n°1018.Défiscalisation des retraites : une mesure illusoire ?
Un amendement portant sur la défiscalisation des pensions de retraites a été introduit cette semaine au projet de loi de finances (PLF) au titre de l’année 2025. Adopté à l’unanimité, cet amendement de l’article 57 du Code général des impôts, vise à exonérer de l’impôt sur le revenu (IR) les pensions et les rentes viagères rentrant dans les régimes de retraite de base.
La formule proposée par l’Exécutif, les groupes de la majorité et la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), qui a été adoptée, prévoit la réduction de 50 % de l’IR sur les pensions de retraite et rentes viagères en 2025, en vue d’une suppression totale de cet impôt en 2026.
Cette mesure, qui devrait coûter à l’État 1,2 milliard de dirhams, vise, comme expliqué par Fouzi Lekjaa, ministre chargé du Budget à « alléger la charge fiscale des retraités et à renforcer leur pouvoir d’achat ». Elle interviendrait ainsi en réponse aux revendications exprimées par ceux-ci.
Or, à en croire Brahim Belghazi, président de l’Association des retraités de la Direction générale des impôts, « cette mesure n’est qu’une simple manœuvre pour détourner l’attention des réelles revendications des retraités, et à leur tête l’augmentation des pensions ».
93 % des retraités ne sont pas concernés
Selon ce militant, cette mesure n’a aucun impact réel sur la situation des retraités, « dont 93 % sont déjà exonérés de l’impôt, simplement parce que leurs pensions après déductions de l’abattement fiscal et des charges sociales sont en-deçà du minimum imposable ». En effet, le seuil d’imposition, fixé auparavant à 30 000, sera relevé en 2025 à 40 000 dirhams par an (DH/an), soit 3 334 dirhams/mois, tandis que « la triste réalité est que la majorité des retraités au Maroc ont des pensions plus maigres que la pension minimale imposable ». Par conséquent, « la suppression de l’IR ne concerne que les grandes grosses pensions », ajoute Belghazi.
C’est ce que souligne à son tour Mohamed Rahj, fiscaliste et ancien président de l'Université Hassan Ier de Settat, « cette mesure ne concerne qu’une catégorie de retraités, qui ne sont que la petite minorité. Les pensions retraites étant plafonnées aussi bien au public qu’au privé, ce sont surtout les haut-fonctionnaires de l’État, les anciens ministres, les secrétaires généraux, les directeurs centraux, les professeurs d’universités.... Les autres se trouvaient automatiquement au niveau de la tranche exonérée, ou plus précisément soumise à un taux de 0 % de l’IR. 50 % de 0 % ça reste 0 % », ironise le fiscaliste.
D’après les deux interlocuteurs, loin d’alléger la pression sur les retraités à revenu faible et renforcer leur pouvoir d’achat, la mesure adoptée ne fait qu’accentuer les inégalités. « Ce qui se passe actuellement c’est qu’une personne qui touche une pension de 20 000 dirhams se verra rajouter 446,11 dirhams en 2025 recevra 961,76 DH en 2026, tandis que rien ne va changer pour un retraité qui touche 1 500 dirhams », déplore Belghazi.
Un coup de com’ politique
Loin de répondre aux revendications des retraités, l’Exécutif aurait choisi la voie de la défiscalisation pour éviter la question de la revalorisation des pensions. « Le jeu du gouvernement sur le plan politique, comme ça l’a été pour les salariés, est d’utiliser l’outil fiscal pour augmenter le revenu net sans qu’il y ait une réelle augmentation », explique Rahj.
Cependant, cette équation n’a pas tout à fait le même résultat pour les retraités, simplement parce que « dans la plupart des cas ce sont des pensions de misère », à la base non-imposables. « Sur le plan politique et communication, le gouvernement exploite très bien cette décision qui ne va pas lui coûter tellement cher en disant : « voilà le gouvernement et le patronat qui s’intéressent aux retraités ». Mais quels retraités ? », s’interroge cet interlocuteur. Selon ce fiscaliste, au vu du 1,5 million de retraités que compte le pays et les 150 000 personnes réellement concernées par cette mesure, la proportion est « insignifiante ».
« On essaie de nous jeter de la poudre aux yeux », s’indigne à son tour Belghazi, pour qui la question fondamentale demeure celle de la revalorisation des pensions. « Les retraités qui ont manifesté devant le parlement revendiquaient une augmentation des pensions et non pas une réduction de l’impôt. Nous voulons une révision sérieuse du régime des pensions, nous n’avons jamais demandé de ne pas payer l’impôt », clame le président de l’Association des retraités de la DGI, qui va même à considérer l’exonération décidée par le gouvernement comme étant « à l’encontre de la Constitution ».
Un point de vue que partage également Rahj : « l’article 39 de la Constitution est clair, dans le sens où il stipule que tous les citoyens doivent contribuer au financement des charges publiques, chacun selon sa capacité contributive. De ce fait, un retraité qui reçoit 40 000 dirhams/mois a une capacité élevée et donc doit contribuer davantage et non pas être exonéré ». Les mesures comme celle nouvellement adoptée, ajoute cet interlocuteur introduisent « de graves distorsions et inégalités ».
La question fondamentale esquivée
Outre l’aspect inégalitaire et vain de la défiscalisation des pensions de retraite, ce fiscaliste soulève un autre aspect problématique : l’impact de cette mesure sur les caisses de l’État. Si le 1,2 MMDH qui échappera désormais à ces caisses, « n’est pas si important lorsqu’on parle d’un budget de plus de 700 MMDH, cela reste toutefois un manque à gagner pour l’État, au moment où on essaie de mobiliser chaque dirham pour financer les réformes en cours », indique Rahj, estimant « indirectement, ceux qui payent actuellement leurs impôts seront sollicités de nouveau pour payer plus ».
Au-delà de ces considérations, la question fondamentale qu’est la revalorisation des pensions demeure posée. En effet, les retraités militent depuis des années pour l’augmentation du montant minimum des pensions, mais aussi le règlement de « certains dossiers en suspens depuis près d’une décennie », comme expliqué auparavant par Belghazi. Parmi ces dossiers qui bloquent, l’application des mesures introduites dans le cadre réforme du régime des pensions civiles enclenchée en 2017, et notamment la révision du coefficient s'appliquant au salaire de référence pour le calcul de la pension passé à l’époque de 2,5 % à 2 %.
« L’application de ces mesures aurait permis une augmentation tacite et générale de jusqu’à 3 000 DH des pensions pour l’ensemble des catégories des retraités. Or, la CMR, qui trouve toujours un moyen pour interpréter les lois à sa guise et esquiver la revalorisation des indemnités, n’a pas appliqué cette augmentation sous prétexte que le salaire brut qui sert à prélever l’impôt, à prélever la retraite et à calculer la pension n’est plus utilisé, et qu’elle se base désormais sur le salaire de base », étayait au Desk le président de l’Association des retraités de la DGI.
C’est ce que souligne à son tour Mohamed Rahj, pour qui seule la revalorisation des pensions permettrait d’améliorer le pouvoir d’achat et les conditions de vie des retraités. « L’unique mesure qui comptera réellement, quitte à ce que l’État intervienne avec des subventions, est que les caisses de retraites revoient à la hausse les sommes touchées par les retraités, au moins pour les ajuster au taux d’inflation cumulé au titre des dernières années », affirme-t-il.
Une autre question fondamentale, ajoute le fiscaliste, demeure celle de la réforme globale des caisses de la retraite : « C’est le grand dossier qui a été évité à ce jour. Comme ça a été le cas pour la loi sur la grève (un dossier resté en suspens pendant de longues années, avant que la loi organique sur la grève ne soit adoptée cette semaine, ndlr), le gouvernement doit tacler la réforme des caisses de retraite et trouver des solutions les sauver, parce que l’État assume une grande partie de la responsabilité pour la situation actuelle de ces caisses ».
Contactée par nos soins, une source à la Commission des finances, de la planification et du développement économique relevant de la Chambre des conseillers, indique que cette mesure constitue « un premier pas. Après, on verra ce que réforme de la retraite, qui va s’accélérer après cette loi de finances, va apporter. Mais ça reste un plus, et il faut le voir de cet angle ». Et d’ajouter : « Nous avons essayé de pousser pour que la retraite complémentaire soit aussi incluse dans cette exonération, mais cela n’a pas été accepté pour des raisons budgétaires ».
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