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Grand angle

Biodiversité: comment l’ANEF veille à la renaissance écologique à Jerada

16.10.2024 à 20 H 46 • Mis à jour le 17.10.2024 à 13 H 15 • Temps de lecture : 15 minutes
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REPORTAGE.
Dans la province de Jerada, l’Agence nationale des eaux et forêts tente de remettre à l’œuvre la biodiversité des environs. Des espèces sauvages habiteront le parc de Chekhar, des plans d’eau hydro-agricoles accueilleront des poissons et de nombreux arbres viendront raviver le paysage désertique, et l’économie de la région. Reportage

À une cinquantaine de kilomètres au sud d’Oujda, dans les hauteurs de la province de Jerada, la faune sauvage reprend ses droits. La stratégie « Forêts du Maroc 2020-2030 » prend place dans tout le Maroc, jusque dans le parc naturel de Chekhar, situé à quinze kilomètres à l’est de Jerada. Mardi 15 octobre, au matin, une trentaine de voitures parcourt les pistes montagneuses de la région, pour se retrouver dans le parc de Chekhar, à l’entrée d’un enclos. Les environs sont déserts, les pointes de verdures présentes dans le paysage sont rares.


Des cages avec des espèces sauvages sont disposées dans un enclos, au beau milieu du parc naturel de Chekhar. Crédit : Salomé Krumenacher / Le Desk

Au sein de cet espace grand de 60 000 hectares (ha), pas moins de quarante-deux cages de différentes tailles sont installées dans les pentes. À l’intérieur de celles-ci, plusieurs animaux attendent patiemment l’arrivée du directeur général de l’Agence nationale des eaux et forêts (ANEF), Abderrahim Houmy, pour retrouver un air de liberté sauvage. Après plusieurs réintroductions d’animaux dans la faune sauvage effectuées par l’ANEF, c’est aujourd’hui au tour du mouflon à manchettes, de la gazelle de Cuvier et du porc-épic de retourner dans la nature.


Lorsque le directeur général de l’ANEF arrive, Zouhair Amhaouch, chef de département des Parcs Nationaux et des Aires Protégées, lui présente le projet de réintroduction d’espèces dans le milieu sauvage. Il ne manque plus qu’à le réaliser. Le cortège accompagnant Abderrahim Houmy le suit jusque dans l’enclos, où sont disposées les cages. Les agents et autres membres de l’ANEF se mettent en place et se préparent à les ouvrir. Les fraîches bourrasques qui frigorifiaient les visiteurs se sont maintenant calmées, après une légère descente dans l’enclos. La gazelle étant un animal assez stressé, les membres de l’ANEF craignaient que les rafales de vent ne viennent effrayer les individus.

Des gazelles hésitantes devant la liberté

L’opération commence par les gazelles de Cuvier. Les cages une fois ouvertes, certaines rechignent à sortir. Quelques-unes s’asseyent, prennent le temps de scruter leur nouvel environnement avec leurs grands yeux noirs. D’autres sont plus furtives, et une fois la liberté recouvrée, elles partent gambader dans le parc et ses collines. Parmi elles, une, ne sachant où aller, se fraye un chemin parmi les visiteurs, et prend une autre direction que ses comparses.


Avant de s’élancer dans la nature, certaines gazelles restent calmes et s’asseyent, prenant le temps d’observer leur nouvel habitat. Crédit : Salomé Krumenacher / Le Desk


Les mouflons se font moins prier. Mais eux aussi décident de suivre certaines gazelles qui partent derrière eux, quitte à se faufiler entre les personnes présentes. Le choix de ces deux espèces ongulées s’explique par leur vulnérabilité à l’extinction. Les plus grandes populations de mouflons à manchettes et de gazelles de Cuvier se trouvent au Maroc, en comprenant ceux en réserve et à l’état sauvage, mais n’existent plus dans la région de l’Oriental. D’où l’importance de s’assurer leur viabilité. « D’autant plus que l’aire de répartition de la gazelle de Cuvier est très restreinte. Elle se trouve en Afrique du Nord, jusqu’à la Tunisie, mais la majorité de cette espèce vit au Maroc », précise Zouhair Amhaouch.


Au Maroc, il existe 5 000 gazelles de Cuvier et environ 6 000 mouflons à manchettes, dans la nature. Ces animaux se situent dans l’Anti-Atlas, dans la région de Tiznit, Tafraout, Taroudant, allant jusqu’à Ouarzazate, mais d’autres vivent aussi dans le Haut Atlas. Ayant le même environnement, la montagne semi-aride, les populations de mouflons et de gazelles se retrouvent au même endroit. Seule subtilité, le mouflon à manchettes s’établit un peu plus en altitude que la gazelle qui vit en moyenne montagne. Mais ces deux espèces sahélo-sahariennes subsistent aussi dans les réserves, en semi-captivité. Une fois que les animaux sont plus nombreux, ont réussi à se développer, ils sont relâchés, comme l’ont été les gazelles de Cuvier et les mouflons à manchettes dans le parc de Chekhar. Ces espèces viennent respectivement des réserves d’Oulmès et de Tafoughalt.


Une fois leur cage ouverte, les mouflons s’avancent de quelques pas, avant de filer dans les collines de l’enclos. Crédit : Salomé Krumenacher / Le Desk


Quant aux porcs-épics, leur lâcher est plus calme. Sans partir dans tous les sens, ils paraissent même presque indifférents. Une fois sortis de leur cage, ils partent gentiment dans les petits buissons, en se traçant un chemin tout en reniflant le sol. Uniquement huit porcs-épics ont été relâchés contre 20 mouflons et 14 gazelles. Contrairement à ces deux espèces, le porc-épic est moins concerné par la disparition de son espèce. Mais lui aussi, avait disparu de la région comme les ongulés, principalement à cause de la chasse illégale, importante au XXe siècle.

Encore un moment avant la nature sauvage

Mais leur liberté n’est pas encore totale. Cet enclos au sein du parc est une station d’acclimatation. Cette dernière va rester fermée jusqu’à s’assurer que les animaux réussissent à y vivre et s’y nourrir. Pour le mouflon à manchettes, cette période d’acclimatation dure environ deux ou trois mois. Mais concernant la gazelle, l’ANEF est encore en réflexion sur un possible rallongement de cette période, le temps de développer les effectifs afin de les relâcher complètement dans la nature, où des prédateurs peuvent les attendre, comme les vautours.


Ainsi, pendant cette période, les agents de l’ANEF gardent un œil sur les animaux, en les aidant parfois à se nourrir avec des compléments alimentaires. Mais l’alimentation dans le parc est déjà très riche, avec la strate herbacée et ses petits arbustes, notamment la plante alfa. Toutefois un protocole alimentaire est mis en place lorsque les animaux vont être relâchés, pour être sûr qu’ils soient autonomes et ne nécessitent plus les fruits de l’apport humain.


Contrairement à ses comparses, le porc-épic préfère renifler tranquillement son nouvel environnement avant de s’aventurer plus loin. Crédit : Salomé Krumenacher / Le Desk


Dans quelques mois pour les mouflons à manchettes, et peut-être plus pour les gazelles de Cuvier, la porte de l’enclos sera ouverte, ouvrant leur terrain de vie à plus de 50 000 ha. Le choix de passer le portail de l’enclos ou non reste à l’individu. C’est ce que l’on appelle le « soft release ». Seule crainte quant au bon déroulement de la réintroduction de ces espèces dans la faune sauvage : les chiens errants. Mais Zouhair Amhaouch reste très confiant. « Les chiens errants sont la menace principale, mais comme on le voit dans ce parc, ils ne sont pas là. Ils restent surtout près des villages. Nous écartons aussi la crainte des chasseurs, cette grande réserve est permanente et bien surveillée », ajoute Amhaouch. À l’avenir, le chef de département des parcs nationaux et des aires protégées aimerait réintroduire l’autruche à cou rouge. Cette espèce aussi a vécu dans les environs avant d’y disparaître.


L’ANEF a également d’autres projets pour le parc de Chekhar. D’abord cette appellation, car le parc vient d’être créé. Avant cela, il était un site d’intérêt biologique et écologique. Après une enquête publique aux résultats favorables, la phase de création du parc naturel de Chekhar en tant que tel, a été lancée. L’heure est donc à l’aménagement de ce parc. Abderrahim Houmy réfléchit, avec des futurs partenaires, à toutes les possibilités d’aménagement. Les activités de pleine nature, de randonnée pédestre ou équestre sont évoquées. Le directeur général n’oublie pas pour autant la grande histoire minière de la province de Jerada, et espère réussir à l’évoquer à travers ce parc. « Il y a aussi des rapprochements à faire entre la mine, le parc, la biodiversité, l'archéologie et d'autres activités qui ne sont pas peut-être encore bien définies. Je peux citer l'artisanat, les produits terroirs, etc », évoque Abderrahim Houmy.


Accompagné de Zouhair Amhaouch, de dos, baissé à l’entrée de la cage, le directeur général Abderrahim Houmy participe à la libération des animaux en ouvrant leur cage. Crédit : Salomé Krumenacher / Le Desk


Après ces déclarations, le cortège se poursuit à travers les paysages désertiques de de la province de Jerada, pour se diriger vers El Mahsser, où se trouve une plantation de caroubiers. Comme l’illustrent les engagements du Maroc à la Convention des Nations Unies sur la biodiversité, de nombreux projets ont été mis en place pour valoriser les environs semi-arides de Jerada, en y faisant renaître une biodiversité. Le long de la route, les pylônes électriques alimentent les quelques douars environnants. Promenant leur pâturage, les bergers regardent intrigués les dizaines de voitures s’aventurer dans les pistes montagneuses.


Des caroubiers pou faire vivre les populations locales

Une fois arrivé à la plantation, le paysage n’a pas complètement changé. Les arbres fruitiers sont encore jeunes, mis en terre trois ans auparavant, ils ne dépassent pas un mètre. Pourtant, ces grandes allées d’arbustes, étalées sur 300 ha, représentent beaucoup pour la population locale, et Ouchkif Jamal Eddine, directeur de l'économie forestière, de l'animation territoriale et du partenariat au sein de l’ANEF, qui comptent sur les multiples pouvoirs du caroubier. Au total, la plantation de caroubiers devrait recouvrir 1 200 ha.


L’ANEF mise sur cet arbre pour sa valeur économique, une fois valorisé. Car cet arbre a deux produits : la gousse qui correspond à la graine et la pulpe. Les deux peuvent être torréfiées et moulues. La poudre qui en sortira peut être utilisée dans l’agroalimentaire, notamment pour faire du chocolat. Quand la caroube est transformée en gomme, plusieurs choix sont possibles. La gomme de caroube peut être utilisé dans l’alimentation comme dans le papier et le textile.


L’avenir de ces plantations appartient aux coopératives locales, qui saura les faire fructifier et ainsi bénéficier des recettes pour les populations. Pour tenir ce bon développement, trois coopératives forestières vont être créés en plus des deux déjà présentes, avec l’aide de l’ANEF. L’agence compte aussi aider les coopératives avec des capacités matérielles, et des formations. « On va former les coopératives, tout d'abord dans la conduite des peuplements des arbres, comment les tailler après, comment gérer leur santé, mais aussi dans la valorisation du produit », précise Ouchkif Jamal Eddine.


Parmi les collines désertiques, des plantations de jeunes caroubiers font partie du paysage, sous la surveillance des coopératives locales. Crédit : Salomé Krumenacher / Le Desk


Se voulant intégratif au maximum, l’ANEF veut mettre en place des formations au sein même des douars, en travaillant conjointement avec les coopératives. Pour le moment, le projet est à ses débuts. Le rôle actuel des populations consiste à garder le périmètre des plantations, afin de surveiller que le bétail ou des personnes n’entrent pas et le dégrader. Pour cette action, l’État paye une subvention, de 1 000 dirhams par hectare.


De l’aquaculture en milieu désertique

Après une remise de chèque à la société civile, représentant la coopérative Khairat du Douar Mssaada, les voitures reprennent la route vers le sud-ouest, pour se rendre chez un producteur local. Aux alentours, les paysages ne paraissent pas moins arides. Lorsque l’on aperçoit de la verdure, ce sont des plantations, les arbres et buissons sont tous alignés, quadrillés, sans aucune herbe à leurs pieds.


Plus précisément, le cortège s’installe près du plan d’eau du producteur, à quelques kilomètres au sud de Guenfouda. Ce nouveau projet attire toutes les curiosités : l’aquaculture dans un milieu désertique. L’attractivité marocaine pour cette nouvelle forme de culture n’est pas étrangère dans la province de Jerada. Fière de cette oxymore, l’ANEF explique plus précisément le principe de l’aquaculture intégrée, sur place, au bord d’un bassin d’une centaine de mètres carré.


Au bord d’une route aux allures désertiques, un plan d’eau agricole à Guenfouda se prépare à accueillir des alevins, dans une démarche d’aquaculture. Crédit : Salomé Krumenacher / Le Desk


Des spécialistes piscicoles en blouse blanche se penchent près du bassin, armés d’épuisettes. Avec eux, ils emmènent des seaux dans lesquels se trouvent des alevins. Quelques minutes plus tard, ces jeunes carpes seront versées dans le plan d’eau. Ce lâcher lance le projet de création d’un centre de formation et de production de poissons d’eau douces, destiné aux zones désertiques.


Une nouvelle forme de culture, bénéfique pour tout le monde

L’aquaculture intégrée consiste à intégrer le poisson dans une eau qui est déjà utilisé pour des fins d’irrigation, comme le bassin où ont été jetés les alevins. Une fois dans l’eau, les poissons pourront jouer un rôle bénéfique en la fertilisant grâce à leurs nutriments, et aussi avec le processus d’eutrophisation, en nettoyant l’eau en se nourrissant de microalgues, appelées phytoplanctons. Parmi les poissons d’eau chaude vivant en eau douce, Mohamed Badr Laamiri, chef du département de la pêche et de l'aquaculture continentale à l’ANEF s’est concentré sur deux poissons : la carpe argentée et le tilapia.


Une fois dans le bassin, ces jeunes carpes se nourriront de microalgues, et ainsi nettoieront l’eau utilisée pour l’irrigation d’exploitations. Crédit : Salomé Krumenacher / Le Desk


D’abord la carpe car il n’y a pas besoin de la nourrir, l’espèce se nourrit elle-même, et donc va grandir, sans que le producteur ne dépense de l’argent. Une fois que la carpe aura atteint 2 ou 3 kilogrammes, le producteur devra l’enlever de son bassin avant qu’elle ne devienne trop grande. Il pourra alors se nourrir avec, ou même la commercialiser. Quant au tilapia, il coûte plus cher à nourrir, mais quand il aura déjà atteint 500 grammes, ce poisson de table sera commercialisable. De la production d’alevin à la mise sur le marché de ces poissons, les producteurs pourront être aidés par un futur centre de production de poissons et de formation sur les métiers de l'aquaculture continentale.


L’objectif de l’aquaculture intégrée reste de profiter au maximum de ces grandes quantités d’eau déjà présentes avec les structures hydro-agricoles, jusqu’à créer de l’emploi. À tous les niveaux de la chaîne et avec le centre de formation, de nouveaux métiers pourront apparaître, des métiers piscicoles, pourtant inattendus dans cette région désertique. Les alevins déversés dans leur nouvel habitat, les voitures repartent pour s’intéresser à la dernière thématique de la journée, et grande préoccupation dans les environs, la désertification.


Après des années très sèches, les pins d’Alep sont grandement affaiblis. Le paysage devrait bientôt renaître avec la plantation d’arbres locaux. Crédit : Salomé Krumenacher / Le Desk


C’est donc un projet de reboisement qui est présenté pour clôturer cette suite d’objectifs. Parmi les buts de cette journée, «  s’enquérir des situations de la forêt dans la province de Jerada  », pointe Mohamed El-Khalloufi, chef de service de l’animation et du partenariat à la direction régionale de l’ANEF. Depuis six ans, la sécheresse dans la région de l’Oriental s’intensifie et la pluviométrie est de plus en plus faible. Selon Mohamed El-Khalloufi, la province de Jerada est une interface entre les milieux semi-désertiques, où la désertification avance à grande vitesse, et le milieu semi-aride, non désertique. Le projet de reboisement dans la province, de la ceinture de verte de Jerada a pour objectif de stopper cette avancée du désert vers le nord.


À travers sept arrêts, l’ANEF a présenté aux visiteurs les divers projets mis en œuvre dans la province de Jerada. Création : Ezzoubair Elharchaoui / Le Desk


Autour des pancartes présentant le projet, des centaines de pins d’Alep, beaucoup d’arbres morts et affaiblis qui n’ont pas pu résister à ces dernières années, très sèches. D’autres espèces locales seront plantées pour reboiser les environs, tenter de redonner un nouveau paysage aux habitants de la province de Jerada.


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Le Desk Grand angle