Le bloc notes de la rédaction

Le Maroc, eldorado des chasseurs de météorites (ouvrage)
Dès les années 1990, le Maroc est devenu une plaque tournante de la collecte de météorites, un phénomène décrit dans le nouveau livre d’Helen Gordon The Meteorites : Encounters with Outer Space and Deep Time, comme une véritable « ruée vers l’or saharien ». L’essor du commerce des météorites est le résultat de plusieurs facteurs combinés : d’abord, les conditions géographiques et climatiques du Sahara qui facilitent la découverte et la conservation de ces fragments extraterrestres. Contrairement aux régions humides et boisées où les météorites se dégradent rapidement, le désert marocain offre un environnement idéal pour les préserver. Comme cité dans l’ouvrage, des milliers de météorites y reposeraient encore, en attente d’être découvertes.
Le Maroc bénéficie également d’une tradition marchande bien ancrée, avec des réseaux de commerçants spécialisés dans les minéraux, les fossiles et les objets archéologiques. Ces réseaux ont permis une expansion rapide du commerce des météorites, notamment dans des villes comme Erfoud, surnommée « la porte du Sahara », où les boutiques affichent des vitrines de fragments célestes à destination des touristes et collectionneurs.
Le marché des météorites a attiré de nombreux chasseurs, parfois au péril de leur vie. « En 2017, il y a eu une chute en juillet alors qu’il faisait extrêmement chaud et l’armée nous a rapporté que deux personnes sont mortes parce qu’elles n’avaient pas assez d’eau et ne savaient pas où elles étaient », raconte la scientifique marocaine Hasnaa Chennaoui Aoudjehane, citée dans l’ouvrage.
L’absence de régulation a également encouragé l’exploitation économique des météorites marocaines par des marchands étrangers, qui les acquièrent à bas prix avant de les revendre à des sommes astronomiques sur le marché international, un constat soulevé par la chercheuse qui insiste sur l’importance de préserver une partie de ces trésors nationaux au Maroc, plutôt que de les voir systématiquement partir à l’étranger.
Voyage du désert marocain aux laboratoires
Loin d’être un simple phénomène commercial, la chasse aux météorites au Maroc a également contribué à d’importantes avancées scientifiques. Les fragments célestes retrouvés dans le désert ne sont pas seulement prisés pour leur valeur marchande, mais aussi pour les précieuses informations qu’ils renferment. Plusieurs découvertes majeures ont ainsi émergé des vastes étendues sahariennes, permettant aux chercheurs d’explorer l’origine de l’eau sur Mars et les conditions de formation des planètes. Parmi ces trouvailles exceptionnelles, certaines météorites marocaines ont marqué l’histoire de la recherche scientifique et continuent de livrer de nouveaux secrets.
Black Beauty, la météorite datant de plus de 4 milliards d'années qui a été retrouvée au Maroc en 2011 et considérée par les scientifiques comme une preuve de l’existence de l’eau sur Mars, est revenue récemment aux devants de la scène médiatique avec la sortie d’une étude récente qui a apporté des éléments supplémentaires sur la présence d’eau dans la croûte martienne. En analysant un fragment de la météorite Black Beauty les chercheurs ont identifié des traces d’eau datant de 4,45 milliards d’années, soit à peine 100 millions d’années après la formation de Mars. Aussi appelé « Northwest Africa 7533 » ou « NWA 7533 », Black Beauty pèse 320 grammes et a été découverte dans le désert occidental du Sahara, près de Bir Anzarane.
Dans le détail, l’équipe a étudié le minéral zircon présent dans la météorite. L’analyse spectroscopique a révélé la présence inhabituelle de fer, d’aluminium et de sodium, suggérant une interaction précoce avec l’eau.Ces résultats renforcent l’hypothèse que Mars a pu être habitable dans un passé lointain, à une époque comparable aux premières traces d’eau sur Terre.
Tombée au Maroc en juillet 2011, une autre a météorite martienne nommée Tissint, a révélé une diversité inédite de composés organiques, offrant des pistes pour mieux comprendre l'évolution de Mars et son potentiel à avoir accueilli la vie. Menée par une équipe internationale de chercheurs en 2023, cette analysereprésente le catalogue le plus complet des molécules organiques identifiées dans un échantillon martien, y compris celles collectées par les rovers. La présence inhabituelle de composés organiques de magnésium suggère une interaction complexe entre l’eau et la croûte martienne.
Par ailleurs, Northwest Africa 13188(NWA 13188), est une autre météorite découverte dans le désert marocain. Selon une étude menée par des chercheurs de l’Université d’Aix-Marseille, cette roche d’origine terrestre aurait été éjectée dans l’espace après un impact d’astéroïde il y a environ 10 000 ans, avant de retomber sur Terre après un long séjour en orbite. Pesant 640 grammes, elle a été achetée en 2018 par le professeur Albert Jambon auprès d’un marchand marocain, mais son site exact de découverte reste inconnu.
Le débat persiste sur son origine : si sa croûte de fusion suggère bien une entrée atmosphérique, sa composition chimique, proche de celle d’une roche volcanique terrestre, interroge. L'hypothèse d’une éjection par une éruption massive a été réfutée faute de preuves géologiques. Les chercheurs affirment que NWA 13188 a été exposée brièvement aux rayons cosmiques galactiques, excluant une origine artificielle.
Vers une reconnaissance scientifique marocaine
Si les météorites marocaines sont convoitées à l’échelle mondiale, leur étude scientifique au Maroc reste limitée. De nombreux fragments sont reconnus et classifiés uniquement lorsqu’ils atteignent un certain prix sur le marché international, rendant leur traçabilité complexe. De plus, les chercheurs marocains ont longtemps été exclus des processus de reconnaissance officielle. Chennaoui elle-même, lorsqu’elle siégeait au sein du Comité de Nomenclature des Météorites, était « la seule représentante d’un pays arabe ou musulman », au sein de cette organisation scientifique mondiale, apprend-on de l’ouvrage The Meteorites : Encounters with Outer Space and Deep Time,
Pour pallier cette situation, Chennaoui a mis en place une initiative pour préserver les météorites marocaines et sensibiliser le public à leur importance patrimoniale. Elle finance elle-même l’acquisition de certains fragments rares pour éviter qu’ils ne quittent le pays. Sa collection a été transformée en une exposition itinérante, qui, en juin 2023, avait déjà attiré plus de 17 000 visiteurs dans un centre commercial de Casablanca.
Depuis 2004, le groupe de recherche de Chennaoui est responsable de la documentation de presque toutes les météorites officiellement enregistrées au Maroc. « Même si une météorite est vendue et exportée, elle devrait toujours être reconnue comme provenant à l’origine de son pays », insiste-t-elle dans les pages de l’ouvrage.`
La prise de conscience des chercheurs marocains et des chasseurs locaux quant à la valeur réelle de ces roches célestes a permis d’obtenir une meilleure reconnaissance scientifique et économique. « Nous avons gagné en crédibilité scientifique », affirme Chennaoui. « Des laboratoires à travers le monde nous ouvrent désormais leurs portes pour réaliser des analyses et accueillir nos étudiants ».
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