
A Talat N’Yaakoub, jour de deuil et d’attente (2/2)
(De nos envoyés spéciaux à Talat N’Yaakoub, 101,5 km au sud de Marrakech)
Lire la première partie de notre reportage.
Vers midi, nous sommes de retour à Talat N’Yaakoub. Ce dimanche, à la bourgade fantôme, les choses semblent évoluer.
En cette deuxième journée post-séisme, l’ambiance de la petite commune rurale se transforme doucement : plusieurs ambulances médicalisées, porte arrière grande ouverte, sont parquées sur la place principale. Un CH-47 Chinook des Forces armées royales (FAR) est aussi stationné, les militaires ayant à notre arrivée fini de décharger de petits sacs bleus comportant des vivres et qui seront plus tard acheminés par camionnettes aux douars environnants. Il redécollera moins d’une heure après notre arrivée.
Un militaire sur place nous explique qu’il doit récupérer d’autres provisions, pour les déposer au niveau d’autres zones à l’accès difficile. On apprendra plus tard que le même appareil sera utilisé dans la matinée du lundi, pour larguer des provisions au niveau de douars inaccessibles de la commune d’Ighil. Le Chinook servira aussi à transporter des blessés graves.
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De temps à autre, un autre hélicoptère, un Super Puma de la Gendarmerie royale se pose puis redécolle. Un troisième, un Eurocopter EC145 du même corps paramilitaire, l’épaule. Il récupère des blessés graves, pour les conduire ensuite directement au Centre Hospitalier Universitaire de Marrakech.

En moins de 24 heures, Talat N’Yaacoub s’est soudainement improvisée en poste avancé de commandement. C’est depuis cet endroit que les éléments de la Protection civile sont en alerte, attendant des instructions.

C’est que malgré le déploiement sécuritaire impressionnant, en cette journée du dimanche au niveau de la commune, peu d’informations filtrent quant à une éventuelle percée des équipes de secours dans les collectivités les plus touchées par les secousses, étant situées dans l’œil du séisme. L’épicentre, à date de ce dimanche après-midi, demeure toujours hors de portée des secouristes.
Le président de la commune de Talat N’Yaaqoub, Abderrahim Ait Daoud, est d’ailleurs mobilisé à la préfecture, en sa qualité de président du groupement intercommunal. C’est de là que les opérations sont pilotées, tentant d’identifier les douars encore esseulés.
Sur les lieux, le caïd de Talat N’Yaakoub accepte cependant de nous fournir quelques chiffres sur le nombre de décès constatés, comprenant la commune d’Ighil à laquelle les secours n’ont que partiellement pu accéder. 800 morts sont dénombrés, apprend-on. Ils sont répartis entre quatre communes de la province d’Al Haouz : Ighil, Amghar, Ijoukak et enfin Talat N’Yaakoub. Des sources consultées par nos soins précisent que le bilan devrait considérablement être revu à la hausse : l’intégralité de la commune d’Ighil n’ayant jusqu’à ce jour pas pu être couverte par les secouristes.
Chiffre annoncé, le caïd revient ensuite rejoindre son équipe, pour piloter l’opération de recensement des habitants afin d’entamer, peu après 13 heures, la distribution des rations alimentaires pour les familles.
Il garde aussi de loin un œil sur le siège du caïdat où les équipes récupèrent les vivres débarqués, pour ensuite les dispatcher.

Une odeur de désespoir
Une centaine de mètres à côté de la place occupée par les militaires, nous revenons à la fameuse falaise que nous avions vu la veille, abritant des maisonnettes entièrement détruites.
Ici, les secours constitués à la fois de militaires, de membres de la Protection civile mais aussi d’autres entreprises privées prêtant main forte (Jesa, Sonasid, etc), sont au rendez-vous. Ils sont attentivement scrutés par une bonne cinquantaine de civils, les entourant. Interrogés par Le Desk, la plupart ne sont pas d’ici. Tous viennent de loin et sont là pour leurs proches, aujourd’hui sous les décombres.

Sous le soleil, retenant leurs larmes, mais aussi leur souffle face à l’odeur de putréfaction qui se dégage des débris.
De temps à autre, des « Allah Akbar ! » jaillissent, signifiant qu’un mort a été retrouvé. Des pleurs viennent en écho, une mère et ou une épouse endeuillée que les hommes de la famille tentent d’empêcher d’aller sur les gravats.
L’évènement prend ainsi plus l’allure d’un recueillement pour ces familles, ne s’attendant pas à revoir leurs proches vivants. Chaque corps exhumé par les secours est soigneusement enveloppé dans une couverture, porté sur une civière par la Protection civile, et déposé ensuite au niveau de la place des militaires.
Il est ensuite transporté par une Mitsubishi Pajero ambulance de la commune pour être directement enterré au cimetière de la collectivité, situé à moins d’un kilomètre de là. Aucun rite n’est de mise, l’urgence de la situation imposant de s’en soustraire. Un jeune garçon, arrivé trop tard pour voir sa défunte mère, partira ensuite en courant pour tenter de rattraper l’ambulance, peinant à se frayer un chemin dans le souffle dégagé par un Chinook qui vient de décoller.
Sur les débris de la falaise, des bénévoles sont aussi sur place, notamment de la Fondation Amal. Une petite famille est toujours sous les décombres, sans vie, apprend-on. Des membres de la Protection civile tentent de faire dégager le maximum de pierres, avant d’abandonner sur instruction de leurs supérieurs, en raison de la dangerosité des structures et des lieux.
Les secours continuent de travailler munis de pelles, un choix qui, étaye un militaire, s’explique par la fragilité des bâtis. « Nous sommes sur une maison effondrée de deux étages, construite à flanc de falaise. D’un moment à un autre, tout peut s’écrouler », nous confie-t-il, avant de forcer le regard, pour nous faire comprendre qu’il vaudrait mieux s’éloigner.
La route du retour, toujours aussi chaotique
Sur la route du retour, menant vers Ouirgane et Asni, notre équipe croise de nombreux convois d’un genre nouveau pour ce dimanche. Alors que la veille, les chapelets de voitures étaient plus constitués de familles éplorées venues se recueillir, cette fois-ci, on retrouve davantage de bénévoles.
De rutilantes 4x4 chargées à bloc de vivres, d’eau, de lait, de farine, de biscuits et même pour certains de petits matelas prennent la route – ou du moins ce qu’il en reste – menant vers Talat N’Yaaqoub. Par moment, ce sont aussi des semi-remorques mobilisées qui viennent s’ajouter à la caravane, congestionnant quelque peu la circulation et poussant les automobilistes à s’improviser agents de la circulation. On retiendra la présence de véhicules provenant d'Al Hoceima, ville victime d'un séisme en 2004, venus en soutien avec des provisions.
D’autres jeunes prennent l’initiative de s’arrêter près d’endroits sensibles, où les éboulements de petites et moyennes pierres persistent, pour tenter d’avertir les automobilistes de l’éventuel danger. Des cris et des coups d’accélération permettent à certains, pris de panique, de fuir les éboulements.
En matière de déblayage, l’effet du travail des engins du ministère de l’Équipement et de l’Eau, arrivés sur le tard la veille et que nous avions pu croiser samedi sur notre route de retour, commence à se sentir. Les grosses pierres sont évacuées, jetées au fond des falaises, pour dégager au maximum la route et permettre le passage des véhicules, voitures comme camions. Des agents du ministère se relaient sur place, pour aussi guider les conducteurs et éviter le drame.

Plus loin, un peu plus près de Marrakech, une fois dépassé Tahannaout, une équipe de la gendarmerie est dépêchée sur place. Mission : demander aux automobilistes de serrer à droite, car toute une partie de la route, donnant sur une ravine, s’est davantage affaissée ce dimanche, faisant redouter le pire. Et le pire étant de voir encore plus de localités plongées dans l’isolement.