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n°142.Emmanuel Macron est-il vraiment « l’ami de l’Algérie » ?

10.05.2017 à 14 H 30 • Mis à jour le 10.05.2017 à 14 H 30 • Temps de lecture : 6 minutes
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Avec Macron, l’Algérie appelle clairement Paris à ouvrir une nouvelle page de leur histoire commune en avançant sur la question mémorielle. Autrement dit, le pays attend que le nouveau président français renouvelle et officialise ses propos sur colonisation. La déclaration officielle de Abdelaziz Bouteflika diffusée après la victoire du candidat d’En Marche exprime aussi à sa façon l’embarras d’Alger. Décryptage

Si le monde entier a salué la victoire d’Emmanuel Macron, le président Bouteflika s’est montré particulièrement élogieux à l’égard du nouveau chef d’État français. « Le peuple français qui a su choisir en vous l’homme d’État, de cœur et d’esprit, capable de présider à ses destinées dans cette conjoncture difficile (…), a, ce faisant, fort opportunément distingué un ami de l’Algérie », peut-on lire dans cette déclaration officielle. La présidence algérienne salue également les « anticipations et initiatives » du nouveau chef d’État français. Son « attitude pionnière » le place « dans la position-clé de protagoniste (…), du parachèvement d’une réconciliation authentique entre nos deux pays ».


Au-delà du style ampoulé, propre à ce type de message, Alger appelle clairement Paris à ouvrir une nouvelle page de leur histoire commune en avançant sur la question mémorielle. Autrement dit, l’Algérie attend que le nouveau président renouvelle et officialise ses propos sur colonisation.


Une première sur la colonisation

En février, Emmanuel Macron avait accordé une interview à la chaîne Echorouk News dans laquelle il qualifiait la colonisation de « crime contre l’humanité ». Sur ce sujet, jamais un homme politique français n’était allé aussi loin.


| LIRE AUSSI : Relations algéro-françaises : ce que disait Emmanuel Macron en février


Mais en France, les mots de Macron déclenchent l’hystérie d’une partie de la classe politique. « Cette détestation de notre histoire, cette repentance permanente est indigne d’un candidat à la présidence de la République », assène François Fillon en meeting. Quant au FN, qui cultive la nostalgie de l’Algérie française, il vante les bienfaits de la colonisation. « Crimes contre l’humanité, M. Macron, les routes, les hôpitaux, la langue française, la culture française ? Stop à cette repentance permanente ! », écrit le vice-président du parti, Florian Philippot. Dans la société civile, les pieds-noirs et leurs descendants se sentent insultés, humiliés.


Bref, ces réactions montrent ô combien le sujet est toujours aussi clivant et extrêmement sensible en période électorale. Le candidat à l’Élysée n’a plus le choix. Il doit s’expliquer, nuancer, quitte à rétropédaler. Il n’est désormais plus question de parler de « crime contre l’humanité », trop connoté, mais de « crime contre l’humain ». Surtout, il n’est pas question de repentance ou d’excuses.


Une affaire de génération

Sur un dossier aussi sensible, le jeune candidat s’est peut-être montré un peu trop en avance sur son temps. Certes, Emmanuel Macron appartient à une génération qui n’a pas connu la guerre d’Algérie et plutôt favorable à une reconnaissance officielle des crimes commis par la France. Une enquête réalisée par l’Ifop pour TSA en février indiquait que 67 % des moins de 35 ans validaient les propos du candidat d’En Marche !. Mais cette nouvelle génération doit aussi composer avec celle qui a connu la guerre d’Algérie.


| LIRE AUSSI : Une majorité de Français favorables à des excuses sur le passé colonialiste de la France en Algérie


En outre, certains observateurs arguent que le prétendant à la magistrature suprême avait un intérêt électoral à tenir ces propos. La France compte plus d’un million de binationaux et donc d’électeurs potentiels. A contrario, ses alliés jurent que Macron était sincère. « Je crois le connaître suffisamment pour savoir qu’il n’a pas dit ça pour faire plaisir à ses amis algériens. Il l’a fait parce qu’il le pense »confiait à TSA, quelques jours avant le premier tour de la présidentielle, son ami Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC.


Candidat versus président

Aujourd’hui élu président dans un pays très divisé, Emmanuel Macron prendra-t-il le risque de remettre sur la table un dossier aussi électrique ? Il est désormais confronté à la réalité de l’exercice du pouvoir et doit notamment constituer une majorité au Parlement. Il est donc peu probable qu’il puisse se mettre à dos la droite avec laquelle il pourrait être contraint de gouverner. Dans ce contexte, il risque de porter un coup violent aux attentes d’Alger sur la question mémorielle.


Mais la déception aura un air de déjà-vu. En mai 2012, les années Sarkozy laissaient place à l’ère Hollande qui devait ré-enchanter la relation bilatérale. Si Paris se félicite de la « relation exceptionnelle » de ces cinq dernières années entre les deux pays, le bilan est nettement plus nuancé. Les investissements français en Algérie diminuent depuis trois ans, les promesses d’accords économiques « gagnants-gagnants » n’ont pas (ou peu) porté leurs fruits.


Il serait évidemment malhonnête de faire porter cet échec sur les épaules de l’ancien ministre de l’Économie de François Hollande désormais président, mais l’enthousiasme de la présidence algérienne pose toutefois des questions. Car contrairement à François Hollande qui a toujours revendiqué un lien particulier avec l’Algérie (étudiant à l’ENA, il effectue un stage de huit mois à l’ambassade de France à Alger, puis il y retournera plusieurs fois avant de devenir président, quant à ses parents ils s’opposaient sur la question de l’Algérie française), « l’ami de l’Algérie » a peu de liens avec le pays. De façon officielle, il ne s’est rendu qu’une seule fois à Alger, en avril 2016 quand il était ministre avant d’y retourner en février dernier sous l’étiquette de candidat à l’Élysée.


| LIRE AUSSI : Paris-Alger : plus de paroles que d’actes


Un soutien de circonstance

En réalité, il ne faut pas oublier que ce sont surtout les circonstances qui ont poussé Alger, ces derniers mois, à soutenir Emmanuel Macron. Le candidat de droite François Fillon a toujours exclu l’idée de repentance, et assimile la colonisation à un partage de culture. “Non, La France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord”, avait-il déclaré en août 2016.


Quant à la candidate du Front national Marine Le Pen, qualifiée au second tour de la présidentielle, elle est contre l’idée que la France s’excuse de son passé colonial, et continue, elle aussi, de vanter les mérites de la colonisation.


| LIRE AUSSI : Marine Le Pen : une haine anti-algérienne 


La déclaration officielle de la présidence diffusée après la victoire du candidat sans étiquette exprime aussi à sa façon l’embarras d’Alger. Macron est qualifié d’ami de l’Algérie, pas la France. D’ordinaire, ce type de message protocolaire qui salue une victoire électorale salue un « État ami », « un partenaire » ou encore « un allié », rarement d’une personne. Peut-être une façon détournée de faire comprendre une certaine amertume…

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