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n°991.Assaut « 15/9 » sur Ceuta, révélateur d’une jeunesse déboussolée et sans horizon

16.09.2024 à 12 H 53 • Mis à jour le 16.09.2024 à 23 H 34 • Temps de lecture : 11 minutes
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Des centaines de candidats à l’émigration irrégulière, des Marocains et des ressortissants d’autres pays africains ont tenté, le 15 septembre, de rallier l’enclave espagnole de Ceuta, à l’appel de messages sur les réseaux sociaux. Parmi eux beaucoup de mineurs et de jeunes en situation NEET (ni à l'emploi, ni en éducation, ni en formation), une catégorie particulièrement vulnérable

« Nous sommes le 15-9 », « Espérons le 15-9 » ou « 15-9 Fnideq-Ceuta »  : Depuis plusieurs semaines une campagne virale d’incitation à prendre d’assaut l’enclave espagnole de Ceuta à partir de Fnideq présageait de la vive tension vécue les 14 et 15 septembre, où le déploiement massif des forces de sécurité, en alerte, a contenu l’afflux de plusieurs centaines de jeunes ayant répondu à l’appel sur les réseaux sociaux, notamment Tik Tok.


Les images relayées sur Internet illustre l’ampleur du rassemblement de jeunes Marocains dont beaucoup de mineurs non accompagnés, mais aussi d’Algériens et de diverses autres nationalités, dont des Subsahariens qui ont convergé vers Fnideq pour la plupart par train via Tanger ou en autocar. Sur les lieux, un important dispositif de sécurité avait été installé depuis une semaine : plusieurs contingents de la police nationale, de la Gendarmerie royale et des Forces auxiliaires avec des centaines d'agents et de véhicules anti-émeutes, ainsi que huit vedettes ont été mobilisées pour enrayer l’assaut vers les barrières frontalières.


200 à 400 jeunes déterminés à forcer le passage

Malgré les interpellations préventives dans les transports, la gare ferroviaire de Tanger et la gare routière de Tétouan, au niveau des barrières et points de contrôle qui jalonnent les routes d'accès, deux vagues successives de 200 à 400 jeunes ont été enregistrées, l’une dans la matinée a été tentée contre la clôture brisant la première barrière de séparation avec l’enclave, l’autre le soir, mais sans qu’aucun candidat à la migration n’ait pu atteindre le territoire contrôlé par l’Espagne.


De sources policières espagnoles citées par la presse « le Maroc a garanti le retour immédiat de ceux qui franchiraient la clôture ». Dissuadés de passer le col terrestre de Tarajal et atteindre la clôture d’enceinte, quelques jeunes assaillants ont provoqué quelques heurts avec les forces de sécurité avant d’être arrêtés et refoulés de la zone vers l’intérieur du pays. D’autres, encore regroupés sur les pistes forestières et les montagnes près de Ceuta, sur la route qui mène à Fndieq et même sur l'autoroute de Tanger ont peu à peu été dispersés. Malgré que les autorités aient intensifié la surveillance aux digues de Tarajal et Benzú pour empêcher les entrées de baignade, des groupes de personnes tentant de nager ont également été interceptés sur les plages de Fnideq et Belyounech où a été retrouvé le corps d'un Marocain qui se serait noyé.


Ces derniers jours, au moins 60 personnes avaient déjà été arrêtées pour incitation et organisation d'une « opération massive d'immigration clandestine » sur les réseaux sociaux. Il a été détecté que les appels à l’assaut du « 15/9 » provenaient de différentes localités et villes du Maroc, mais aussi de l’International. Les autorités marocaines ont également signalé avoir expulsé cette semaine 39 migrants irréguliers de nationalité algérienne et tunisienne qui envisageaient d'entrer illégalement à Ceuta.


Des forces de sécurité déployées à Fnideq pour juguler les tentatives de passage à Ceuta (Archive). Crédit: Mohamed Siali / EFE


Les autorités marocaines ont assuré qu'au cours du mois dernier, les forces de sécurité ont empêché 14 648 migrants irréguliers d'entrer par effraction dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, de nager le long des côtes ou de sauter par-dessus les clôtures terrestres, ce qui représente près d'un tiers de toutes les tentatives avortées de migration clandestine depuis le début de l’année.


Si la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) enquête sur la forte augmentation des messages numériques incitant à l'entrée à Ceuta et Melilla au travers de « fausses nouvelles » comme celui de prétendre que l’opération Marhaba 2024 de retour en Europe des Marocains résidents à l’étranger après la période estivale serait propice à une infiltration des frontières, c’est la question de la situation sociale des jeunes et des mineurs, manipulables via les réseaux sociaux, qui inquiète.


Le président de la ville autonome de Ceuta, Juan Vivas a déclaré lors d’une émission radiophonique a noté que face à cette opération coordonnée sur les réseaux sociaux, si « le Maroc a mené une opération très notable pour neutraliser ces tentatives », « il y a un facteur constant, c’est que nous sommes la frontière terrestre de l’Europe et de l’Afrique, une frontière avec des différences de revenus abyssales ».  

 

Mais c’est surtout le facteur « jeunesse » qui interpelle, l'âge de ces candidats à l'émigration, dont une frange importante de mineurs ayant tenté l’aventure à l’insu de leurs parents éplorés, leur origine disparate sur le territoire national et leur perméabilité aux appels anonymes et incitateurs diffusés via les réseaux sociaux, notamment Tik Tok.


Les trois « ruptures » relevées par le CESE

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a récemment préconisé l'adoption d'une approche intégrée pour accélérer l'insertion socio-économique des jeunes, au nombre d’1,5 million, âgés de 15 à 24 ans, en situation NEET (ni à l'emploi, ni en éducation, ni en formation), une catégorie particulièrement vulnérable qui endure de multiples formes d'exclusion, en restant à l’écart du système éducatif, de la formation professionnelle et du marché du travail. Les résultats de son avis intitulé « Les jeunes NEET : Quelles perspectives d'inclusion socio-économique ? » sont éloquents.


Cette catégorie, notait l’étude, risque d’être confrontée dans sa vie à trois ruptures décisives, dont la première concerne le décrochage scolaire entre les niveaux du primaire et du secondaire collégial (plus de 331 000 élèves en moyenne chaque année) en raison principalement de l'échec scolaire et des difficultés d'accès aux établissements scolaires, en particulier dans le milieu rural, ainsi que du déficit important en matière d'offre de formation professionnelle, auxquels s'y ajoutent d'autres obstacles socio-économiques qui en amplifient les impacts (contraintes sociales, culturelles et familiales, mariage précoce des filles, travail des enfants, situation de handicap, etc.).


La deuxième rupture intervient lors du passage du système éducatif vers le marché du travail où les primo-demandeurs d'emploi, qui constituent près de 6 chômeurs sur 10, sont confrontés à plusieurs contraintes, à leur tête l'inadéquation de la formation avec les besoins du marché du travail et l'efficacité encore limitée des services d'intermédiation pour l'emploi, a-t-il expliqué, ajoutant que d'autres facteurs tels que la discrimination de genre et le poids des tâches domestiques pénalisent particulièrement les femmes qui représentent environ 73 % des NEET.


La troisième a lieu entre deux emplois, suite à une perte d'emploi en raison des aléas de la conjoncture et de la fragilité du tissu entrepreneurial ou à un arrêt volontaire de la carrière professionnelle des jeunes suite à des conditions de travail non décentes, combinées à des niveaux de rémunération en inadéquation avec leurs profils et leurs compétences.


L’impératif du « repérage »

Sur la base de ce diagnostic et en vue de résorber ce phénomène et d'accélérer l'insertion socio-économique de cette catégorie de jeunes, le CESE avait préconisé l'adoption d'une approche intégrée se déclinant sur cinq axes, dont le premier concerne le renforcement des capacités de repérage et de suivi des jeunes NEET à travers la création d'un système d'information national avec une déclinaison régionale pour le repérage et le suivi de leurs parcours, qui regroupe des données croisées de sources multiples (RSU, statistiques relevant des secteurs impliqués, etc.).


Il s'agit aussi de la mise en place d'un écosystème élargi pour accueillir et orienter les jeunes NEET vers des options personnalisées répondant à leurs besoins spécifiques, en développant un réseau dense de points d'accueil, d'écoute et d'orientation s'étendant sur l'ensemble des collectivités locales et régi par une charte unifiée qui préciserait les rôles, les activités et la répartition des responsabilités entre les différents acteurs impliqués.


Il sera, toujours selon le CESE, aussi question d'améliorer la qualité et l'efficacité des services et programmes d'insertion des jeunes NEET, en facilitant leur réintégration dans le système éducatif ou de formation, en améliorant leur employabilité et en les assistant pour trouver des opportunités d'emploi tout en instaurant des dispositifs de contractualisation appropriés avec le secteur privé ou le tiers-secteur, outre un accompagnement en pré et post création d'entreprises.


Le CESE recommande également la mise en place de mesures préventives pour éviter que de nouvelles catégories de jeunes ne se retrouvent en situation de NEET et ce, en garantissant l'effectivité de l'obligation de scolarisation jusqu'à 16 ans, en mettant en place les mesures de rétention et de réinsertion nécessaires, avec une implication poussée des parents et des parties prenantes concernées au niveau local  en généralisant les écoles communautaires en milieu rural, tout en veillant à renforcer leurs équipements et à étendre la couverture des services de transport scolaire  et en renforçant l'offre publique de formation professionnelle en milieu rural, en adaptant les spécialisations aux besoins de chaque région et de chaque territoire.


Il s'agira enfin de mettre en place un cadre de gouvernance, caractérisé par une cohérence et une complémentarité optimale entre les divers programmes, ainsi qu'une coordination continue et efficace entre les différentes parties prenantes concernées.


25 % de la jeunesse en risque de déclassement

De son côté, le Haut-Commisariat au Plan (HCP) avait abondé dans une récente analyse sur la situation critique des NEET au Maroc, dessinant un portrait plus détaillé de ces jeunes en marge de l’éducation/formation et qui n’arrivent pas à accéder au marché du travail. Le HCP a mis également en avant les facteurs déterminants, ou facteurs de risque, pour les jeunes exposés aux trois ruptures mentionnées par le CESE.


« Au Maroc, les jeunes âgés de 15 à 24 ans constituent un groupe important, représentant environ 39 % de la population âgée de moins de 25 ans. Ce potentiel démographique recèle un dynamisme et une créativité précieux pour le développement du pays », notait le HCP, cependant, ce potentiel échappe à la fois aux écoles et au marché de l’emploi, alors que plus du quart (25,2 %) de la jeunesse marocaine est confrontée aux défis de l’accès à l’emploi et de l’inclusion sociale.


Jeunes en situation de NEET. Source: HCP. Infographie: Le Desk


Plus de la moitié (51,4 %) de ces jeunes vivent en milieu urbain, 85 % d’entre eux vivent dans des ménages dirigés par un homme et 87 % des chefs de ménage ne possèdent aucun diplôme.  Un autre chiffre primordial est fourni : 72,4 % de ceux-ci sont inactifs ne manifestant pas d'intérêt actif pour l'insertion professionnelle, tandis que 27,6 % sont au chômage.  Ainsi, alors que l’échec scolaire, la pauvreté et l’exclusion sociale figurent parmi les facteurs qui contribuent à la situation, « une analyse plus approfondie des données révèle une distinction notable entre les jeunes NEET au chômage et ceux inactifs ce qui soulève des interrogations sur les politiques de promotion de l'emploi et de l'activité économique, ainsi que sur les dispositifs d'accompagnement des jeunes vers l'emploi et la formation », soulignait le HCP.


Le contexte et le modèle familiaux en question

L’institution qui accorde depuis quelque temps une attention plus particulière à la question de l’emploi, surtout avec les récents pics du chômage, expose également un autre facteur important :  le contexte et le modèle familiaux. En effet, l’analyse du HCP permet d’identifier des facteurs de risque qui font que certains jeunes sont plus susceptibles à se retrouver dans une situation de NEET que d’autres, et à leur tête arrive la situation du chef du ménage. En gros, les jeunes vivant dans des ménages dont le chef n’a aucun diplôme ont deux fois plus de risques d'être NEET que ceux vivant avec un chef de ménage titulaire d'un diplôme supérieur, alors que ce risque est de 17,7 % plus élevé quand le chef de ménage est inactif. Cela met en évidence « l'importance du contexte familial et socio-économique dans les trajectoires des jeunes », note le document.  Un autre facteur déterminant reste le niveau d’éducation du jeune : le risque est 15 fois plus élevé pour ceux dont le niveau d'éducation n'excède pas le primaire par rapport à ceux ayant un niveau d'études supérieur. Ce risque est aussi considérablement réduit pour les jeunes ayant atteint le niveau secondaire collégial ou qualifiant.


L’assaut « 15/9 » sur Ceuta, révélateur d’une jeunesse déboussolée et sans horizon, illustre la situation dans laquelle l’Exécutif se trouve dans le contexte d’une rentrée politique et sociale chaude, sur fond de dossiers brûlants, dont l'emploi avec un taux de chômage de plus de 35,9 % observé chez les jeunes, selon les dernières statistiques du HCP.

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