n°107.La nouvelle donne au Sahara décryptée par Khadija Mohsen-Finan
Dans une interview accordée au Monde, Khadija Mohsen-Finan, politologue spécialiste du Maghreb, chercheuse à l’université Paris-1 décrypte les nouveaux enjeux au Sahara occidental. Pour elle, le Maroc qui a choisi « un nouveau cap » diplomatique fait face à de nouveaux défis.
Cela fait bien des années que Khadija Mohsen-Finan suit de près le conflit du Sahara occidental qui oppose le Maroc à ses adversaires du Polisario, « soutenus à bouts de bras » par le régime d’Alger.
Le royaume plus conciliant avec l'ONU
Depuis quelques mois, la situation a connu une sorte d’accélération de l’histoire. D’abord par le volontarisme de Rabat qui a décidé de ne plus se contenter du simple statu quo en organisant à marche forcée son retour sur la scène africaine. Mais le royaume qui se montre plus conciliant avec l’ONU, n’a pourtant pas changé d’un iota sur ses positions exprimées depuis 2007 : le conflit ne pouvant être plié que par l’adoption du plan d’autonomie que le Polisario redoute tant.
« Les Sahraouis auraient tout à gagner à une autonomie à condition qu’elle leur donne de réelles prérogatives. Ils passeraient d’acteur qui se maintient sur plan régional et international à acteur qui a gagné sa place », analyse Mohsen-Finan expliquant que cette voie n’est pas forcément la moins ardue pour le Maroc qui devra dès lors composer avec une entité territoriale agissante et marquée par une forte identité et des richesses non négligeables. Un point de vue partagé par d’autres analystes qui font remarquer que le Maroc ne fait plus beaucoup cas des modalités toujours imprécises de cette autonomie, si ce n’est de la considérer dorénavant dans un cadre plus large d’une régionalisation avancée au rythme incertain.
Un nouveau « style Guterres »
Aussi, les prochaines échéances pourraient être cruciales pour ce dossier vieux de quarante ans. A l’ONU, Antonio Guterres veut faire bouger les lignes et en finir avec l’attentisme qui a marqué l’ère de Ban Ki-moon. Le départ officialisé de Christopher Ross cadre parfaitement avec ce nouveau calendrier dont la date à retenir sera celle du rendu du prochain rapport du secrétaire général au Conseil de sécurité prévu en avril.
Sur Guterres, Mohsen-Finan souligne une politique plus engagée. « Il se présente en homme de paix, dit qu’il veut débarrasser l’ONU de son carcan bureaucratique. Jusqu’ici, les responsables onusiens se sont réfugiés derrière cette bureaucratie pour balayer les propositions novatrices, comme celles de James Baker dans les années 2000, et de Christopher Ross plus récemment. Il s’agissait de ne vexer personne : ni Rabat, ni Alger », décrypte la spécialiste qui a vu dans l’appel du nouveau secrétaire général aux deux parties à l’aune de la crise de Guerguerat un style novateur dans la gestion des tensions épisodiques.
Le Polisario à bout de souffle
Face au Maroc, le Polisario a connu un changement à sa tête après le décès de son chef historique, Mohamed Abdelaziz. Son remplaçant, Brahim Ghali multiplie les opérations symboliques mais au demeurant belliqueuses, voulant ainsi démontrer une sorte de capacité de résilience d’un mouvement à bout de souffle. « Il ne veut pas donner le sentiment de lâcher du lest. Il n’en a d’ailleurs ni les moyens, ni la volonté. Or le mouvement est très affaibli. Il se contente de continuer d’exister car il est soutenu à bout de bras par l’Algérie », lâche Mohsen-Finan pour justifier la nouvelle ligne dure de la direction du Polisario.
Quant à l’Algérie qui traverse une sévère crise économique et de gouvernance, la chercheure demeure convaincue sur le fait que la période post-Bouteflika ne changera rien à la donne : « Le régime algérien ne changerait pas de position. Dans ce système tricéphale – présidence, Etat-major, renseignement –, le Sahara occidental a toujours été la chasse gardée de l’armée, comme tout ce qui touche à la question des frontières et à la relation Maroc-Algérie », explique-t-elle, rappelant que le conflit a cristallisé les différends entre les deux poids lourds du Maghreb au détriment d’autres contentieux, notamment celui des frontières qui avait amené les deux armées à s’affronter directement durant la Guerre des Sables de 1963.
Trois options toujours sur la table
L’équation à résoudre reste donc la même, et les options au nombre de trois : « Celle d’un Etat sahraoui indépendant, celle d’une confédération et celle d’une autonomie dans le royaume marocain », rappelle Khadija Mohsen Finan qui penche pour celle défendue par Rabat, mais sous conditions : « Je pense que la troisième option est la plus réaliste. Mais pas comme le Maroc l’a jusqu’ici présentée. Il faut que cette autonomie soit négociée, que la population puisse être consultée et que l’accord qui en sortira soit réellement mis en œuvre ».
La conjoncture est cependant propice pour sortir de l’enlisement perpétuel. « On est à la veille du vote pour le renouvellement du mandat de la Mission des Nations unies au Sahara occidental (Minurso), et de la présentation par le secrétaire général de l’ONU du rapport sur la situation au Sahara occidental », prévient la spécialiste.
Le « style Guterres » pourrait « introduire des nouveautés », traduites par des exigences claires aux deux parties, et nous ramener à la période Baker durant laquelle le diplomate américain avait innové, certes sans pour autant convaincre les belligérants, notamment sur la deuxième mouture de son plan qui conciliait autonomie et référendum à terme. Reste aussi le volet « droits de l’Homme » pour lequel le Maroc s’est toujours montré intransigeant et à propos duquel Khadija Mohsen-Finan s’interroge.
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