aziz Akhannouch qui lui avait demandé « de rester auprès de lui ».
Qu’en est-il alors de l’opposition que le PJD est censé mener contre le RNI ? Le chef du PJD sort de son chapeau l’argument de l’intérêt national : « Je ne suis pas partisan de l’opposition ou du soutien », explique-t-il, arguant que son parti « incarne une opposition contre la corruption […] mais pas une opposition contre notre pays ni contre son gouvernement ».
Il en veut pour preuve son soutien à Saâdeddine El Otmani après sa signature de l’accord rétablissant les relations avec Israël, lui qui avait appelé, le 17 septembre, ses troupes à s’élever contre cette normalisation « sans se battre avec l’État ».
« Il est vrai que Si Aziz Akhannouch est un adversaire politique, mon adversaire politique d'abord, car il était derrière le blocage gouvernemental, mais je le connais, je connais ses circonstances et parfois il agit contre ses convictions […] En tant que chef du gouvernement, il n’est plus un adversaire », se justifie-t-il encore.
Quant à Jamaâ Moâtassim, il continue de se murer dans le silence. Selon Benkirane, son adjoint aurait voulu que la « clarification » émane du chef du gouvernement lui-même mais ce dernier lui aurait signifié que la campagne sur les réseaux sociaux serait l’œuvre « des siens ».
« Ssi Aziz, c’est toi qui as demandé à Ssi Jamaâ de rester. Vous auriez dû le défendre. Moi, je le fais », s’adresse-t-il à son adversaire politique, prenant le soin de préciser que le chargé de mission n’en continue pas moins de « critiquer Aziz Akhannouch et son gouvernement ».
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