
Béni Mellal et la vallée des dinosaures, terre de géants
« Du lit de l’oued Oum Er-Rabiê au pied de la montagne, ce n’est qu’une large plaine, unie comme une glace, pas une ondulation, pas une pierre le sol est une terre brune : des champs le recouvrent en entier et s’étendent à perte de vue des ruisseaux, à eau claire et courante, une foule de canaux, les arrosent ». Près d’un siècle et demi plus tard, cette description de la région de Béni Mellal, consignée par l’explorateur français Charles de Foucauld, semble toujours d’actualité.
Celui qui a traversé l’Empire chérifien en 1883, déguisé en pèlerin juif, avait fait escale à Béni Mellal, à cette époque plus connue sous le nom de « Kasbah Bel Kouch, une petite ville d’environ 3 000 habitants, dont 300 israélites ». Si la ville s’est considérablement développée depuis, comptant aujourd’hui plus d’un demi-million d’habitants, son environnement demeure aussi édénique. De Foucauld a sans doute dépeint ce paysage pictural depuis les hauteurs de Aïn Asserdoun, dans le voisinage d’une source nourricière inondant de ses bienfaits tant la région qu’une bonne partie du Royaume. Aménagé aujourd’hui en un jardin luxuriant, ce site est le piédestal des premiers contreforts enchantés du Moyen Atlas.
Et pour rallier les premiers cols en direction du Haut Atlas, il n’y a qu’un pas à franchir. Un pas de géant gravé dans la roche, comme autant de traces du passage de créatures hors normes, il y a plus de 66 millions d’années. Vitrine du Géoparc du M’goun, un formidable musée interactif, joyau de la charmante ville d’Azilal, se donne la noble mission de raconter l’histoire des dinosaures qui ont jadis foisonné dans cette partie du pays.

Mais il n’est pas seulement question de chasse aux titans du jurassique dans ce parc naturel, inestimable trésor de patrimoine. Des lacs paradisiaques, des cascades spectaculaires et d’imposants massifs rocheux, chefs d’œuvres façonnés par mère nature, vous ouvrent les sentiers d’inoubliables randonnées. Un périple qui s’emploie à emballer vos sens, avant de s’achever dans la ville millénaire de Demnat, nichée à près de mille mètres d’altitude. Nature prodigieuse et culture séculaire sont au rendez-vous d’un circuit hors du commun.
La source du bonheur
Au sud de Béni Mellal, un véritable mur se dresse face à vous. Loin d’être un obstacle, il vous invite au contraire à emprunter la belle route serpentant ses premiers dénivelés. Au milieu de vergers verdoyants, cette chaussée montante semble vous promettre une destination mémorable. Quelques minutes de trajet encore et un panneau vous indique une large place pour laisser reposer votre véhicule : « Parking de Aïn Asserdoun ». Comme vous, des hommes, des femmes et des enfants convergent allègrement vers l’entrée d’un jardin unique en son genre.
La marche est accompagnée par d’étonnantes fresques murales, dont l’une représente le corps d’un homme allongé sur le dos, drapé d’une djellaba ocre, avec en guise de visage sous la capuche… un bouquet de fleurs multicolores. L’index pointé vers le ciel, la créature, hybride humain et floral, récolte une goutte d’eau. Et c’est précisément d’eau qu’il s’agit en ce lieu bienheureux.

Comme son préfixe le suggère, Aïn Asserdoun est d’abord une source, et pas n’importe laquelle. Depuis les entrailles des premiers contreforts du Moyen Atlas jaillissent en abondance des eaux claires qui, au gré des canaux et des confluences, finissent par rejoindre l’oued Oum Er-Rabiê pour en faire le deuxième cours d’eau le plus important du Maroc. Ce fleuve, dont le nom poétique (littéralement « La mère du printemps ») reflète à merveille sa nature nourricière, prend son élan premier à plus de 100 kilomètres à l’Ouest, sous le Jbel Hayane, dans la province de Khénifra. Mais c’est au passage de Béni Mellal qu’il s’épaissit, gagne en vitalité et poursuit sa course vers l’Atlantique, avant de s’y jeter sous les remparts de la ville d’Azzemour.
Ce périple de 550 kilomètres est la raison principale de la fertilité de la plaine de Tadla. Une immense étendue verte que vous pourrez, comme jadis de Foucauld, contempler sans entrave à l’horizon depuis les hauteurs d’Asserdoun, classées patrimoine national dès 1947. Au premier plan, la ville de Béni Mellal, teintée d’ocre, est comme posée sur une immensité verte et fertile. Ce panorama, très apprécié par les habitants et les visiteurs, illustre toutes les promesses d’une région en plein essor et de la ville devenue son chef-lieu.

L’entrée du parc de Aïn Asserdoun, fierté légitime des locaux, se fait par un escalier qui mène vers un premier espace élyséen. À droite une splendide allée tout en nuances de vert se dessine, bordée d’arbres plantés dans un alignement savamment ordonné. En face se dresse une charmante bâtisse toute de bois vêtue, afin de préserver l’harmonie d’un lieu où la nature dicte manifestement sa loi. Nous voici devant le Centre d’interprétation du patrimoine culturel de la région Béni Mellal-Khénifra, un établissement placé sous l’égide du ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication. Il abrite un musée où sont mises en avant quelques-unes des nombreuses richesses culturelles de la région, notamment des tenues traditionnelles, des extraits d’arts poétiques et musicaux, des illustrations de l’enracinement de la pratique équestre ou encore une complète démonstration du savoir-faire régional en matière de tapisserie.
Une sorte de carte visite succincte bien utile à découvrir avant d’arpenter un jardin aménagé en paliers, suivant le cours naturel des eaux qui s’y déversent. Ainsi, au bout de l’allée de ce premier niveau, là où la foule de visiteurs s’amasse, une cascade haute de 3 mètres fait déferler les flots à travers un canal dédié. Ce dernier est cerné de part et d’autre par des escaliers surplombés de deux grands vases décoratifs.
En montant les marches, vous atteignez le point de naissance de la source, la cavité d’où les eaux émergent des galeries souterraines au cœur de la montagne pour surgir à l’air libre et s’écouler en suivant le dénivelé de la pente. Le parc de Aïn Asserdoun vous suggère alors de suivre le cours de ce déversement, qui compose le principal fond sonore des lieux : tonitruant lorsque l’eau chute de plusieurs mètres, plus apaisé lorsqu’elle coule sereinement le long des innombrables canaux qui sillonnent ce vaste espace de près de 20 hectares.

Au niveau le plus bas, un autre spectacle attire les foules : celui d’un grand bassin sublimé par une sculpture aux formes géométriques. Trois carrés massifs, de teinte noire, baignent au milieu d'un rectangle d’eau, et suintent également par de petites ouvertures placées sur les côtés supérieurs. Partout ailleurs, des bassins de taille variable, des pontons en bois, des espaces aménagés pour des pique-niques et des bancs élégants font le bonheur des familles venues se délester du quotidien urbain. Et si vous recherchez un supplément de magie, revenez-y la nuit : vous profiterez alors d’une attraction peu commune, dans laquelle l’eau qui déambule dans les allées du jardin se teint de couleurs grâce à un astucieux jeu de lumière.
Le Ksar, vestige d'une terre de pouvoirs
La source de Aïn Asserdoun, qui sert de décor à cet aménagement botanique enchanteur, a été dans un passé pas si lointain un véritable enjeu de pouvoir. Vous l’aurez sans doute remarqué lors de votre balade : depuis une plateforme juchée à près d’une centaine de mètres sur le flanc de la montagne, un fortin aux quatre tours parfaitement symétriques veille sur l’ensemble du site. À l’entrée du parc, un panneau vous montre le chemin à suivre pour le rallier. Et une petite dizaine de minutes de marche plus tard, sur une pente parfois assez raide, vous voici devant la bâtisse. Planté au bout d’une vaste esplanade qui participe à le mettre en valeur, l’édifice historique a été entièrement restauré, arborant fièrement ses remparts couleur terre et sa porte en fer forgé noir luisant. Le lieu, qui attire des visiteurs aussi curieux que courageux, sert aujourd’hui d’espace pour des expositions temporaires qui permettent aux velléités artistiques de Béni Mellal de bénéficier d’une certaine visibilité. Il est aussi un site de choix pour s’offrir la plus belle vue panoramique de la zone. On s’en doute, le choix d'un tel emplacement ne doit rien au hasard.
Pour en savoir davantage, nous avons sollicité l’expertise d’un passionné du patrimoine local, qu’il évoque régulièrement dans ses écrits de journaliste. Jamal Maïss, également étudiant chercheur en histoire, nous prévient d’abord que le « Ksar de Aïn Asserdoun est l’objet de fréquentes confusions quant à sa nature réelle ». À commencer par son patronyme. « Il ne s’agit pas, comme on peut parfois l’entendre, de la Kasbah Bel Kouch, qui est en réalité l’embryon urbain de Béni Mellal, et qui se trouve logiquement au cœur de la ville », précise-t-il d’emblée.
La datation de sa fondation est un peu moins sujette à confusion. « Cette construction militaire date de la fin du XIXe siècle, probablement du début des années 1890, puisque lors de son passage quelques années auparavant, Charles de Foucauld n’en a pas fait mention, alors qu’il a décrit avec précision le reste de la région », explique Jamal Maïss.

Du fait de sa position avantageuse, surplombant la vallée, ce ksar semble spécifiquement bâti pour assurer une surveillance optimale des alentours. « Mais pas que ! », nuance notre interlocuteur. « Il a aussi été érigé comme un bâtiment de défense. Selon les récits oraux de la génération de nos grands-parents, la coalition tribale de Béni Mellal avait eu vent d’une attaque en préparation par des tribus rivales, dans le but de s’approprier la source, voire d’en détourner l’eau en leur faveur », ajoute-t-il. C’est alors presque à la hâte que les habitants se sont attelé à construire ce fortin, en utilisant de la pierre et de la terre extraites dans un site en contrebas, « que nous appelons aujourd’hui encore “el hofra” (le trou, NDLR) », détaille-t-il, ajoutant qu’une deuxième fortification du même type « était d’ailleurs en construction, jusqu’au moment où les tensions se sont finalement apaisées entre les belligérants ».
Aujourd’hui monument spectaculaire de la province de Béni Mellal, le Ksar de Aïn Asserdoune est donc né de la convoitise que suscite la région, située à la frontière entre la plaine de Tadla et les premières élévations de l’Atlas. Une terre bénie qui n’a pas manqué d’attirer nombre de personnages qui ont, à leur tour, fait sa réputation. Jamal Maïss nous confirme ainsi que « Béni Mellal et sa région proche sont connues pour abriter plusieurs zaouïas (confréries religieuses, NDLR) ainsi que de nombreux saints, qu’ils soient musulmans, comme Sidi Ahmed Bel Kacem, Sidi Abdelhalim ou Sidi Bou Yacoub, ou juifs, comme le Rabi Shlomo Amar », objet d’un pèlerinage annuel.
Une appétence qui concerne également les hommes de pouvoir, ou du moins les sultans les plus puissants, qui été les seuls capables de conquérir une région traditionnellement rebelle à l’autorité centrale. C’est notamment le cas du sultan bâtisseur Moulay Ismaïl (1672-1727), qui n’a pas manqué de laisser, comme ailleurs dans le Royaume, une empreinte indélébile à Béni Mellal et dans ses alentours.

La plus imposante des fortifications ismaéliennes se trouve à 30 kilomètres au nord de Béni Mellal, à laquelle elle est reliée par une voie express. Fondée en 1687 par le sultan alaouite et portant le nom de Kasba Tadla, elle est le noyau urbain de la ville de plus de 50 000 habitants qui porte aujourd’hui son nom.
Vous pouvez d’abord y admirer un pont, chef-d’œuvre d’ingénierie érigé au-dessus d’une partie tumultueuse de l’Oum Er-Rabiê, qui repose sur dix arches et permet d’accéder au bastion militaire de la fin du XVIIe siècle. Les impressionnantes murailles d’enceinte témoignent encore fièrement de l’importance de cette citadelle qui a permis à Moulay Ismaïl de pacifier quasiment l’ensemble de la plaine de Tadla. Mais le sultan ne s’était pas arrêté en si bon chemin : nombre d’autres fortifications ont suivi le même dessein, quadrillant pratiquement l’ensemble de la région.
Les eaux bénies
Citons parmi celles-ci la Kasbah de Fechtala, située à 13 kilomètres au nord-est de Béni Mellal, juste après la petite localité de Foum El Ansar. Les férus d’histoire pourront y contempler des ruines qui attestent, là aussi, de l’importance stratégique de la région pour les pouvoirs successifs. « La fortification de Fechtala existe en réalité depuis le Moyen Âge, avant d’être quasiment reconstruite sous l’ère de Moulay Ismaïl », précise Jamal Maïss.
Peu connue, cette Kasbah a pourtant été l’objet d’un commentaire lyrique de la part de Charles de Foucauld. « Fechtala est située sur les premières pentes de la montagne, parmi des côtes ombragées d’amandiers, au pied de grands rochers, où une foule de ruisseaux bondissant en cascades tracent des sillons d’argent, au milieu de jardins merveilleux comparables à ceux de Taza et de Sefrou », a-t-il écrit. Comme souvent dans les descriptions de l’explorateur, il est question de sources abondantes, logiquement d’une grande valeur dans le Royaume. Il en existe d’ailleurs à foison dans la zone, toutes plus rafraîchissantes les unes que les autres. Symboles de vie et de pureté, elles ont souvent abrité les sièges de confréries religieuses, autour de mausolées de saints hommes.
Après avoir exploré la richesse et la beauté de cette zone frontière entre plaine et montagnes, il est temps de prendre de la hauteur. Les amateurs de randonnées y trouveront leur bonheur dès le versant sud des reliefs de Aïn Asserdoun, où une vallée dominée par le sommet du Tassemit les attend. Ce colosse de plus de 2 250 mètres, souvent enneigé l’hiver, et systématiquement verdi au printemps, offre déjà plusieurs circuits que les marcheurs peuvent arpenter avec des guides locaux. Pour explorer davantage les lieux, quittez Béni Mellal par l’Ouest, via la route nationale RN 8, avant de repiquer plein sud en suivant la N 25. Jusqu’aux pieds des hauteurs, au niveau du village de Tafouraret, la route est bordée de vergers et de cultures, une preuve, s’il en fallait encore, de la fertilité de cette terre. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, en langue amazighe, le mot « Tadla » signifie littéralement « bouquet de blé ».
Le décor change au bout de quelques lacets, quand apparaissent les premiers conifères, véritables marqueurs des reliefs du Royaume. Progressivement, les habitations se font plus rares et le paysage se fait plus sauvage. Vous résisterez alors difficilement à la tentation de garer votre véhicule, quand la route le permet, pour admirer les splendeurs typiques du Haut Atlas.

Tout au long de cette région, des « spots » d’observation sont régulièrement accessibles, comme celui du Tirizit N'Ohniya Nizdar, celui d'Ighrghar ou celui de Ba Mimoun. Sachez également que cette zone est parsemée de gîtes qui vous proposent, outre l’hébergement et la restauration, un environnement bucolique où le temps passe à son propre rythme. Sur la route, les panneaux vous indiquent que vous vous rapprochez du site majeur de Bin El Ouidane, l’un des lacs les plus célèbres du pays. Il ne vous faudra pas beaucoup plus d’une heure, depuis Béni Mellal, pour accéder à l’une des merveilles du massif, lieu privilégié pour une immersion totale dans les douceurs aquatiques du Haut Atlas.
Sur la route, votre compagnon en contrebas est d’une beauté saisissante, à telle enseigne qu’il vous faudra mobiliser toute votre vigilance pour garder les yeux sur la chaussée. Nous avons nommé Oued El Abid, important confluent de l’Oum Er-Rabiê, dont les eaux parfois teintées de bleu turquoise alimentent le barrage de Bin El Ouidane.
Son cours a aussi été emprunté par l’inévitable Charles de Foucauld, qui l’a décrit en ces termes : « L’œil ne se lasse pas de contempler ce large cours d’eau roulant ses flots torrentueux entre d’immenses murailles de pierre, au pied de ces montagnes sombres, dans cette région sauvage où le seul vestige humain est quelques tirremt (kasbahs en langue amazighe, NDLR) suspendues à la cime d’un rocher ». Depuis, Oued El Abid s’est assagi, apaisé par l’édification du barrage.

Entre les oueds,
le rêve
Inauguré en 1954, le barrage de Bin El Ouidane est encore aujourd’hui le plus haut ouvrage hydraulique construit en voûte du continent et le troisième au Maroc en termes de capacité, à plus de 1,38 milliard de mètres cubes. Cette étendue d'eau, vaste de presque 4 000 hectares, a la particularité de servir autant à l’irrigation des exploitations agricoles de la région qu'à la production d’électricité.
Avec sa profondeur moyenne de 20 mètres, son lac est également un lieu de villégiature particulièrement prisé, offrant de nombreuses activités aquatiques, mais aussi en montagne. Dans les nombreux hôtels et autres auberges qui l'entourent, on ne manquera pas de vous indiquer des circuits de randonnées pédestres, ni de vous inviter à faire glisser votre kayak sur ses eaux calmes ou à naviguer en bateau pour une variété de balades romantiques. Parmi elles, empruntez celle qui vogue depuis la rivière d’Ahansal, l’autre cours d’eau de Bin El Ouidane… qui a participé à forger le patronyme de ce dernier, signifiant littéralement « entre les deux fleuves ». Sur votre embarcation de plaisance, vous voilà en train de flotter au creux d’une gorge, cerné par de vertigineuses parois rocheuses : vous n’êtes plus qu’un minuscule point au milieu du gigantisme de la nature.
Le clou du spectacle se trouve un peu plus loin, au milieu du lac : il s’agit de l’île d’Aganbou, bande de terre qui émerge de l’immensité turquoise. Observatoire idéal pour contempler la somptuosité du paysage alentour, elle fait également office de halte gourmande pour les visiteurs, qui peuvent y déguster les succulents tagines du Haut Atlas.

Mais notre circuit n’a pas fini de vous faire sentir tout petit au pays des colosses. En quittant Bin El Ouidane, reprenez la direction de l’Ouest par l’impétueuse route nationale N 25, qui vous emmène vers Azilal. À peine plus d’une heure plus tard, la coquette cité montagnarde, culminant à 1 400 mètres d’altitude, vous accueille par une chaussée soyeuse, des trottoirs à la propreté impeccable et de jolies maisons parées de toitures à deux pans, destinées à faire glisser la neige parfois abondante en hiver.
Un vaste rond-point à fontaine, bien plus imposant que ses pairs, cache une vaste structure à l’architecture atypique pour une ville de culture amazighe. Une sortie vous y mène et vous fait pénétrer un espace pavé où vous pouvez garer votre véhicule. Bienvenu au Musée Azilal Géoparc de M’Goun, temple du savoir et phare de la promotion de l’étonnante singularité de ce territoire, désormais protégé. Face à vous, deux bâtiments de couleur ocre sont reliés par un ponton en verre translucide. Le premier, de forme circulaire, abrite le hall d’entrée d’un musée placé depuis son ouverture en 2023 sous la houlette de la FNM.
Le second bâtiment, plus vaste, est également agencé en cercle, entouré d’une petite route giratoire. Tout autour, une pelouse parfaitement tondue est le jardin de créatures figées, sculptures réalistes de dinosaures dont certains, au vu de leurs gueules grandes ouvertures et de leurs postures menaçantes, ont du terroriser l’ensemble du règne animal sur ces terres. Au centre, le cœur du musée est surmonté d’une imposante coupole, assez haute pour abriter, nous le verrons plus tard, un géant en clair et en os.

Prévoyez de consacrer suffisamment de temps à ce fleuron des musées du Maroc pour y découvrir, entre autres, pourquoi l’UNESCO a accordé, en 2014, à l’ensemble de la région autour d’Azilal le label « Global Geopark », devenant ainsi la seule à l'obtenir dans la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord, et seulement la deuxième en Afrique, avec celle de Ngorongoro en Tanzanie.
Dès l’entrée, le bâtiment énonce la définition donnée par l’UNESCO à cette classification : « Les Géoparcs mondiaux UNESCO sont des zones géographiques uniques et unifiées où les sites et les paysages d'importance géologique internationale sont gérés selon un concept holistique de protection, d'éducation et de développement durable ». Un cadre qui sied parfaitement au Géoparc de M’Goun, nous confirme Kamal El Badaoui, médiateur du musée d’Azilal, chargé de nous accompagner tout au long de sa visite.
Les titans d'Azilal
Ce complexe moderne dévoile toute sa richesse une fois franchi le pont menant vers les installations muséales. Divers panneaux informent les visiteurs, cartes à l’appui, de l’emplacement du géoparc et de ses trésors patrimoniaux. On y apprend notamment que le site tire son nom du massif de M’Goun, dont le sommet, l’Ighil M’Goun, culmine à 4 070 mètres au cœur de la célèbre et bien nommée vallée des Aït Bouguemez (traduisible par « les gens heureux »), ce qui en fait le troisième plus haut du pays après le Toubkal (4 167 m) et le Jbel Ouanoukrim (4 089 m). Notre guide tient également à nous montrer d’autres installations qui font aujourd’hui la renommée du musée d’Azilal, notamment une salle de projection équipée de dispositifs à la pointe de la technologie, une autre consacrée aux conférences, ou encore un laboratoire dédié aux chercheurs en géologie et en paléontologie.
Avant d'entamer notre périple dans « le tunnel du savoir », comme est nommé le parcours muséal, Kamal El Badaoui nous décrit les circuits, présentés en différentes couleurs sur une carte, des nombreuses activités proposées dans le parc. « L’escalade est très prisée, surtout du côté des gorges de Taghia, mais il y a aussi les randonnées avec guide, les sports nautiques à Bin El Ouidane, ainsi que des parcours en VTT, là aussi supervisées par des professionnels ». Intarissable sur les charmes et atouts de sa région, l’homme conseille d’ailleurs aux visiteurs de passer par le musée d’Azilal avant d’aller l’explorer : « Ici, nous avons toutes les informations dont vous avez besoin », professe-t-il.

Quant aux férus de paléontologie, dont les sujets de curiosité sont davantage d’ordre scientifique, ils ne pouvaient rêver meilleur endroit pour assouvir leur passion. C’est donc par l’entrée du « tunnel du savoir » que démarre la moisson de connaissances dans une scénographie digne des plus grands musées. Le circuit débute aux origines du temps et de l’espace, avec une brève explication du Big Bang, avant de se recentrer sur des évolutions plus terrestres. Car, d’après notre guide, « il est important de revenir à la formation de la planète, avant de comprendre les chamboulements qu’a connus notre région et saisir comment le Haut Atlas est devenu le trésor géologique et paléontologique qu’il est aujourd’hui ».
Ainsi donc, au gré des évolutions à des échelles de temps qui font de notre espèce un nouveau-né dans le bestiaire des créatures vivantes, nous apprenons qu’à l’époque des dinosaures, aucune des vertigineuses montagnes que vous observez ou arpentez ici n’existait. Et, comme le précise Kamal El Badaoui, que c’est précisément cela qui a permis de dévoiler l’existence de dinosaures sur ces terres. « Qu’il s’agisse des ossements retrouvés, ou encore des traces de pas, le soulèvement qui a initié la formation du massif montagneux a brisé les couches sédimentaires qui sont, des millions d’années après, apparus à la surface », explique-t-il.
Tout au long du parcours, des ossements et des empreintes s’offrent à votre regard de la plus spectaculaire des manières. Et au bout du fameux « tunnel », et après avoir digéré de gargantuesques quantités d’informations sur l’histoire de la roche, de la faune et des premiers Hommes du Maroc, une surprise de taille vous attend. Au détour du dernier virage du circuit muséal, le plus vaste espace de l’édifice s’ouvre enfin, et vous comprenez alors pourquoi le plafond y est rehaussé d’une haute coupole, décorée pour ressembler à un ciel étoilé. Face à vos yeux ébahis, un gigantesque squelette de dinosaure est maintenu par des câbles suspendus. « Je vous présente Atlasausus imelakei, le plus grand sauropode herbivore jamais découvert dans le monde », lance fièrement et solennellement notre guide.

Et le spectacle a de quoi émerveiller le plus blasé des observateurs. Un géant haut de 10 mètres, long de 18 et pesant presque 23 tonnes vous toise, vous faisant sentir comme le plus fragile des êtres à ses côtés. Presque 80 % de ce fascinant squelette a été trouvé non loin de la ville d’Azilal, dans la petite localité de Wawmda. Cette découverte d’exception remonte à l’année 1979, lorsque le géologue suisse Michel Monbaron avait presque par hasard déterré les restes complets de cette monumentale créature, qui furent authentifiés l’année suivante par le paléontologue français Philippe Taquet. Le duo de scientifiques venait de révéler au monde que le Haut Atlas central marocain est un terrain fertile pour la chasse aux fossiles, caractéristique qui lui vaut aujourd’hui le surnom fantasmagorique de « Vallée des dinosaures ».
Son plus digne représentant est la vedette du musée d’Azilal, qui en expose la reproduction en résine (les vrais ossements sont conservés par le département de géologie du ministère de la Transition énergétique et du Développement durable à Rabat), a vécu durant la période du Jurassique moyen, soit il y a entre 164 et 154 millions d’années. Son nom signifie « Très grand reptile de l’Atlas » et il aurait vécu dans un environnement plat, très humide, probablement au cœur d’un large delta, aux confins du supercontinent du Gondwana, dans ce territoire qui deviendra le Maroc, et que l’océan Atlantique naissant commençait à séparer des côtes américaines.
Émotions en cascade
Outre ces ossements spectaculaires, ces fantastiques créatures ont également laissé, comme nous le verrons plus tard, leurs empreintes dans la roche rouge du Haut Atlas. En attendant, nous quittons le musée d’Azilal pour continuer sur la route des géants, qui serpente encore au-delà de la ville. Toujours en direction de l’Ouest, via la route nationale N 25, vous enfourchez de nouveaux lacets montagneux, traversez une vallée toute de verdure couverte, avant que des panneaux fleurissent ici et là, vous informant que vous approchez de l’embranchement qui vous mènera vers l’une des destinations les plus appréciées du pays : les cascades d’Ouzoud. À son approche, vous devrez quitter la route nationale pour prendre la sinueuse, mais sublime route provinciale P3105, dont les abords verdissent au fur et à mesure que vous vous approchez des chutes d’eau les plus célèbres du Maroc.

Progressivement, le trafic se fait plus dense, car Ouzoud est une étape prisée des circuits touristiques depuis Marrakech. Rassurez-vous toutefois, le site a su parfaitement s’adapter à son attractivité, proposant moult restaurants et hébergements pour tous ses visiteurs, inévitablement sous le charme de ce prodige de la nature. Confirmation auprès d'un couple d’Irlandais croisés sur la grande place en amont des cascades, qui n’étaient venus passer qu’une simple journée à Ouzoud. « C’est tellement beau. Nous avons trouvé un hôtel si charmant que nous avons décidé de prolonger notre séjour, le temps d’explorer une zone plus large autour des cascades », confient-ils.
Ici, l’eau fait office de fond visuel, mais aussi sonore. La portière de votre véhicule est à peine entrouverte que vous êtes saisi par un bruit semblable à celui couvrant le littoral, un bourdonnement continu qui semble provenir de tous les côtés. C’est le chant des flots qui se déversent de l’Oued Tissakht depuis des falaises hautes de 110 mètres. Alors que vous vous approchez du géant aquatique, la brume virevolte de plus en plus, vous caressant délicatement le visage. Enfin, un bout de l’un des sentiers qui longent l’oued, dont la chute s’approche inexorablement, les cascades d’Ouzoud apparaissent en majesté. La rivière se divise en une demi-douzaine de ruisseaux avant que chacun d’eux ne dessine sa voie pour le grand saut, depuis le haut de la falaise.
Dans cette cascade en paliers, les premières chutes d’eau se déversent d’abord dans un grand bassin rocheux, avant de se regrouper en un cours plus large qui bascule à son tour, avec fracas, dans un vaste étang en contrebas, où quelques baigneurs s’ébattent gaiement. Pour les rejoindre, il vous suffira de quelques minutes de marche à travers des sentiers aménagés, d’où vous continuez à admirer cette merveille de la nature, classée Site d’intérêt biologique et écologique (SIBE).

Le long de la cascade, un couloir végétal fait de mousse, dans un décor tropical dépaysant, suit lui aussi l’écoulement vertigineux. Il n’y a que la ténacité de la couleur ocre de la roche pour rappeler que nous sommes bien au cœur de l’Atlas. Tout autour, la flore conforte la familiarité du paysage, avec ses oliviers centenaires, ses figuiers gracieux et des regroupements de conifères disséminés un peu partout autour du site. Quant à la faune, elle est représentée par des singes magots, véritables stars des lieux, attirés au printemps et en été par l’activité humaine… bien qu’il soit prohibé de les nourrir. Tout en bas, le panorama change du tout au tout : vous contemplez maintenant les chutes depuis leur point d’arrivée, où les flots se font plus apaisés, et propices pour des balades agréables à bord d’embarcations qui ne manqueront pas de vous proposer leurs services.
Notre périple en ces terres de gigantisme se poursuit en direction de Demnat, dernier bastion d’une région à la richesse inépuisable. Cap sur le Sud-ouest, toujours dans le géoparc de M’Goun, qui s’emploie à vous rappeler périodiquement, via des panneaux en bord de route illustrés d’une silhouette de dinosaure, que cette zone est un sanctuaire géologique, mais aussi écologique. Au bout d’une heure sur l’infatigable N25, où vous croiserez des villages pittoresques qui se fondent dans la couleur rouge-ocre de la terre, vous voici enfin arrivé dans la ville millénaire.
Dans l’ombre de Marrakech, visible la nuit depuis cette cité montagnarde perchée à plus de 960 mètres d’altitude, Demnat existait pourtant déjà lorsque la capitale d’Al Haouz est fondée par les Almoravides au milieu du XIe siècle. Depuis ces temps immémoriaux, elle s’est imposé comme un carrefour commercial, véritable nœud économique et passage incontournable des caravanes transsahariennes qui bravent les massifs. De ce passé de lieu de transit, la population, qui dépasse aujourd’hui les 33 600 habitants, a gardé une spontanée et sincère hospitalité. Un sens de l’accueil et une bienveillance naturelle remarqués également par celui qui a effectué ce même périple il y a presque un demi-siècle : « La population est d’environ 3 000 âmes, dont 1 000 israélites. Ceux-ci n’ont pas de mellah : ils habitent pêle-mêle avec les musulmans, qui les traitent avec une exceptionnelle bonté ».

L’explorateur français s’attarde également sur la richesse de la ville, qui perdure depuis. « Demnat est entouré de toutes parts d’admirables vergers, les plus vastes du Maroc. Au milieu d’eux sont disséminés une foule de villages se touchant presque, qui forment comme des faubourgs autour de la ville. Ces jardins sont renommés au loin : leur fertilité, leur étendue, la saveur et l’abondance de leurs fruits, les excellents raisins qui s’y récoltent sont légendaires ». N’hésitez donc pas à battre les marchés, regorgeant de produits dont la réputation repose toujours sur l’excellence. Tout autour de la ville, des espaces sont aménagés pour d’agréables pique-niques, dont l’emplacement boisé offre immanquablement de splendides vues sur les contreforts de l’Atlas, écrin titanesque de la cité.
Et si vous suivez la route encore plus loin, en direction du Sud-est par la nationale N 23, arrêtez-vous au niveau de la localité de Tifni, lointaine de 8 petits kilomètres du centre-ville. Quelques bus de touristes s’y affairent autour de grands cafés verdoyants offrant restauration et rafraîchissements. Autant de structures qui ne sont pas là seulement pour le repos du voyageur : vous êtes en réalité face à une énième merveille du géoparc, le pont naturel d’Iminifri. Sans vous en rendre compte, vous avez peut-être marché ou roulé sur cette œuvre d’ingénierie qui n’a pas attendu les Hommes pour exister.

Car la « conception » de ce pont, dont seuls les pavés et les garde-corps sont d’origine artificielle, a débuté il y a 180 millions d’années, comme nous l’apprend un écriteau sur place, qui décrit cette « arche naturelle au-dessus d’une étroite vallée creusée dans les calcaires du Jurassique inférieur par l’Oued Tissikht. Le pont naturel résulte de la précipitation des eaux de source riches en carbonates de calcium dissous qui sont à l’origine des travertins du quaternaire récent formant le pont et ses façades ».
Pour réellement apprécier ce prodige, il vous faut emprunter le sentier dallé qui descend en zigzag jusqu’au point d’eau au creux de la gorge. Si vous êtes attentif, vous apercevrez peut-être une petite famille d’écureuils de barbarie qui y a judicieusement élu domicile. La suite est une immersion spectaculaire dans une cavité mystique où la roche semble avoir figé son écoulement, débuté il y a des millions d’années. Et au bout du tunnel jaillit la lumière, pour vous conduire vers un espace aménagé au bord de la rivière, où vous pouvez siroter un thé à la menthe à l’ombre des amandiers.

Le dernier moment d’émotion de notre voyage sur cette terre de géants se trouve à quelques kilomètres à l’est, dans la petite commune de Iouaridène. À la vue d’un nouveau panneau estampillé « géoparc de M’Goun », prenez la tangente vers ce paisible village, situé dans une superbe vallée cernée de montagnes. Après les quelques bâtiments administratifs, un nouvel écriteau vous invite à vous arrêter. Là derrière un muret, une large couche de roche oblique, de teinte rouge brique, est protégée de l’autre côté par une corde. En vous approchant, vous distinguez sans mal des traces de pas, décrites par le panneau comme « de forme allongée, mesurant en moyenne 30 cm de longueur et 25 de largeur, avec trois doigts articulés et séparés. Ces empreintes sont rapportées à Megalosauripus, un dinosaure théropode bipède d’une taille moyenne de 1,5 à 2 mètres ».
Une parenthèse de magie que le temps et la bonne fortune ont bien voulu graver dans la pierre. Dans le silence apaisant de cet espace irréel, le monde des dinosaures, leur existence et les millions d’années de leur hégémonie sur notre planète s’ancrent dans une réalité que tous les exposés scientifiques du monde n’arriveront jamais à transmettre. Un instant de méditation unique qui nous rappelle aussi que notre passage est éphémère, et qui nous questionne sur l’essentiel : quelle empreinte dans notre présent allons-nous laisser pour le futur ?
©️ Copyright Pulse Media. Tous droits réservés.
Reproduction et diffusions interdites (photocopies, intranet, web, messageries, newsletters, outils de veille) sans autorisation écrite.